Cas Total Fina / Elf Aquitaine - éléments de corrigé

1.      En quoi le montant des synergies espérées du rapprochement entre les deux groupes a-t-il un impact sur le choix de la prime de contrôle que Total Fina pouvait payer aux actionnaires d'Elf Aquitaine ?
Dans la mesure où l'on pense que les marchés sont efficients (il est difficile de penser autrement pour la seconde et la troisième capitalisations boursières françaises de 40 Md€ chacune environ, avec des flottants de 90 %), payer une prime de contrôle pour prendre le contrôle d'un groupe revient à détruire de la valeur à hauteur de cette prime.
Parallèlement cette opération peut donner lieu à création de valeur grâce aux synergies sécrétées par le rapprochement. Au total la balance création de valeur / destruction de valeur pour les actionnaires de l'acheteur serait positive si la prime de contrôle payée demeure inférieure à la valeur des synergies créées par le rapprochement.
2.      Les synergies estimées par Total Fina au bout de 3 ans étaient de 1,2 Md€ avant impôt. A votre avis, comment le marché allait-il les valoriser ? Sur la base du PER de Total Fina ? Sur la base du PER de Elf Aquitaine ? Ou sur la base d'un PER plus petit ? Pourquoi ?
Les synergies seront évaluées par le marché sur la base d'un PER bien inférieur à celui d'Elf ou de TotalFina pour les raisons suivantes :
·        Au niveau macroéconomique, les synergies qui apparaissent grâce à un rapprochement procurent un avantage au nouveau groupe, mais cet avantage n'est pas durable car d'autres groupes concurrents font fusionner pour bénéficier de synergies similaires (d'où les vagues de fusion) et assez vite, la plupart des acteurs bénéficiant de synergies nouvelles vont progressivement les « rendre » aux clients, aux fournisseurs, au marché plus généralement, via des prix de vente plus bas. N'étant pas durables, les synergies ne méritent pas un PER élevé ;
·        Le montant annuel des synergies, en tout cas pour la part des synergies négatives (économies de coûts), n'a aucune raison de progresser dans le temps et encore moins d'avoir le même taux de croissance que le reste des bénéfices, d'où un faible PER.
Bien évidemment, le rythme de croisière des synergies n'étant atteint qu'au bout de 3 ans, leur PER ne peut être qu'inférieur au PER actuel des groupes, mais ceci joue peu par rapport à ce qui précède.
3.      Si on pouvait estimer que le marché valoriserait les synergies annoncées à 10 Md€, quelle était la prime à payer au maximum par action Elf Aquitaine en euros et en %. Pourquoi ?
Si le marché valorise ces synergies à 10 Md€, la prime de contrôle que TotalFina peut payer est au maximum de 10 Md€. Au-delà, l'opération détruirait de la valeur pour ses actionnaires.
La prime à payer maximum est donc de = 39,7€,
soit = 27,2 %.
4.      Dans la mesure où Total Fina avait choisi de faire une offre publique d'échange (OPE) et non une offre publique d'achat (OPA) sur Elf Aquitaine, pourquoi était-il fondamental que le cours de bourse de Total Fina ne baisse pas à l'annonce de l'opération et dans les quelques jours qui suivaient ?
Si à l'annonce de l'opération, le cours de TotalFina baisse durablement, la prime de contrôle payée dans cette offre publique d'échange (OPE) aux actionnaires d'Elf se réduit parallèlement et l'offre de Total devient moins attractive pour l'actionnaire de Elf.
De surcroît, une baisse du cours de l'action TotalFina ne témoigne pas d'une grande confiance du marché dans cette opération.
Modalités contingentes de l'opération
5.      L'offre de Total Fina sur Elf Aquitaine pouvait être soit entièrement en actions ou soit très largement en actions avec une faible composante en liquidités.
Listez les avantages et les inconvénients d'une composante cash dans une offre principalement en titres d'un point financier, comptable, fiscal, boursier, tant du point de vue de Total Fina que celui de l'actionnaire d'Elf Aquitaine. Qu'en pensez-vous ?
 
