La Lettre n°1 de Juin 2001

Actualités : L'évolution du pooling of interests aux Etats-Unis

Aux Etats-Unis, le FASB (*1) s'apprête à modifier le traitement comptable des rapprochements d'entreprises par la suppression du pooling of interests (mise en commun d'intérêts en franglais) et la fin de l'amortissement du goodwill, révolution qui aura nécessairement des répercussions en Europe.

Le goodwill ou écart d'acquisition correspond à la différence entre le prix payé pour acheter une société et la valeur comptable de ses capitaux propres, réévalués pour tenir compte de plus ou moins-values identifiables. Aux Etats-Unis et en France, si l'acquisition est essentiellement payée à plus de 90% en actions (*2), il est possible d'intégrer la nouvelle filiale dans les comptes du groupe sur la base des valeurs comptables de ses actifs et passifs. Les actions émises sont inscrites au bilan non sur la base de leur valeur, mais pour le montant comptable des capitaux propres de la cible. Il en est de même dans les normes internationales IAS (*3) si de surcroît l'acquéreur et la cible sont de taille équivalente et que l'on ne peut pas distinguer ni acheteur ni vendeur. C'est ce que l'on appelle le pooling of interest. Quel que soit le référentiel comptable, les acquisitions financées à plus de 10% en liquidités ou quasi-liquidités entraînent la réévaluation des actifs et des passifs exigibles de la cible et la constatation d'un goodwill inscrit parmi les actifs incorporels (*4). Celui-ci est alors amorti sur une durée le plus souvent proche de 20 ans. C'est la méthode du purchase accounting.

D'un point de vue conceptuel, les deux méthodes devraient être équivalentes : elles n'affectent pas les cash-flows futurs du groupe (*5) et donc pas sa valeur. Il n'en est rien dans la pratique. Les entreprises et leurs conseils dépensent des trésors d'imagination pour faire d'une acquisition une fusion qui bénéficie du pooling : il n'y a pas de dotations aux amortissements du goodwill qui réduisent les résultats futurs ; les taux de rentabilité affichés sont améliorés car les capitaux employés et les capitaux propres ont été réduits.

Après avoir envisagé d'interdire la méthode du pooling et de requérir un amortissement du goodwill sur une durée maximum de 20 ans, le FASB s'apprête à publier à la mi-juillet une directive proscrivant la méthode du pooling, ne laissant subsister que la méthode du purchase accounting mais avec une modification de taille. Le goodwill dégagé par le rapprochement ne serait plus amorti, il continuerait de figurer parmi les actifs incorporels ; le cas échéant son montant serait déprécié si l'on peut démontrer à l'occasion d'un test annuel de validité (impairment test) que la valeur des actifs (*6) est inférieure à leur montant comptable.

Le goodwill devra être déterminé après réévaluation des capitaux propres de la nouvelle filiale, autorisant ainsi de façon large l'inscription au bilan des marques, concessions, brevets, logiciels, autorisations d'émettre ou d'atterrissage, listes de clientèle, ... qui devront être amortis s'ils ont une durée limitée et soumis au test de validité dans le cas inverse.

Cette norme devrait prendre effet début 2002. Elle pourrait faire sentir ses effets en France puisque la COB avait annoncé que si les Etats-Unis remettaient en cause le pooling, elle ferait de même en France alors que la version française du pooling, la mise en commun d'intérêts, n'est appliquée que depuis 1999. Toutefois cette future norme américaine s'oppose à la norme IAS qui rend de son côté très difficile l'application du pooling et oblige à amortir le goodwill sur une durée maximum de 20 ans. Que fera-t-on en France où les normes IAS doivent s'appliquer dès 2003 pour les sociétés cotées ? FASB et IASB peuvent-ils faire converger leurs points de vue ? Il n'est pas interdit d'être optimiste, le FASB ayant fortement changé d'avis en moins d'un an sur ce sujet !

