L‘un de nous deux, au titre de ses activités d’investissement, a très récemment été impliqué dans un dossier d’offre publique initié par deux grands groupes cotés qui voulaient sortir de la Bourse leur filiale cotée commune dont il était actionnaire bien avant l’annonce de l’offre de ces majoritaires.
Cet examen lui a inspiré les 5 propositions suivantes :
1/ Rendre obligatoire l’adoption d’un code de gouvernance pour les entreprises cotées
Aussi surprenant que cela puisse paraître, 27 ans après la publication du premier rapport Viénot qui introduisait en France des recommandations de gouvernance pour les entreprises cotées, on peut être coté en Bourse en France en 2022 et ne suivre aucun code de gouvernance.
Ceci est d’autant plus choquant qu’il existe deux codes de gouvernance visant des entreprises cotées de taille différente, celui de l’Afep-Medef, plus adapté pour les grands groupes, et celui de Middlenext, plus adapté aux PME et ETI.
Il nous paraîtrait logique, dans les entreprises cotées où coexistent soit des actionnaires minoritaires et des actionnaires majoritaires, soit des dirigeants et un actionnariat éclaté, que le respect d’un code de gouvernance soit requis, de la même façon qu’il est requis un minimum de 40 % d’hommes ou de femmes dans un conseil d’une entreprise cotée, ou que celle-ci publie ses comptes[1].
Et on évitera ainsi le procédé médiéval observé il y a quelques mois où un majoritaire menaçait les minoritaires qui n’apporteraient pas leurs titres à l’offre de retrait, de faire supprimer la référence à un code de gouvernance dans la filiale visée par l’offre[2].
L’adoption obligatoire d’un code de gouvernance pour une société cotée, quelle que soit sa taille, permettra aussi de mettre fin à des situations où il n’y a aucun administrateur indépendant au sein du conseil d’administration ; mais aussi de s’assurer d’un niveau minimum d’informations données au marché.
Pour ce faire, le code Middlenext devrait sur ce point être aussi directif que l’est celui de l’Afep-Medef et cesser de recommander la présence d’administrateurs indépendants, deux lignes après avoir écrit que leur présence est indispensable. Si cette présence est indispensable, il ne faut pas la recommander, mais la requérir.
On rappelle qu’un administrateur indépendant est fondamentalement un administrateur dont le jugement n’est pas compromis, dans une situation donnée, par des liens avec les dirigeants ou l’actionnaire majoritaire, qui peut défendre tous les actionnaires, en particulier les actionnaires minoritaires, qui n’ont pas d’autre représentant que lui dans une société contrôlée pour faire entendre leur voix[3].
2/ Faire que les administrateurs indépendants soient élus par les actionnaires minoritaires des sociétés contrôlées
Dans les sociétés cotées contrôlées par un ou des actionnaires majoritaires, c’est de facto ces derniers qui choisissent le plus souvent les administrateurs indépendants. Même si un administrateur représente au sein du conseil l’ensemble des actionnaires, et non pas ceux qui l’ont désigné, celui-ci a vocation, au sein d’un conseil d’administration où la majorité des administrateurs est élue grâce aux voix du majoritaire, à représenter la voix des actionnaires minoritaires.
On aboutit donc à cette situation pour le moins surprenante dans laquelle c’est l’actionnaire majoritaire qui désigne et élit le plus souvent le représentant des actionnaires minoritaires. On ne s’étonnera donc pas de constater que certains administrateurs indépendants, en particulier hors grands groupes, manquent de jugement ou de courage, et pensent à leur réélection. Dans les faits, nombre d’administrateurs indépendants sont surtout administrateurs et n’ont d’indépendants que le nom.
Il nous paraîtrait de bonne gouvernance, dans les sociétés contrôlées cotées en Bourse, que les administrateurs indépendants soient élus uniquement par les actionnaires minoritaires et eux seuls. Techniquement, les actionnaires majoritaires devraient voter pour la moitié de leurs actions en faveur de la candidature de toute personne à la fonction d’administrateur indépendant, et contre pour l’autre moitié de leurs actions. Ainsi, leurs voix seraient neutralisées et seules celles des actionnaires minoritaires compteraient pour la nomination des administrateurs indépendants. On retrouverait un équilibre puisque pour l’élection des administrateurs représentants les actionnaires majoritaires, les voix des actionnaires minoritaires ne pèsent pas, par définition.
3/ Dans les offres de fermeture, faire que l’expert indépendant soit désigné par l’AMF et non par la société cible
Une offre de fermeture est une offre par laquelle un majoritaire ou un management appuyé par un fonds d’investissement se propose de racheter les actions détenues par le flottant en vue de retirer la société de la cote, si le seuil des 90 %[4] permettant l’expropriation est atteint, et si bien sûr l’expert indépendant qui a été nommé rend une attestation d’équité.
