La Lettre n°107 de Avril 2012
Actualités : Les transactions à haute fréquence ou une nouvelle illustration de la parabole du bon grain et de l'ivraie
Souvent connu par son nom anglais de High Frequency Trading (HFT), les transactions à haute fréquence (THF) ont connu depuis le milieu des années 2000 un développement spectaculaire qui ne peut qu’attirer l’attention et la curiosité de l’honnête homme financier qu’est notre lecteur :
Le développement des THF qui portent principalement les actions, mais aussi les devises, les produits dérivés, est une évolution des pratiques de négociation et non une révolution. Il s’explique principalement par :
• les progrès de la technologie qui permettent de passer des ordres dans des laps de temps de plus en plus courts : sur certains marchés, quelques micro-secondes, la micro-seconde étant un millionième de seconde. Comme le dit non sans humour le régulateur Andrew Haldane, si les supermarchés étaient gérés comme des programmes THF, on pourrait faire les courses de sa vie entière en moins d'une seconde. À quand la nano-seconde ?
• par la fragmentation des places de négociation organisée en Europe par le régulateur via la directive MIF / MIFID (1) avec l’objectif de casser les monopoles des places de négociation, d’en créer de nouvelles afin de faire baisser les coûts de transaction par la concurrence ainsi instituée et d’éviter la création de rentes non justifiées. Une évolution similaire a eu lieu en même temps aux Etats-Unis pour des raisons différentes.
Les THF ne sont pas en soi une stratégie de négociation, c’est un ensemble de moyens techniques utilisant les dernières avancées technologiques en matière d’accès aux marchés, de routage et d'exécution des ordres, mises en œuvre pour réaliser des stratégies de négociation classiques.
Les THF se caractérisent par la conjugaison des éléments suivants :
• l ’émission sans intervention humaine par des algorithmes tournant sur ordinateurs d’un très grand nombre d’ordres, dont beaucoup sont quasi immédiatement annulés (60% dans la seconde qui suit et in fine entre 95 et 99 %) ;
• afin de réaliser un profit entre un acheteur et un vendeur ;
• puisque à la fin de la journée la position nette est nulle ou non significative ;
• et que la plupart du temps les titres ne sont détenus que sur de très courts intervalles de temps, 7 secondes en moyenne ;
• ce qui explique des marges très très faibles sur chaque aller-retour ;
nécessitant une très grandes vitesse d’exécution des ordres ;
• et donc d’installer ses ordinateurs le plus près possibles de ceux de la plateforme de marché pour réduire le délai de latence ;
• le tout en travaillant pour son propre compte (proprietary trading) et non celui de clients ;
• et en se focalisant sur des titres très liquides.
Les principales stratégies qui font appel aux THF sont :
• le market making :c'est-à-dire, proposer une fourchette de prix pour un titre, par exemple 15 € - 15,01 € indiquant par là être prêt à acheter à 15 € et à vendre à 15,01 €. Les market markers qui ont ce statut, ont l’obligation à tout moment d’afficher une fourchette de prix où ils sont prêts à acheter (au prix bas de la fourchette affichée) à un vendeur dans l’espoir quelques instants après de pouvoir revendre à un acheteur à un prix supérieur (celui du prix haut de la fourchette affichée pour autant que celle-ci n’ait pas changé). Sans market marker,les marchés fonctionnent moins bien (moins de transactions, prix plus volatils) car rien ne garantit, qu’à tout instant, les vendeurs et les acheteurs s’équilibrent parfaitement et spontanément, au contraire. D’autres font du market making sans en avoir le statut et les contraintes. Le profit vient de l’écart entre le prix où l'on achète et le prix où l'on vend, voire par des rabais obtenus de places de marché désireuses d’inciter les market makers à être présents chez elles plutôt que chez leurs concurrents, afin d’offrir de la liquidité susceptible d’attirer à leur tour des investisseur. On estime que 50 % des THF sont le fait d’activités de market making contractuelles ou libres ;