Plus fondamentalement, cette évolution des normes américaines va dans le sens d'une plus grande rigueur. Il ne sera plus possible achetant une société aux capitaux propres réévalués de 30 pour un prix de 100 et émettant à cet effet de nouvelles actions pour 100, de les inscrire au bilan pour 30 grâce au pooling, et dégageant ensuite un résultat net de 6, de proclamer que le return on equity est de 20% alors qu'il n'est que de 6% ! L'une des raisons des taux de rentabilité des capitaux propres et de l'actif économique très élevés affichés actuellement par de nombreux groupes tient au régime du pooling qui fait "passer à la trappe" des pans entiers de capitaux propres ; elle va disparaître.

De la même façon, la sempiternelle question de savoir si l'on doit raisonner en bénéfice avant ou après amortissement de la survaleur est tranchée. Il n'y aura plus d'amortissements nouveaux du goodwill puisque le goodwill nouveau ne sera plus amortissable. Tout au plus sera-t-il déprécié partiellement pour des montants par nature non récurrents. Certes, il y aura quelques années de transition puisque les anciens goodwills continueront à être amortis, mais les rangs de ceux qui les considèrent comme une véritable charge devraient considérablement s'éclaircir comme nous le préconisons depuis dix ans.

Enfin tester chaque année si la valeur de l'actif économique est supérieure à son montant comptable pour déterminer si le goodwill acquis doit être déprécié, c'est accepter implicitement d'enregistrer dans les comptes du goodwill créé en interne qui se substitue progressivement à ce goodwill acquis dont nous savons tous, dans un monde concurrentiel, qu'il a une durée de vie limitée. C'est probablement la principale innovation de cette future norme qui marque une nouvelle avancée des notions de valeur au sein de la comptabilité.



Tableau : Les taux d'impôt sur les sociétés en France

PME (a)
Autres sociétés
Exercice clos en
Taux normal
(du court terme)
Taux réduit
(du long terme)
Taux normal
(du court terme)
Taux réduit
(du long terme)
1998
36,66% (1)
20,90%
41,66%
23,75%
1999
36,66% (1)
20,90%
40,00%
22,80%
2000
36,66% (1)
20,90%
37,76% (2)
21,53% (2)
2001
35,33% (3)
20,14%
36,43% (2)
20,77% (2)
2002
34,33% (4)
19,57%
35,43% (2)
20,20% (2)
2003 (b) 
33,33% (5)
19%
34,43% (2)
19,63% (2)
(a) Sociétés dont le chiffre d'affaires hors taxes est inférieur à 50MF et dont le capital, entièrement libéré, doit être détenu pour au moins 75% par des personnes physiques (ou des sociétés qui satisfont aux conditions).
(b) La suppression de la contribution additionnelle, ramenée à 3% à compter de 2002, est programmée à compter de 2003.
(1) Possibilité d'opter, sous certaines conditions, pour une imposition au taux de 19% sur les premiers 200KF de bénéfices.
(2) Pour la fraction du bénéfice excédant 15MF (en deçà, voir taux indiqués dans les colonnes pour les PME).
(3) Pour les exercices ouverts à compter du 01/01/01, 26,5% sur les premiers 250KF de bénéfices.
(4) Pour les exercices ouverts en 2001 mais clos en 2002, 25,75% sur les premiers 250KF de bénéfices. Pour les exercices ouverts et clos en 2002, 15,45% sur les premiers 250KF de bénéfices.
(5) 15% sur les premiers 250KF de bénéfices (de même pour les exercices suivants).



Recherche : L'analyse de la volatilité des marchés boursiers

Deux articles récents du Journal of Finance font le point sur ce thème d'une actualité quotidienne.

Le premier, Have individual stocks become more volatile ? (*1) montre que les trois principaux marchés américains (NYSE, AMEX, NASDAQ) ne sont pas plus volatiles aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 10, 20 ou 50 ans. En revanche la volatilité individuelle des actions s'est fortement accrue sous l'effet:

  • de l'arrivée sur le marché de sociétés de création récente, donc plus risquées ;
  • de la généralisation des systèmes de rémunération des dirigeants fondés sur les stocks-options qui les poussent à prendre plus de risques (*2) ;
  • de la disparition progressive des conglomérats (ITT, Gulf and Western, Chargeurs, ...) qui, du fait de la diversification de leurs activités, présentent un niveau de risque plus faible ;
  • et enfin de l'arrivée plus rapide sur le marché des informations qui se répercutent donc plus violemment dans les cours.

