Cas FGA

Créé par Pascal Quiry
Ce dossier s'inspire d'un récent rapprochement européen qu'il n'est pas difficile de reconnaître. Cependant, tel un roman historique qui insère des personnages fictifs dans des situations réelles passées, ce dossier expose des points de vue, des idées, totalement déconnectés de la réalité et totalement fictifs à des seules fins pédagogiques. En aucun cas, il ne permet de porter un quelconque jugement sur l'opération réelle.
Dans tout le document, MdE signifie Milliard d'euros.

Introduction
Le groupe français FGA est le numéro 7 européen de l'assurance, particulièrement bien implanté en France, au Bénélux et en Espagne. En 2011, il devrait réaliser un chiffre d'affaires de 11 Md€ et un résultat net de 0,3 Md€. Il capitalise en bourse 4,8 Md€. Son actionnariat est complètement éclaté.
Le groupe britannique JV est le n°2 européen du secteur de l'assurance. En 2011, il devrait réaliser un résultat net de 1,2 Md€ pour un chiffre d'affaires de 24 Md€. Il est coté en bourse et capitalise 30 Md€. Son actionnariat est complètement éclaté.
Enfin, le groupe italien Marechali est le numéro 3 européen de l'assurance où il devrait réaliser en 2011 un chiffre d'affaires de 15 Md€ pour un résultat net de 0,450 Md€. Il capitalise 21 Md€ en bourse. Il est contrôlé par les principales familles italiennes.
 
Fin 2010, Marechali, qui vient de changer de PDG, décide d'accentuer son internationalisation et lance une OPA sur FGA en proposant de racheter en cash la totalité des actions de FGA pour 45 euros l'action qui cotait auparavant 36 euros. Non prévenu, le management de FGA se sent agressé et qualifie l'opération d'hostile. Le management de FGA cherche alors activement avec ses banquiers conseils un partenaire qui pourrait l'aider à repousser l'assaut de Marechali.
C'est ainsi que JV est contacté.
 