• l’arbitrage statistique qui est en fait une forme de spéculation. Parce que l’action Coca-Cola a monté et non celle de Pepsi Cola, se précipiter pour acheter du Pepsi Cola dont historiquement le cours est très corrélé statistiquement à celui de Coca-Cola et revendre après. Mais si Pepsi Cola ne monte pas en parallèle pour une raison X ou Y, une perte est enregistrée. Ce n’est donc pas un arbitrage au sens premier et pur de ce terme. Un quart des THF seraient dues à de l’arbitrage statistique ;
• l’arbitrage pur : en achetant et en vendant au même moment le même actif qui cote deux prix très légèrement différents sur deux marchés différents (Euronext Paris et Chi-X par exemple), ou un actif et son produit dérivé dont la valorisation ne serait pas exactement celle qui devrait être observée compte tenu de la valeur au même moment de l’actif sous jacent, ou entre ETF (2) et ses composants ;
• l’anticipation d’ordres : il s’agit de détecter de gros ordres sur le marché, dans les carnets d’ordres, mais qui ne sont pas encore exécutés. Ainsi, il pourra être envoyé des ordres de vente pour des petites quantités et, en fonction de la vitesse de réponse des acheteurs, on pourra y voir ou non la présence d’un gros ordre à l’achat. La technique consiste alors à acheter un tout petit peu au dessus de cet ordre. Si le marché monte, un profit est réalisé car on aura pu revendre à ce prix plus élevé. Si le marché baisse, la perte sera très limitée puisque le gros ordre d’achat, tant qu’il est là, offre une protection à la baisse. Mais comme tout ceci se passe en un très court instant, le risque en est limité ;
• la spéculation à très court terme : elle n’est pas basée sur une réflexion sur la valeur de l’actif mais plutôt le fait que sur des très petites périodes les différences de prix peuvent ne pas suivre un marché au hasard (3), mais un momentum qui fait qu’une baisse a plus de chance qu’une hausse de suivre immédiatement trois baisses déjà enregistrées par exemple. Alternativement on peut faire le pari d'un retour à la moyenne. Il s’agit naturellement de spéculation car rien ne garantit que cela se passera ainsi. Enfin, il y a une différence entre suivre une tendance en espérant qu’elle va se poursuivre pour quelques fractions d’instants encore permettant d’en profiter, et la créer pour pousser artificiellement à la hausse ou à la baisse un titre et en profiter ainsi. Ceci est une manipulation de marché, réprimée en tant que telle.
Les techniques de THF, pour être mises en œuvre, nécessitent des moyens informatiques considérables se chiffrant en plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est une course sans fin avec la vitesse de la lumière comme seule limite (4), au point qu’un régulateur parle d’une «race to zero»(5). Autrement dit, seules les plus grandes banques d’investissement, quelques brokers en parallèle de leurs activités de market marker (comme Getco par exemple), des hedges funds quantitatifs (Citadel,...) ou des entités très spécialisées (Tradebot, Wolverine Trading, Renaissance Technologies,...) ont les moyens financiers, techniques (et humains) nécessaires pour mettre en œuvre des techniques de THF.
L’écart entre le haut et le bas de la fourchette affichée permet au market marker de se rémunérer du risque qu’il prend de variations en sens contraire du prix d’un titre qu’il détient en attendant de pouvoir le revendre à un acheteur. Plus cette durée de détention est petite, plus l’écart de prix entre le haut et le bas de la fourchette peut être petit tout en donnant une rentabilité correcte au market marker car le risque est pris sur une courte période. Bien sûr l’opération unitaire est répétée à la queue leu leu tout au long de la journée.
Une fourchette resserrée permet au vendeur de vendre à un prix plus élevé ou à l’acheteur d’acheter à un prix plus faible qu’une fourchette plus large. Ils bénéficient donc de cette course à la vitesse qui n’est donc pas du domaine de la passion mais de la rationalité.
Pourquoi passer tant d'ordres et en annuler aussitôt un aussi grand nombre ?
• Pour détecter comme nous l'avons vu la présence de gros ordres susceptibles de peser sur le marché, mais aussi identifier les prix limites d'intervenants, donner l'impression d'un grand volume d'activité afin que certains intervenants modifient de ce fait leur comportement de prix, pour ralentir la vitesse d'analyse et de celle de réaction d'acheteurs ou de vendeurs potentiellement concurrents. C’est le coté obscur des THF.
