CAS FGA : éléments de correction

Par Pascal Quiry
Ce dossier s'inspire d'un récent rapprochement européen qu'il n'est pas difficile de reconnaître. Cependant, tel un roman historique qui insère des personnages fictifs dans des situations réelles passées, ce dossier expose des points de vue, des idées, totalement déconnectés de la réalité et totalement fictifs à des seules fins pédagogiques. En aucun cas, il ne permet de porter un quelconque jugement sur l'opération réelle.

Idée générale
L'élément central de ce dossier est le critère de choix d'un investissement, un peu particulier puisqu'il s'agit de l'achat d'un groupe, mais qui d'un point de vue financier doit se traiter comme tout autre investissement.
D'un point de vue financier, un investissement n'a d'intérêt que s'il génère un ensemble de flux positifs dont la valeur actuelle est supérieure au montant de l'investissement lui-même. Autrement, si sa valeur actuelle nette (Net Present Value, NPV) est positive, ou ce qui revient au même, si son taux de rentabilité interne (Internal Rate of Return, IRR) est supérieur au coût moyen pondéré du capital (Weighted Average Cost of Capital, WACC), ou ce qui revient au même si la MVA est positive. Autrement dit, le meilleur critère de choix d'investissement, quel que soit l'investissement, est la valeur actuelle nette (VAN) puisqu'elle mesure la création de valeur induite par l'investissement. Une valeur actuelle nette de 0,6 Md€ veut dire qu'il y a création de valeur à hauteur de à 0,6 Md€.
Bien sûr, le calcul de la VAN nécessite que les flux futurs aient correctement été appréhendés; que les éventuelles synergies entre JV et FGA aient été mesurées et intégrées au calcul, et que le taux d'actualisation soit pertinent, mais sur cela nous reviendrons dans un instant.
Souvent l'analyste extérieur, voire ici la société JV, n'est pas capable, faute de données disponibles, de calculer la VAN de l'investissement achat de FGA. Il va alors essayer par approximation de déterminer si l'acquisition crée ou non de la valeur en utilisant d'autres critères qui sont plus faciles à calculer mais beaucoup moins efficaces puisqu'ils n'ont pas été conçus pour mesurer la création (ou la destruction de valeur). C'est un peu comme si vous essayiez de bêcher votre jardin avec une fourchette ! Vous y arriveriez peut-être, mais le résultat serait beaucoup moins satisfaisant que si vous aviez pris une bêche...
Le coeur du sujet...
Après ce préalable, le coeur du sujet :
  1. Quel est le taux d'actualisation que JV doit utiliser pour calculer la VAN de l'investissement achat de FGA : 9,5 % ou 8 % ? Pourquoi ?
    Le taux de rentabilité à exiger de tout actif (quel qu'il soit) dépend d'une seule chose : le risque de cet actif (et en aucun cas de votre structure financière). Au cas présent, on observe que, pour des investissements dans l'assurance au Royaume-Uni, le marché exige du 9,5 % et du 8 % dans le secteur de l'assurance en France. L'écart entre ces deux taux ne se justifie que par une perception du risque plus élevée au Royaume-Uni qu'en France (l'inflation anglaise est plus forte que l'inflation française par exemple), ce qui explique que l'Etat britannique s'endette à un taux d'intérêt supérieur (6,5 %) à celui que paie l'Etat français (5 %).
    Si JV investit dans l'assurance au Royaume-Uni, il va exiger du 9,5 % car c'est le taux que l'on exige des actifs britanniques dans l'assurance; si JV investit en France dans l'assurance, il doit exiger le taux exigé sur les investissements dans l'assurance en France, soit 8 %. Certes, c'est moins que le coût pondéré du capital actuel de JV (9,5 %), mais en ayant investi en France, les actionnaires de JV vont demander un taux de rentabilité plus faible car le risque de l'action JV va baisser puisque le groupe va être composé d'assurances au Royaume-Uni et d'assurances en France qui est un actif moins risqué que l'assurance au Royaume-Uni. A l'inverse si JV investi en Russie ou au Pakistan, il aurait peut être exigé du 25 % sur cet investissement (c'est-à-dire le taux à exiger de cet actif compte tenu de son important risque, et non le coût du capital actuel de JV). Après cet investissement, les actionnaires de JV auraient naturellement revu à la hausse leur taux de rentabilité à exiger de JV puisque le groupe serait devenu plus risqué maintenant qu'il a des activités au Royaume Uni et en Russie (ou au Pakistan).