Une offre de fermeture est une offre dans laquelle il y a une forte asymétrie d’information entre d’un côté un majoritaire ou un management qui gère l’entreprise, un fonds d’investissement qui a fait des due diligences étendues en ayant accès à des informations non publiques ; et de l’autre, des actionnaires minoritaires qui doivent se contenter de l’information publiquement disponible.
D’où l’intervention d’un expert indépendant qui doit, à partir du plan d’affaires élaboré par l’entreprise cible, dans les faits le plus souvent par les majoritaires qui la contrôlent et/ou la gèrent, porter un jugement sur le prix en vue d’attester de son équité.
Mais la position de l’expert indépendant est complexe. Même s’il doit sa nomination à un comité d’administrateurs indépendants, il sait bien que la plupart du temps, son nom a été inscrit sur une liste d’experts possibles par les avocats de l’initiateur ou le banquier présentateur de l’offre. Sans sa présence sur cette liste, il n’aurait pas été sollicité pour participer à un appel d’offres et être finalement choisi.
Il sait que s’il se montre trop indépendant d’esprit en demandant la révision d’un plan d’affaires visiblement manipulé pour justifier une offre au rabais, s’il se montre trop réceptif aux observations des actionnaires minoritaires, il risque d’être catalogué comme tel par les avocats et les banquiers d’affaires, et donc de disparaître de la liste des experts susceptibles d’être sollicités lors d’une prochaine offre.
C’est ainsi que l’on a vu sur les 18 derniers mois des experts attester de l’équité d’une offre de fermeture à des prix tellement au rabais qu’une partie significative du flottant n’est pas venue à l’offre. D’où une seconde offre 12 à 18 mois plus tard, à un prix très largement supérieur (souvent plus de 70 %, voire plus du double), et plus en rapport avec l’équité. On les a d’ailleurs appelées « offres à deux tours », où les naïfs, les étourdis et les trop confiants dans la signature d’un expert venaient au premier tour, permettant à l’initiateur de baisser son prix moyen pondéré final…
Quand on sollicite la nomination d’un expert en justice, quand on sollicite la nomination d’un commissaire à la fusion auprès du tribunal, c’est le tribunal qui le nomme et les parties qui le rémunèrent.
Nous suggérons, dans le cas des offres de fermeture, qu’il en soit de même. Le jour où l’AMF nommera elle-même l’expert indépendant, celui-ci ne craindra plus les représailles des banquiers et des avocats d’affaires qui ne joueront plus aucun rôle dans sa nomination. Et l’équilibre sera rétabli entre des initiateurs qui ont un avantage informationnel évident, et un expert indépendant qui saura que sa prochaine mission dépendra de la qualité de son travail sur sa mission actuelle que mesure, par exemple, le taux d’apport du marché à l’offre, et non de son inclination à accepter le prix proposé par les majoritaires.
En effet, il est clair que l’AMF a une vue assez précise de la qualité du travail des experts indépendants, elle qui les revoit tous depuis des années. Elle pourrait donc choisir plus souvent comme expert indépendant celui qui a travaillé sur des offres ayant conduit à des taux d’apport par le marché élevés, marquant par là l’adhésion des actionnaires minoritaires au prix. Et choisir moins souvent un expert ayant attesté l’équité d’une offre rejetée par plus de 50 % des minoritaires. Voire refuser de le choisir pendant quelques années, dans la mesure où une offre où la majorité des minoritaires n’apporte pas ses titres, démontre un vrai problème de prix.
La seule faculté que l’AMF se serait donnée d’agir ainsi ferait, à notre avis, que cette dernière menace n’aurait besoin d’être mise en œuvre que de façon rarissime à, permettant à terme un choix par simple rotation des experts ou titrage au sort.
Une fois nommé par l’AMF, l’expert indépendant négocierait avec la société cible sa rémunération qui serait prise en charge par cette dernière, tout comme un commissaire à la fusion, après avoir été nommé par le tribunal, négocie sa rémunération avec les parties.
4/ Supprimer la faculté pour l’initiateur d’une offre d’acquérir 30 % du flottant d’une société sous offre tant que la conformité de l’AMF ne serait pas obtenue
C’est une disposition technique et un peu étrange du Règlement général de l’AMF qui permet à l’initiateur d’une OPA, sous réserve de l’absence de certaines conditions suspensives, de pouvoir acquérir en Bourse jusqu’ à 30 % du flottant de sa cible dès lors que le projet de note d’information a été déposé et ce, avant même que la conformité de l’offre ne soit prononcée (ou pas) par l’AMF[5].