• Une partie de ces annulations d’ordre ne correspond pas à des annulations, mais à des modifications de la fourchette des market markers qui ajustent en permanence leurs fourchettes de prix compte tenu des évolutions du marché, c'est-à-dire de l’arrivée de nouveaux ordres. Si cet ajustement, congénital à la fonction des market markers,est fait une fois par jour à votre guichet de change, il est fait ici par fraction de seconde.
* * *
Les travaux académiques qui se sont penchés sur l’utilité sociale du THF commencent à être assez nombreux (n’oublions pas que tout ceci est récent et qu’il faut du recul pour apprécier et pouvoir être publié). Ils concluent plutôt positivement mais non sans réserve :
• les THF, en arbitrant les prix sur les différentes places de marché, participent à l’efficience technique des marchés ;
• les THF ont probablement participé au mouvement de baisse des écarts entre prix offert et prix demandé, réduisant ainsi les coûts de transaction pour les investisseurs ;
• les THF apportent plutôt de la liquidité sur le marché ce qui est bon pour son fonctionnement; mais cette liquidité est souvent très limitée en montant et évanescente quand elle est le plus nécessaire, c'est-à-dire en période de crise (les miracles n’existent pas en finance !) ;
• la baisse de la taille de l'ordre moyen en bourse par un facteur de 5 à 10 depuis 2000 renchérit le coût total des transactions qui sont dorénavant pour les plus grosses fractionnées en plusieurs ordres entrainant des couts de post-trading plus élevés. Ainsi, la transaction moyenne sur le NYSE est-elle passée de 1 600 à 200 actions en 15 ans. Par ailleurs, cette évolution peut inciter des intervenants, pour éviter cette fragmentation des ordres, à quitter ces plateformes pour aller négocier sur les dark pools (6) moins régulés ;
• l'impact positif ou négatif des THF sur la volatilité des cours n'est pas clairement établi ;
• les THF imposent une course à l’investissement technologique coûteux sur laquelle les autres intervenants sont plus ou moins obligés de s’aligner pour tenir leurs coûts d’exécution ou d’abandonner.
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Par contre, il est très inquiétant que, deux ans après le « flash crash » du 6 mai 2010, l’on ne comprenne toujours par pourquoi ce formidable coup de tonnerre dans un ciel bleu s’est produit et quel a été le rôle exact des THF dans son déclenchement. Le consensus (mou) est que les THF ne l’ont pas déclenché mais qu’elles l’ont accéléré. En effet, des intervenants majeurs en THF se sont alors retirés du marché pour se protéger. Rappelons que ce jour là, en 20 minutes, l’indice S&P500 a baissé de l'ordre de 9 % avant de se reprendre d’autant et que l’on a vu l’action Accenture passer de 40 $ à 0,1 $ et de celle de Sotheby’s décoler de 34 $ pour atteindre 99 999,99 $ ! Des ordinateurs avaient travaillé tout seuls illustrant, si besoin était, que la vitesse et l'automatisation poussées très loin sont clairement porteurs de risque systémique.
Depuis d’autres dysfonctionnements de ce type, mais moins spectaculaires, ont pu être observés y compris très récemment sur l’action Apple ou BATS.
Si aller toujours plus vite était systématiquement la bonne réponse, il y aurait longtemps que les limitations de vitesse sur les routes auraient été abolies et jamais Air France ni British Airways n'auraient envoyé Concorde au musée.
Ayant sous-titré cet article « le bon grain et l’ivraie », notre lecteur ne sera pas surpris de nous voir faire le tri entre des techniques de THF qui nous paraissent avoir une utilité sociale : l’arbitrage, le market making, la spéculation et d’autres qui nous paraissent nettement plus douteuses comme l’anticipation d’ordres ou des techniques spéculatives s’apparentant à la manipulation du marché.
De la même façon, il n’est pas normal que des intervenants en THF soient régulés (les banques par Bâle 2 puis 3 : ratios prudentiels, inspection des autorités de contrôle, tests externes des procédures, …) alors que d’autres (les autres) y échappent pour une large part ou totalement.
Le bombardement d’ordres quasiment immédiatement annulés pour la quasi-totalité ensuite et la course à la co-localisation des ordinateurs à coté de ceux des places de marché donnent spontanément une impression négative des THF comme si elles étaient fondées sur la tricherie, la manipulation et la concurrence déloyale au détriment des autres intervenants de marché qui représentent, à défaut d’être encore la majorité des ordres passés, l’immense majorité des intervenants de marché.