    Si ce raisonnement n'est pas suivi, tout groupe à « faible » coût du capital investirait alors dans des pays à « haut » coût du capital et aurait alors l'impression de créer de la valeur. Il ne ferait que prendre des risques non correctement rémunérés et détruirait en fait de la valeur.
    La VAN doit dont être calculée à 8 % et elle est positive de 0,6 Md€.
  2. Le taux d'actualisation que JV doit utiliser pour calculer la VAN de l'investissement achat de FGA dépend-il du mode de financement de cette acquisition 100 % dette, 100 % capitaux propres ? Pourquoi ?
    Puisque le taux de rentabilité à exiger d'un actif ne dépend que du risque de cet actif, il ne dépend pas de la structure financière ou du mode de financement. Contrairement à ce qu'affirme dans le dossier le directeur financier de JV (à des fins pédagogiques !) le coût du capital (WACC) est indépendant de la structure financière. Rappelez-vous ce que M. Miller a déclaré lors de la remise de son prix Nobel en 1990 : « La taille d'une pizza ne dépend pas de la façon dont on la coupe ! ».
    Certes, la dette coûte (toujours) moins chère que les capitaux propres. Accroître la part d'une ressource peu chère (la dette) au détriment d'une ressource chère (les capitaux propres) ne modifie pas, contrairement aux apparences, le coût moyen pondéré du capital puisque ce faisant les capitaux propres et la dette deviennent plus risqués, les actionnaires et les créanciers vont donc augmenter leurs exigences de rentabilité contrebalançant le premier effet. Au total, le WACC est constant .
    Dans ces conditions, la dernière colonne du tableau de l'annexe 2 est erronée puisque le calcul du coût moyen pondéré du capital est effectué en supposant que le coût des capitaux propres et le coût de l'endettement sont les mêmes, quelle que soit la structure financière.
  3. La rentabilité des capitaux propres de JV diminue instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par capitaux propres), l'opération (achat de FGA) vaut-elle alors, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
    La rentabilité des capitaux propres est une mesure comptable de la rentabilité. Il ne faut lui demander plus que ce qu'elle peut donner. Elle ne mesure pas la création de valeur, et n'est donc pas un critère pertinent pour apprécier de l'intérêt de faire ou de ne pas faire l'investissement FGA.
    Si JV achète FGA pour 6,4 Md€ (PER de 21,3), le taux de rentabilité comptable instantané pour JV de cet investissement est de :
    Bénéfice net FGA
    Prix d'achat de FGA
    soit 4,7 % (c'est l'inverse du PER). Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le taux de rentabilité des capitaux propres de JV baisse de 15 % à 11,1 % ! Mais si JV accepte de payer FGA sur la base de 6,4 Md€ (PER de 21,3) c'est bien parce qu'il espère que le bénéfice actuel de FGA (0,3 Md€) va progresser sous l'effet de synergies, de croissance du marché,... ce qui aura pour effet d'augmenter dans le futur le taux de rentabilité comptable.
  4. La rentabilité des capitaux propres de JV augmente instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par endettement), l'opération vaut-elle alors la peine, d'un point de vue financier, d'être réalisée ? Pourquoi ?
    Si la rentabilité des capitaux propres de JV augmente après l'achat de FGA de 15 % à 16,4 % c'est simplement que l'achat est financé par endettement et que l'effet de levier produit ses effets. Mais il n'y a pas pour autant création de valeur et ce critère ne permet pas de juger de la pertinence de l'acquisition de FGA.