Immédiatement, JV voit l'opportunité de reprendre la première position dans le secteur de l'assurance en Europe qu'il avait perdue récemment et celle de s'étendre en France et au Bénélux où il n'est pas très implanté. Puis, comme le climat entre FGA et Marechali ne s'améliore pas, JV comprend qu'il a l'occasion de prendre le contrôle de FGA, le management de ce groupe étant prêt à l'appuyer plutôt que de passer sous le contrôle de Marechali.
Extraits du comité financier
Un comité financier de JV est alors tenu entre les principaux administrateurs, les dirigeants et les conseils de JV afin d'apprécier les dimensions financières de l'acquisition projetée de FGA.
En voici, les principaux extraits :
« Le président : Messieurs, hier nous avons centré notre réunion sur l'intérêt stratégique pour JV de prendre le contrôle de FGA et nous avons tous conclu que c'est une opportunité inespérée de renforcer notre position sur le marché français et que nous ne disposions pas aujourd'hui d'opportunité d'investissement aussi intéressante que celle-ci. Voyons maintenant les aspects financiers. Monsieur le directeur financier, vous avez la parole.
Le directeur financier : Comme vous en avez l'habitude, aidé de notre banque conseil, nous avons passé l'acquisition de FGA au crible des critères financiers habituels de notre groupe. Vous les trouverez en annexe 2 selon deux hypothèses de financement : à 100 % par capitaux propres, à 100 % par endettement.
Nous avons calculé une valeur actuelle nette de l'investissement achat de FGA à partir :
  • d'un prix d'achat de l'action FGA à 48 euros, niveau auquel notre banquier conseil pense que notre offre sera acceptée par le marché ;
  • et des prévisions des flux futurs de trésorerie générés par FGA, en tenant compte des synergies que nous avons identifiées entre JV et FGA.
Comme nous faisons un investissement français, nous n'avons pas retenu notre coût moyen pondéré du capital (9 %), mais le coût qui s'applique en France, soit 7,6 %. L'écart entre ces 2 chiffres correspond à l'écart entre le taux de l'argent sans risque au Royaume Uni (4,6 %) et celui constaté en France (3,2 %) puisque le coefficient b est le même (0,8) pour FGA et JV ainsi que la prime de risque (5,5 %). Dans ce cas, la valeur actuelle nette (VAN) de cet investissement est positive de 0,6 Md€  et....
Un premier administrateur : ... Oh là ! mais je ne suis pas du tout d'accord. C'est parce que vous voulez faire cet investissement que vous prenez un taux d'actualisation de 7,6 % qui aboutit à une VAN positive. Mais si vous aviez pris notre coût du capital de 9 %, la VAN aurait été négative de 0,450 Md€ comme indiqué en annexe 1 et dans ce cas, l'investissement ne serait pas intéressant d'un point de vue financier. Après tout, c'est nos actionnaires anglais ou nos banquiers anglais qui vont financer cette acquisition et il n'y a pas de raison qu'ils exigent moins (7,6 % contre 9 %) sous prétexte que nous allons investir en France plutôt qu'au Royaume Uni.
Le directeur financier : Mais, si nous investissions en Russie ou en Pakistan, auriez-vous aussi pris un taux de 9 % ?
Un second administrateur : Mais Marechali va utiliser un taux d'actualisation plus faible que le nôtre puisque son coût moyen pondéré du capital (7%) est plus faible que le nôtre (9%), et si ce groupe chiffre de la même façon que nous les synergies, il va être capable de surenchérir sur notre offre et nous n'avons aucun espoir de gagner contre lui. De toutes façons, si nous pensons tous que cet investissement est stratégique, il faut le faire et peu importe le prix à payer, nous ne sommes pas à 2 euros près.
 Un troisième administrateur : ce n'est pas parce que cette opération est stratégique pour nous qu'il faut faire n'importe quoi. En particulier, je ne vois pas pourquoi il faudrait utiliser comme taux d'actualisation, c'est-à-dire comme taux de rentabilité à exiger de l'investissement FGA, un taux plus faible que notre coût moyen pondéré du capital, d'autant que si j'ai bien compris, les synergies sont déjà prises en compte dans le calcul des flux futurs. Nous ne sommes tout de même pas payés en tant qu'administrateur pour approuver des investissements qui vont détruire de la valeur !
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Un quatrième administrateur : Monsieur le directeur financier, je ne comprends pas pourquoi le coût moyen pondéré du capital de JV passe de 8,7 % à 7,8 % si nous finançons l'acquisition de FGA par endettement. C'est contraire à mes souvenirs lointains de mes lectures de Vernimmen.
Le directeur financier : Eh bien, monsieur l'administrateur, c'est assez simple. En nous endettant à 3,9 % après impôt en Angleterre, nous évitons de nous financer par capitaux propres qui nous coûtent pour cet investissement du 7,6 %. Au total, le coût de nos fonds baisse à 7,8 % par rapport à ce qu'il serait par rapport à une situation où nous serions financés comme aujourd'hui à 100 % par capitaux propres (8,7%). Au total, c'est de la bonne gestion financière que de s'endetter à un coût de 3,9 % puisque la dette coûte moins cher que les capitaux propres (7,6 %).
Un cinquième administrateur : Oui, mais nos actionnaires ne vont-ils pas courir un risque plus élevé du fait de l'endettement et donc demander un taux de rentabilité plus fort. En tenez-vous compte dans votre raisonnement ?
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Le premier administrateur : Moi, de toute façon, je suis contre cette opération qui fait chuter le taux de rentabilité des capitaux propres de JV de 15 % à 11,1 % si nous finançons l'acquisition de FGA par capitaux propres. Certes, en cas de financement par endettement la rentabilité des capitaux propres passe après cette acquisition à 16,4 %, mais ça c'est l'effet de levier et comme chacun sait l'effet de levier ne crée pas de valeur. Et le taux de rentabilité des capitaux propres, c'est très important pour nos actionnaires.
Le second administrateur : Certes, mais voyez-vous cher ami, l'acquisition de FGA va faire monter notre bénéfice quelque soit le mode de financement, donc c'est une bonne opération.
Le troisième administrateur : Mais oui, c'est vrai aussi au niveau du bénéfice par action qui augmente et nos actionnaires vont donc être contents puisque le bénéfice par action (BPA) mesure l'enrichissement de l'actionnaire rapporté à une action.
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Questions
  1. Quel est le taux d'actualisation que JV doit utiliser pour calculer la VAN de l'investissement achat de FGA : 9 % ou 7,6 % ? Pourquoi ?
  2. Le taux d'actualisation que JV doit utiliser pour calculer la VAN de l'investissement achat de FGA dépend-il du mode de financement de cette acquisition 100 % dette, 100 % capitaux propres ?
    Pourquoi ? Que pensez-vous alors de la dernière colonne du tableau de l'annexe 2 ?
  3. La rentabilité des capitaux propres de JV diminue instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par capitaux propres), l'opération (achat de FGA) vaut-elle alors, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
  4. La rentabilité des capitaux propres de JV augmente instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par endettement), l'opération vaut-elle alors la peine, d'un point de vue financier, d'être réalisée ? Pourquoi ?
  5. Si les capitaux propres comptables par action de JV augmentent instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par capitaux propres), l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
  6. Si le bénéfice net de JV augmente après l'acquisition de FGA, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ? Votre réponse est-elle différente selon que le financement se fait entièrement par endettement ou entièrement par capitaux propres ?
  7. Si le bénéfice par action de JV augmente instantanément après l'achat de FGA, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
  8. Si la valeur actuelle nette (VAN) de l'investissement achat de FGA pour JV est positive, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ?
  9. Déduisez alors quel est le meilleur critère d'évaluation de l'intérêt financier de l'acquisition pour JV. Cette acquisition vaut-elle la peine d'être réalisée ? Si oui, quel est alors le montant de la création de valeur qu'elle devrait entraîner pour JV ?
  10. Si Marechali devait, dans la bataille boursière pour le contrôle de FGA, surenchérir sur      l'offre envisagée de JV, de combien JV pourrait-il encore accroître son prix d'offre ? A ce niveau de prix, quel serait le montant de la création de valeur pour JV ?
  11. Lister les inconvénients et les avantages pour JV de maintenir la cotation boursière de FGA après en avoir pris le contrôle. Si vous étiez directeur financier de JV que feriez-vous (NB : il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à cette question, il n'y a que bons ou de mauvais arguments).
Annexe 1: quelques éléments complémentaires
 