A une époque où la cupidité, l'égoisme, voire la malhonnêteté d’une poignée a jeté injustement le discrédit sur la vaste majorité des personnes travaillant dans le domaine financier ; à une époque où un candidat à la présidence de la République, ayant de sérieuses chances d’être élu, déclare que la finance est son adversaire ; on ne peut plus permettre de laisser se développer sans réaction des techniques dont l’utilité collective est incertaine, que les régulateurs ne sont capables de contrôler que de très loin, faute de moyens, et qui font courir des risques mal mesurés mais potentiellement très élevés.
Heureusement, les autorités de marché semblent avoir pris la mesure du problème. En Europe, dans le cadre de la révision de la directive MIFID / MIF, tout acteur significatif en THF devrait être régulé et se voir imposer des contraintes de capitaux propres et de gestion des risques. Ceux qui jouent de facto un rôle de market markers devraient s’en voir imposer les règles. Les co-locations d’ordinateurs devraient être offertes à tout intervenant qui en fait la demande sur une base non discriminatoire, mais il y a des limites physiques …. La notion d’abus de marché devrait être mieux définie et donc plus aisée à réprimer. Des arrêts de marché obligatoire en cas de variations trop fortes des cours ou de la volatilité pourraient être imposés.
Couplés avec les projets de taxation des transactions financières (7), les THF devraient être mieux encadrées rendant le marché plus sûr au prix probable d’une efficacité moindre mais loin d’être rédhibitoire. Après tout, qui se plaint de ne plus pouvoir aller de Paris à New York en 3,5 heures comme au temps du Concorde ?
Et si l'on nous permet, pour terminer, un conseil à l'industrie des THF, ce serait celui de soigner sa communication externe actuellement inexistante car l'opacité et le culte du secret pour le secret ne sont plus de notre époque et ne peuvent que lui être défavorable.
(1) Pour plus d’informations sur la directive MIF / MIFID, voir La Lettre Vernimmen.net n° 63 de mars 2008
(2) Pour plus de détails sur les ETF, voir La Lettre Vernimmen.net n° 86 d’avril 2010 ou le chapitre 23 du Vernimmen 2012.
(3) Pour plus de détails sur la marche au hasard, voir le chapitre 17 du Vernimmen 2012.
(4) Et encore, si les récentes découvertes suisses et italiennes étaient confirmées, on pourrait encore aller plus vite.
(5) Andrew Holdane.
(6) Pour plus de détails sur les dark pools, voir la Lettre Vernimmen.net n° 71 de décembre 2008.
(7) Pour plus de détails, voir la Lettre Vernimmen.net n° 105 de février 2012.
Tableau : Le BFR des groupes européens
Le classement des groupes de l’Eurostoxx 50, à l’exclusion des financières et des immobilières, fait apparaître que près de la moitié d’entre eux ont, à la clôture de leur exercice social 2011, un BFR négatif. Le BFR négatif est ainsi l’un des attributs d’un groupe puissant et il ne fait pas s’étonner de trouver de nombreux groupes puissants dans les membres l’Eurostoxx 50 qui rassemble l’élite de la zone euro ! Comme nous avons eu l’occasion de l’écrire (1) « Le BFR est le témoin d’un rapport de force entre l’entreprise, ses clients et ses fournisseurs ». Il n’y a donc pas que la grande distribution à avoir un BFR négatif.
Au total, l’Eurostoxx 50 a un BFR 2011 négligeable de 11 Md€ pour 2 000 Md€ de chiffre d’affaires, soit l’équivalent de deux jours de chiffre d’affaires :
Globalement, la situation a peu changé par rapport à l’an passé, si ce n’est que ces grands groupes européens ne cessent d’améliorer leurs performances dans ce domaine : alors que leur chiffre d’affaires a progressé de puis 2009 de 22 %, leur besoin en fonds de roulement n’a lui augmenté que de 3%. Il y a probablement des améliorations de productivité (gestion des stocks par exemple) mais aussi, ne nous leurrons pas, des bras qui ont été tordus.