Offre actions + cash
Contre arguments
Avantages :
Inconvénients :
- Permet d'afficher un taux de rentabilité des capitaux propres plus fort (effet de levier),
-  Permet d'afficher une croissance du BPA du nouvel ensemble plus forte (effet de levier) puisque l'inverse du coût d'endettement après IS
    (1/3 % =33) est supérieur au PER de Elf après prime,
- Permet de crédibiliser l'offre avec une composante concrète et réelle « le cash »,
- Signal que le cours de TotalFina n'est pas perçu comme surévalué par le management de TotalFina,
- Moindre dilution du contrôle des actionnaires de TotalFina sur le nouvel ensemble,
-  Rend moins sensible l'offre à une éventuelle baisse de l'action TotalFina
- Pèse sur la capacité d'endettement de TotalFina,
- Ne permet pas de bénéficier du régime de la mise en commun d'intérêts (pooling of interest) qui évite de constater de la survaleur et donc de l'amortir,
- Décrédibilise le message : fusion de 2 groupes égaux,
- Une composante cash supérieure à 10 % ne permet pas de bénéficier d'un report d'imposition de la plus value due au titre de l'échange, qui est immédiatement imposable
- Ce n'est pas un indicateur de création de valeur, car le risque augmente,
- Idem.
- Impact nécessairement limité par la part relative du cash dans l'offre.
-    Idem
-    Au cas particulier, cet argument est peu pertinent car les deux actionnariats sont très éparpillés,
- Impact nécessairement limité par la part relative du cash dans l'offre.
TotalFina a choisi une offre totalement en actions, afin de ne pas peser sur sa structure financière et afin de présenter l'offre comme une fusion de deux groupes égaux.
6.      Total Fina pouvait-elle prendre le risque d'inclure dans son offre un certificat de valeur garantie (CVG) ? Pourquoi ?
Non car le cours de l'action d'un groupe pétrolier est très dépendant du cours du pétrole qu'il ne peut maîtriser / influencer. Dès lors, la fusion pourrait être une réussite (réalisation effective des synergies), le cours de bourse pourrait cependant baisser ou ne pas monter, induisant un paiement au titre des CVG à cause des fluctuations du prix du pétrole et non en raison des performances de l'équipe dirigeante.

Analyse de l'opération

7.    Calculez le BPA, sur les trois prochaines années, revenant à l'actionnaire de Total Fina et à celui d'Elf Aquitaine si la parité d'échange est de 4 actions Total Fina pour 3 actions Elf Aquitaine, et comparez-le à la situation qui prévalait avant l'offre Total Fina.
Vous pouvez prendre en compte que l'offre aura un taux de succès de 100 %, que le rapprochement prendra effet au 1er janvier 2000, que les synergies avant impôt seront de 0,4 Md€ en 2000, de 0,8 Md€ en 2001 et de 1,2 Md€ en 2002. Le taux d'impôt sur les sociétés est estimé à 36 %. Le marché devrait valoriser les synergies à 10 Md€.
Nombre d'actions du nouveau groupe :
356 M : nombre actuel d'actions de TotalFina
+252 M x = 336 M : nombre d'actions TotalFina nouvelles créées pour rémunérer les actionnaires Elf dans l'offre.
=692 M
     Nouveaux bénéfices :
 
Bénéfice net TotalFina
+
Bénéfice net Elf
+
Synergies après IS
=
Bénéfice net du nouveau groupe
2000
2172
+
1714
+
400 * (1-36%)
=
4142 M€
2001
2742
+
2192
+
800 * (1-36%)
=
5446 M€
2002
3062
+
2344
+
1200 * (1-36%)
=
6174 M€
Nouveaux BPA
 
Pour l'actionnaire de TotalFina
Pour l'actionnaire de Elf
 
Avant
Après
Avant
Après
2000
6,1 €
 = 5,99 € (-1,8%)
6,8 €
5,99 € * = 7,99 € (+17,5%)
2001
7,7 €
 = 7,87 € (+2,2%)
8,7 €
7,87 € *  = 10,5 € (+20,6%)
2002
8,6 €
 = 8,92 € (+3,7%)
9,3 €
8,92 € *  = 11,9 € (+27,9%)
Ne pas oublier que l'actionnaire d'Elf échange 1 action Elf contre 4/3 d'action Total. Le BPA qui lui revient, pour l'action Elf, est donc égal à 4/3 du BPA du nouveau groupe.