    Le fait que le même critère (rentabilité des capitaux propres) semble donner deux réponses opposées à la même question selon que le financement se fait par capitaux propres  ou par endettement montre toute la faiblesse de ce critère. La rentabilité d'un actif ne dépend pas que de ses performances propres, pas de la façon dont son acquisition est financée. « Un  bon financement ne rattrape jamais un mauvais investissement ! ».
  5. Si les capitaux propres par action de JV augmentent instantanément après l'achat de FGA (financement à 100 % par capitaux propres), l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
    Si JV finance l'achat de FGA par capitaux propres (c'est-à-dire par une augmentation de capital), les capitaux propres par action de JV progressent si et seulement si le prix d'émission des actions dans l'augmentation de capital est supérieur aux capitaux propres par action actuels. Autrement dit, cela n'a rien à voir avec l'intérêt ou non de l'investissement achat de FGA.
  6. Si le bénéfice net de JV augmente après l'acquisition de FGA, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ? Votre réponse est-elle différente selon que le financement se fait entièrement par endettement ou entièrement par capitaux propres ?
    Il est assez normal que le bénéfice de JV progresse après l'acquisition de FGA puisque les deux bénéfices vont être additionnés pour faire le nouveau bénéfice de JV ! Autrement dit, cela n'a rien à voir avec l'intérêt ou non de faire l'achat de FGA !
    Dans le cas de l'achat financé par l'endettement, il faudra tenir compte des frais financiers liés à l'achat mais cela ne modifie pas le raisonnement. Ce critère n'est pas un critère pertinent !
  7. Si le bénéfice par action de JV augmente instantanément après l'achat de FGA, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ? Pourquoi ?
    Si l'acquisition est financée par capitaux propres (une augmentation de capital), mécaniquement le BPA (EPS) de JV augmentera puisque son PER est supérieur à celui de FGA (25 contre 21,3).
    Si l'acquisition est financée par endettement, mécaniquement le BPA (EPS) de JV augmentera puisque l'inverse du PER d'achat de FGA (1/21,3= 4,7 %) est supérieur au taux d'intérêt de la dette après impôt (4,5 %) et l'effet synergies (100 M d'euros) ne fait que renforcer ceci.
    Mais ceci n'a rien à voir avec la création de valeur !
  8. Si la valeur actuelle nette (VAN) de l'investissement achat de FGA pour JV est positive, l'opération vaut-elle, d'un point de vue financier, la peine d'être réalisée ?
    Voici le bon critère.
  9. Déduisez alors quel est le meilleur critère d'évaluation de l'intérêt financier de cette acquisition de FGA pour JV. Cette acquisition vautelle la peine d'être réalisée ? Si oui, quel est le montant de la création de valeur qu'elle devrait entraîner pour JV ?
    C'est la VAN. Et puisqu'elle est positive, l'acquisition vaut la peine d'être réalisée. Elle devrait entraîner une création de valeur de 0,6 Md€ puisque le VAN ne mesure rien d'autre que la création de valeur espérée.
  10. Si Marechali devait, dans la bataille boursière pour le contrôle de FGA, renchérir sur l'offre envisagée de JV, de combien JV pourrait-il encore accroître son prix d'offre ? A ce niveau de prix, quel serait le montant de la création de valeur pour JV ?
    Au maximum, et afin de ne pas détruire de valeur, JV pourrait augmenter son offre du montant de la VAN, soit 0,6 Md€. A ce niveau de prix, la création de valeur pour JV serait nulle.
  11. Lister les inconvénients et les avantages pour JV de maintenir la cotation boursière de FGA après en avoir pris le contrôle. Si vous étiez directeur financier de JV, que feriez-vous (NB. : il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse à cette question, il n'y a que bons ou de mauvais arguments).
    Pour le maintien de la cotation de FGA :
    • limite l'investissement à 51 % ´ 6,4 Md€ = 3,3 Md€ contre 6,4 Md€ s'il avait fallu acheter 100 % ;
    • évite de froisser les susceptibilités nationales et permet de maintenir un centre de décision en France (en apparence du moins) ;
    • les investisseurs minoritaires financeront à l'avenir 49 % des besoins de FGA sans que le contrôle de JV ne soit remis en cause.

     
    En faveur du retrait de la cotation :
    • difficile de mettre en oeuvre des synergies quand JV ne possède que 51 % de FGA ;
    • difficile de faire remonter le cash-flow disponible de FGA sur JV avec seulement
      51 % de contrôle ;
    • coût administratif de la cotation ;
    • présence de minoritaires qui empêche une totale liberté de manoeuvre pour JV sur FGA.
     
    Au cas particulier, JV a décidé de n'acheter que 51 % de FGA, et donc de maintenir la cotation boursière afin de ne dépenser que 3,3 Md€ et de ne pas trop tirer sur ses réserves financières afin de pouvoir faire d'autres opérations dans le futur. Mais ceci n'est en rien un signal.