Au-delà de la stabilité apparente du BFR global, on observe que les groupes qui ont un BFR négatif l’ont accru parallèlement à leur chiffre d’affaires, et que ceux qui ont BFR positif l’ont accru aussi.
(1) Voir le chapitre 12 du Vernimmen 2012.
Recherche : Les administrateurs internes ne sont pas tous les mêmes
avec la collaboration de Simon Gueguen
Enseignant-chercheur à Paris Dauphine
Les administrateurs internes, c’est-à-dire les cadres de l’entreprise qui siègent à son conseil d’administration, n’ont pas très bonne réputation dans la recherche empirique. S’ils peuvent apporter leur expertise et leur bonne connaissance de l’entreprise, il leur est souvent reproché d’être trop proches du chef d’entreprise. Lorsqu’ils sont en trop grand nombre, les intérêts des actionnaires seraient moins bien défendus (on parle de hausse des coûts d’agence entre actionnaires et dirigeants). L’article que nous présentons ce mois-ci montre que la réalité est plus complexe : les administrateurs internes ne sont pas tous les mêmes ! (1)
Les auteurs ont identifié ceux qu’ils désignent par « administrateurs internes certifiés » (AIC) : des administrateurs internes qui exercent par ailleurs la fonction d’administrateur indépendant dans une autre société. Le marché des administrateurs indépendants est utilisé comme révélateur de la compétence des administrateurs internes. Or, depuis la loi Sarbanes-Oxley sur la transparence financière (2002), les entreprises ont réduit le nombre d’administrateurs internes, mais ont gardé en priorité les AIC. L’étude présentée montre que ce choix est justifié : les AIC améliorent la performance des entreprises, permettent une meilleure prise de décision, et créent de la valeur pour les actionnaires.
Les résultats, à partir d’un échantillon de 2 317 entreprises américaines entre 1997 et 2006, indiquent que la présence d’un AIC améliore significativement la performance de l’entreprise. Toutes choses égales par ailleurs, les flux de trésorerie d’exploitation augmentent de 1,32%, et le ratio market-to-book de 8,8%. Ce genre d’étude étant sujet à des problèmes d’endogénéité, les auteurs ont utilisé différentes techniques économétriques et procédé à de nombreux tests de robustesse. Ils ont également vérifié que la performance passée n’influait pas sur la présence d’AIC, pour s’assurer du sens de la causalité : ce sont bien les AIC qui améliorent la performance, et non la performance qui conduit à avoir des AIC au conseil d’administration. Les auteurs ont ensuite détaillé les actions spécifiquement entreprises par le conseil d’administration. La qualité des décisions est améliorée par la présence d’AIC (les acquisitions réalisées sont plus profitables, la trésorerie est mieux gérée, le reporting des bénéfices est moins sujet à redressement ultérieur).
Par ailleurs, l’étude montre que les performances opérationnelles sont améliorées lorsqu’un administrateur interne est nommé comme indépendant dans une autre société. Ce n’est donc pas seulement leur compétence en elle-même qui est bénéfique : cette nomination peut réduire la dépendance de l’administrateur interne envers le chef d’entreprise, et l’avantage de l’expertise l’emporte alors sur les problèmes d’agence. Ceci est confirmé par les réactions du marché lorsqu’un administrateur interne devient AIC. L’annonce conduit à une surperformance moyenne de l’action de 0,84%. De même, l’annonce du départ d’un AIC entraîne une sous-performance de 1%.
Cette étude montre donc que les administrateurs internes « ne sont pas tous les mêmes », pour reprendre son titre. Ceux qui exercent par ailleurs une fonction d’administrateur indépendant dans une autre entreprise peuvent apporter une réelle valeur ajoutée dans leur conseil d’administration. Et cette reconnaissance de leur compétence n’agit pas seulement comme un signal : elle motive et libère la parole des administrateurs internes certifiés.
(1) R.W.MASULIS et S.MOBBS (2011), Are all inside directors the same ? Evidence from the external directorship market, Journal of Finance, vol. 66, pages 823-872.
(3) Annual Survey of Manufactures, gérée par le Census Bureau, institut de statistique de l’administration des Etats-Unis.
(4) Le début des années 80 et le début des années 90 correspondent à des bas de cycle, la fin de chacun de ces décennies à des hauts de cycle.