Comme par ailleurs, sur les dernières années, la corrélation des actions entre elles a fortement baissé :

  • le risque d'un portefeuille peut être mieux réduit par la diversification ;
  • mais il faut accroître la taille du portefeuille nécessaire pour réduire le poids du risque spécifique et obtenir le meilleur couple risque/rentabilité. Là où avant 20 actions suffisaient, les auteurs estiment qu'il en faut maintenant 50 (*3) au minimum.

Conséquence logique de la volatilité constante du marché et de la hausse de la volatilité des actions qui constituent ces marchés, la corrélation de chaque action avec le marché dans son ensemble s'est nettement affaiblie. Les auteurs déterminent que le coefficient de corrélation (le R²) est tombé à 17% ce qui pose le problème de la survie à terme du MEDAF (CAPM en franglais), le modèle d'évaluation des actions actuellement universellement appliqué. Le MEDAF postule en effet que les fluctuations des marchés déterminent essentiellement le taux de rentabilité exigé par les actionnaires à travers le fameux coefficient b, or elles n'en expliqueraient plus que 17%. D'où les travaux autour de modèles alternatifs, comme l'Arbitrage Pricing Theory ou le modèle de Fama French (*4).

Enfin, les auteurs montrent que la volatilité des marchés s'accroît en période de récession et en constitue souvent un indicateur avancé. Prions, dans le contexte actuel de forte volatilité des marchés, pour que cette règle ne s'observe plus, maintenant que leur travail est publié !

Le second article, Extreme correlation of International Equity Markets (*5) corrige l'idée reçue selon laquelle la corrélation entre les différents marchés boursiers augmenterait avec leur niveau de volatilité. De 1959 à 1996, pour les cinq plus grands pays industriels (Etats-Unis, Japon, Allemagne, France et Royaume-Uni), la corrélation ne s'accroît qu'en période de baisse des marchés, pas en période de hausse. Ceci est fâcheux puisque c'est au moment même où l'investisseur a le plus besoin de la diversification internationale de son portefeuille, pour réduire son risque au-delà de ce que peut faire la seule diversification à l'intérieur d'un pays, que celle-ci vient à faire défaut puisque les marchés deviennent synchrones au même moment et à la baisse !

(1) De J. Campbell, M. Lettau, B. Malkiel et Y. Xu, Journal of Finance février 2001, pages 1 à 43.
(2) Cf. Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen Dalloz 2000, page 548.
(3) Ibidem, chapitre 26.
(4) Ibidem, page 426.
(5) De F. Longin et B. Solnik, Journal of Finance, avril 2001, pages 649 à 676.



Q&R : Quelles sont les contraintes pour une fusion rapide entre la société cible et la holding de reprise dans les montages de LBO ?

En cas de fusion rapide, l'administration fiscale peut contester la déductibilité des frais financiers des prêts contractés par la holding en arguant que la société rachetée n'a aucun intérêt à fusionner avec sa holding de reprise puisqu'elle ne récupère que de l'endettement supplémentaire et que la fusion lui a été imposée par son actionnaire majoritaire la société holding.

Juridiquement, au-delà de la procédure à respecter propre aux fusions (AGE, rapport du commissaire à la fusion), une fusion rapide post LBO pose le problème de la loi 1966 qui interdit à une société de donner des garanties pour racheter ses propres actions. Or les créanciers de la holding vont prendre en garantie les actions de la société cible et souvent après la fusion cible/holding les actifs de la cible. Tout revient alors à ce que la société cible ait accordé des garanties (sur ses actifs) pour financer le rachat de ses actions de la holding, ce qui est précisément interdit.

Enfin, s'il existe des minoritaires au niveau de la société rachetée, une fusion rapide va entraîner une dilution très forte du contrôle des actionnaires de la holding puisque la valeur de ses capitaux propres, compte-tenu de sa dette, est petite par rapport à la valeur de la société rachetée.

Toutes ces raisons font qu'il est rare qu'une fusion entre la holding de reprise et la société cible puisse se faire avant un délai de l'ordre de 2/3 ans après le début du LBO. Pour plus de détails, voir le chapitre 43 de Finance d'entreprise Pierre Vernimmen Dalloz 2000.



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