En fait cette faculté a été donnée par l’AMF aux initiateurs qui se plaignaient que certains intervenants du marché, profitant de l’impossibilité pour l’initiateur d’acquérir des titres tant que la conformité n’est pas donnée, en acquéraient durant cette période, faisant ensuite du chantage pour obtenir un relèvement du prix de l’offre, sans prendre de risque à la baisse, car pouvant apporter leurs titres le dernier jour de l’offre. On remarquera que si le prix de l’offre était perçu comme équitable, peu d’intervenants se risqueraient à un investissement rapportant zéro…
Ceci étant, qu’adviendrait-il si l’offre n’était pas déclarée conforme, en particulier dans le cas d’une offre obligatoire où il faudrait rehausser le prix ? Rendrait-on leurs titres aux vendeurs et ces derniers rendraient-ils les liquidités perçues, quel que soit l’usage qu’ils aient pu en faire dans l’intervalle ? L’administration fiscale rendrait-elle les impôts sur les plus-values de cession, une fois ces cessions annulées ? Quel bazar en perspective dans les back-offices des banques ! On voit bien que ceci serait vraiment très compliqué, voire impossible.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas attendre que l’AMF prononce la conformité d’une offre pour que son initiateur puisse acquérir dans le marché des titres visés au prix de cette offre ? Y a-t-il une si grande urgence ou un tel impératif pour prendre ce risque ? Nous ne les voyons pas en ce qui nous concerne. Ou faut-il avantager les initiateurs d’une offre, et dans ce cas pourquoi ? L’AMF ne se met-elle pas dans un corner en ayant ensuite plus de mal à refuser d’accorder la conformité si 30 % du flottant a déjà été acquis ?
Il nous semble donc que cette disposition pourrait être supprimée.
5/ Dans le cas des offres de fermeture, rendre un recours en appel contre une décision de conformité de l’AMF suspensif de l’offre
Une offre de fermeture est une offre non urgente, puisque l’objectif est simplement de retirer l’entreprise de la cote. C’est très différent par exemple d’une offre de changement de contrôle pour laquelle il est préférable (pour des raisons évidentes) d’éviter de laisser trop longtemps dans l’incertitude les parties prenantes. Par ailleurs, l’offre de fermeture peut entraîner un acte grave : l’expropriation des actionnaires.
Raison de plus nous semble-t-il, maintenant que la cour d’appel n’a plus qu’un délai de 5 mois pour se prononcer sur un éventuel recours contre la décision de conformité de l’AMF, pour que l’offre de fermeture soit suspendue dans l’attente des résultats de ce recours.
En effet, depuis quelques années, la pratique de l’AMF n’est plus de suspendre l’offre de fermeture en cas de recours contre sa déclaration de conformité, mais de laisser l’offre se dérouler, se clôturer, l’expropriation ainsi que la sortie de cote s’effectuer. Et puis de se dire que si la cour d’appel remet en cause la conformité de l’offre et donc l’offre elle-même, on rendra aux actionnaires les titres expropriés, qui rendront eux-mêmes les liquidités reçues en contrepartie quelques mois auparavant, et que la société se trouvera de nouveau cotée. Les éventuels impôts payés sur les plus-values seront-ils remboursés par l’administration fiscale, puisqu’il n’y aura plus eu d’expropriation et donc de dégagement de plus-values ? On souhaite donc beaucoup de courage aux équipes des services titres des banques le jour où la cour d’appel annulera la décision de conformité d’une offre de fermeture de l’AMF et qu’il faudra tout détricoter et reconstituer à l’identique…
On pourrait nous objecter que le délai de 5 mois pourrait se prolonger si les parties se pourvoient en cassation suite à la décision de la cour d’appel. Cette situation est rarissime, et l’AMF pourrait aviser au cas par cas.
On notera que le changement de doctrine de l’AMF sur ce point de la non-suspension d’une offre suite à un recours, revient à orienter la décision de la cour d’appel. Il est en effet beaucoup plus difficile de remettre en cause une action qui a déjà eu lieu (l’expropriation) qu’une action qui est au stade du projet, ce que la vie quotidienne confirme tous les jours. Ce qui n’est pas très fair play de sa part.
[1] Ce qui n’était pas le cas en France avant le milieu des années 1950.
[2] Voir la page 14 de la note d’OPAS de Vinci et Eiffage sur SMTPC du 12 avril 2022, disponible sous ce lien.
[3] Pour plus de détails sur ce point, voir le chapitre 45 du Vernimmen 2022.
[4] Des actions et des droits de vote.
[5] Règle applicable aux offres publiques d’achat simplifiées et aux offres publiques de retrait