8.      Que pensez-vous des calculs précédents ? Quel est le niveau de prime payée par Total Fina ? L'opération devrait-elle apparaître attractive pour l'actionnaire d'Elf Aquitaine ? Et pour ceux de Total Fina ? A l'annonce de l'opération, l'action Total Fina devrait-elle monter ou baisser ? De combien ? Pourquoi ?
       Total Fina a-t-il une marge de surenchère, si cela devait s'avérer nécessaire ?
L'offre de TotalFina valorise l'action Elf à * 126 € = 168 € soit + 15,1% (168 / 146) par rapport au dernier cours coté d'Elf.
Le rapprochement est très vite relutif du BPA qui revient à l'actionnaire de TotalFina compte tenu de la synergie créée et dont seule une partie est attribuée à l'actionnaire Elf (prime de 15% contre 27% si la totalité des synergies avaient été attribuée au actionnaire de Elf, cf. question 3).
A défaut de synergies, le BPA qui revient à l'actionnaire TotalFina aurait dû être dilué car le PER de TotalFina est inférieur à celui d'Elf compte tenu de la prime de 15% (20,7 < 21,5 * 1,15 = 24,7).
Le rapprochement est dès le départ relutif du BPA qui revient à l'actionnaire d'Elf compte tenu de la prime payée et de la part de synergie attribuée.
L'évolution du BPA après l'opération est, au cas particulier, un critère pertinent puisque :
-       le risque de l'actif économique des deux groupes est identique ;
-       le risque de la structure financière des deux groupes est le même (même dettes nettes et même capitalisation boursière) ;
-       les taux de croissance des deux groupes n'ont pas de raison évidente d'être différents.
Si la réalisation de l'opération se traduit par un dégagement de synergies dont la valeur est de 10 Md€ et que seule une partie est attribuée à l'actionnaire de Elf, le cours de Total doit monter reflétant la quote part de la valeur des synergies revenant à l'actionnaire de Total.
En toute logique, après l'annonce de l'opération, le nouveau groupe vaut : capitalisation boursière Total avant + capitalisation boursière Elf avant + valeur des synergies = 36,8 Md€ + 44,9 Md€ + 10 M€ = 91,7 Md€ dont  revient aux actionnaires Elf soit 44,5 Md€ pour 252 M d'actions soit une valeur théorique de l'action Elf de 177 € (+ 21,2 % le premier cours coté après l'offre fut de 174 €). La valeur de l'action TotalFina doit passer à   = 133 € soit 5,6% compte tenu de la part des synergies gardées par l'actionnaire de TotalFina.
TotalFina dispose donc d'une marge de manœuvre pour porter la prime de contrôle de 15% (niveau actuel) à 27% (niveau maximum).
Contre offre d'Elf Aquitaine
Suite au lancement de l'offre de Total Fina le 5 juillet 1999, Elf Aquitaine a procédé à une contre offensive en proposant pour 5 actions Total Fina, 3 actions Elf Aquitaine plus
190 euros. Par ailleurs, Elf Aquitaine a annoncé son intention, si son offre sur Total Fina réussissait, de procéder à une scission des activités chimiques des deux groupes dont les actions seraient distribuées aux actionnaires du nouveau groupe Elf Aquitaine – Total Fina.
Cette offre fut annoncée le 18 juillet 1999, alors que le dernier cours connu était de 130 € pour l'action Total Fina et de 176 € pour l'action Elf Aquitaine. Ce type de contre offensive est appelé « pacman » par référence à un jeu vidéo du même nom où le jeu consiste à manger l'autre pour éviter d'être mangé par lui.
9.      Quel est le niveau apparent de la prime offerte le 18 juillet 1999 par l'offre
d'Elf Aquitaine à l'actionnaire de Total Fina ? Quelle est la consistance de cette prime ? Pour cela, réfléchissez à l'évolution du cours de bourse de l'action Elf Aquitaine depuis
le 2 juillet 1999.
L'offre Elf valorise à :
 = 143,6 € l'action TotalFina soit une prime de  - 1 = 10,5%
Cette prime est basée sur le cours de bourse d'Elf qui intègre une forte proportion des synergies dégagées par le rapprochement et que lui attribue Total. Il est clair que cette proportion de synergies attribuée aux actionnaires d'Elf serait beaucoup plus faible dans l'offre d'Elf. Dès lors la prime proposée aux actionnaires de Total a un caractère largement fictif car seule une des 2 offres peut réussir !
10.  Elf Aquitaine, avec, il est vrai, une hypothèse de synergies différente (2,5 Md€ en rythme annuel avant impôt au bout de trois ans), a indiqué que son offre était meilleure car plus créatrice de valeur, puisqu'elle se traduisait par une rentabilité des capitaux propres supérieure et un coût du capital plus bas pour le nouveau groupe après la scission des activités chimiques. Qu'en pensez-vous et qu'est ce qui peut expliquer cela ?
A titre indicatif, le b des actifs pétroliers n'est pas substantiellement différent du b des actifs chimiques.
Le coût du capital ne peut baisser que si le risque de l'actif économique diminue. Les actifs des activités chimiques ayant le même b que les activités pétrolières, leur risque est identique. Après la scission le risque du nouveau groupe sera inchangé, ainsi que son coût du capital. Si Elf prétend que son coût de capital baisse c'est que ses conseils ont mal assimilé Modigliani-Miller !
L'augmentation de la rentabilité des capitaux propres s'explique par la composante cash de l'offre de Elf qui joue ainsi sur l'effet de levier. Quant au surcroît de création de valeur, il est directement et uniquement lié aux synergies plus fortes annoncées. En effet, ni la scission, ni la modification de la structure financière ne peuvent, en elles-mêmes, créer de la valeur.
11.  Si le marché tablait sur le succès de l'offre d'Elf Aquitaine sur Total Fina, quelle aurait dû être l'évolution du cours de l'action Elf Aquitaine après l'annonce de son offre sur Total Fina ? Et celle de l'action Total Fina ? Pourquoi ?