JV
FGA
PER 2011
25
21,3
sur la base du prix d'offre de JV (48 Euros)
b
0,8
0,8
Taux de croissance des BPA à 5 ans
+ 12 % / an
+ 10 % / an
 
 
Au Royaume Uni
En France
Taux de l'argent sans risque
4,6 %
3,2%
Prime de risque
5,5 %
5,5 %
b
0,8
0,8
Coût des capitaux propres pour une compagnie d'assurance
4,6 % + 0,8 x 5,5 %
= 9 %
3,2% + 0,8 x 5,5 %
= 7,6 %
Coût du capital pour une compagnie d'assurance non endettée
9 %
7,6 %
Coût de l'endettement après impôt pour une compagnie d'assurance non endettée
3,9 %
2,5 %
  • VAN pour JV de l'investissement achat de FGA :
  • à   7,6 % : + 0 ,6 Md€
  • à   9 % : - 0 ,450 Md€
Annexe 2 : principaux paramètres financiers de JV
 
Paramètres
Chiffres 2011
Chiffres 2011 (y compris synergies [1]) après l'achat à 100 % de FGA financé par
 
 
100 % de capitaux propres
100 % d'endettement
Bénéfice net
1,2 Md€
1,6 Md€
1,312 Md€
Bénéfice par action
42 euros
46,2 euros
45,9 euros
Capitaux propres par action
280 euros
415 euros
280 euros
Rentabilité des capitaux propres
15 %
11,1 %
16,4 %
Structure financière
100 % capitaux propres
100 % capitaux propres
82 % capitaux propres
18 % endettement
Coût moyen pondéré du capital (WACC)
9 %
8,7 %(1)
8,7 % x 82%
+ 2,5 % x 18%
= 7,6 %
Source : JV
(1) Moyenne pondérée entre le coût des capitaux propres au Royaume-Uni (9 %) et en France (7,6 %) pour des compagnies d'assurance. Capitalisation boursière de JV : 30 Md€  et de FGA : 6,4 Md€ ( sur la base de l'offre JV).

[1] Estimées à 100 millions d'euros après impôt en 2006