 

A la veille de l'offre, et sur la base d'une synergie annuelle de 1,2 Md€ au bout de 3 ans, le marché valorisait le nouveau groupe à 356 M * 130 € + 252 M * 176 € = 90,6 Md€. Si le marché croît en l'offre Elf, il va maintenant prendre en compte des synergies de 2,5 Md€ et non 1,2 Md€/an au bout de 3 ans. La valeur des synergies passera donc de 10 Md€ à 10 Md€ *  = 20,8 Md€ dont 10 Md€ sont déjà dans les cours (au titre de l'offre Total). La capitalisation boursière du nouveau groupe devrait donc, à l'annonce de l'offre d'Elf, passer à 90,6 Md€ + 10,8 Md€ = 101,4 Md€ sous déduction de la partie payée en cash des actions TotalFina soit 190 € *  = 13,5 Md€, soit au total 87,9 Md€.
A l'issue de l'offre Elf, le nouveau groupe aura 252 + 365 *  = 465,6 M d'actions dont  = 54,1% pour les anciens actionnaires de Elf (47,5 Md€) et 45,9% pour les actionnaires de TotalFina (40,4 Md€). L'action Elf devrait donc valoir  = 188 € soit + 7% par rapport au dernier cours avant l'offre Elf (176 €) et l'action TotalFina devrait valoir  = 151 €, soit + 16% par rapport au dernier cours de l'action TotalFina (130 €) avant l'annonce de l'offre Elf.

 

Conclusion

12.  Début septembre 1999, on observait les cours suivants :
§           Elf Aquitaine :   167 €
§           Total Fina :       125 €
Le marché s'attendait-il plutôt au succès de l'offre Total Fina ou à celui de l'offre Elf Aquitaine ? Pourquoi ?
Si le marché s'attendait au succès de l'offre d'Elf, les cours de TotalFina auraient dû s'aligner au niveau de la parité proposée, annulant toute possibilité d'arbitrage.
Le cours de l'action TotalFina aurait donc du être de  = 138,2 € contre 125 €. Le marché ne croyait donc pas au succès de l'offre d'Elf.
Si le marché s'attendait au succès de l'offre TotalFina, le cours d'Elf aurait dû être égal au 4/3 de celle de TotalFina, soit 1/3 * 125 = 166,7 €. Le marché s'attendait donc au succès de l'offre de TotalFina puisqu'il n'y avait plus de possibilité d'arbitrage.