(5) Les résultats sur 5 ans ne sont pas fondamentalement modifiés ; l’essentiel de la restructuration liée à l’opération est achevé après trois ans.
Q&R : Qu'est-ce que les USPP ?
Tout le monde parle de « iouesspipi », mais qu’est-ce que c’est ? Comme vous vous en doutez, dans La Lettre Vernimmen.net, un USPP n’a aucun rapport, à notre connaissance, avec l’émission de télévision « Un Souper Presque Parfait » ! Il en a, par contre énormément, avec les US Private Placement.
Le terme de placement privé (private placement) recouvre de manière générale le placement de titres financiers (actions ou obligations) à un nombre limité d’investisseurs institutionnels (« investisseurs qualifiés »). Le placement peut être réalisé avec une publicité et une information réduite car les investisseurs sont des professionnels et n’ont donc théoriquement pas besoin d’être particulièrement protégés par la réglementation (1).
Sans plus de précision, et en matière d’endettement, le terme private placement sera généralement compris comme l’émission d’un prêt obligataire auprès de quelques investisseurs institutionnels (et parfois d’un seul). C’est donc un moyen de financement au même titre qu’un emprunt bancaire ou d’une émission d’obligations classiques.
Les réglementations européennes sont généralement peu souples pour la mise en place de telles opérations. Il existe un petit marché en Allemagne (les Schuldschein) et en Belgique (placements auprès de personnes physiques). En revanche, la réglementation américaine rend ce type de transaction simple à mettre en œuvre, même s’il faut compter sur une douzaine de semaines entre le moment où la décision d’émettre est prise et la perception des fonds, dont un road show de quelques jours.
Une cinquantaine d’investisseurs sont actifs sur ce marché, essentiellement des assureurs et fonds de pension ayant une perspective de long terme : la maturité des financements est généralement longue (7 à 15 ans et 11 ans en moyenne). Le volume d’émissions 2011 a été au plus haut avec 46,5 Md$, chiffre qui pourrait bien être battu en 2012. Les émetteurs sont aussi bien américains (37% du marché) qu’européens (37% du marché également) ou d’Australie et de Nouvelle Zélande (16%).
Ainsi les private placement américains ou USPP sont devenus une alternative réelle de financement pour les entreprises françaises quelles soient grandes (Veolia, Safran) ou moyenne (Ipsos, Bonduelle). Les « obligations » émises ne sont pas cotées et ne bénéficient donc pas d’un marché secondaire. De ce fait, leur taux de rentabilité actuariel est souvent un peu plus élevé que celui d’un emprunt obligataire coté.
L’opération consiste généralement en un prêt immédiat à taux fixe en dollars, mais on a pu voir récemment des opérations multi-devises, à départ différé voire à taux variables. Comme elle ne doivent pas répondre à des contraintes de liquidité, les émissions (et au sein de chaque émission, les différentes tranches) peuvent être de taille modeste (et inférieure à ce que serait souvent une émission obligataire classique).
Le placement d’un USPP ne nécessite pas un rating d’une agence de notation mais le profil de l’entreprise doit être investment grade. L’émission sera notée par la NAIC (National Association of Insurance Commissioners).
Les USPP apparaissent très attractifs pour un groupe qui veut diversifier ses financements, avoir accès à des financements longs et en dollar, et ce sans avoir de rating. Mais l’émetteur doit garder en tête que la documentation est généralement contraignante (des covenants sont fréquents) et les investisseurs beaucoup moins flexibles lors d’une éventuelle renégociation des termes de l’USPP que ne le sont les banques proches de l’entreprise. Ainsi nous avons vu des opérations stratégiques abandonnées par certains groupes à cause des prêteurs américains intransigeants (la fusion Italcementi-Ciments Français en est un exemple). Il est difficile d’avoir le beurre et l’argent du beurre. . .
Le renforcement des contraintes de solvabilité des banques les contraint dans leur offre de crédit, particulièrement en dehors de leurs marchés domestiques. La nature ayant horreur du vide, les prêts aux entreprises hors circuit bancaire (le shadow banking ) se développent et le marché de l’USPP en est une illustration éclatante.
(1) Pour plus de détails sur les placements privés, voir le chapitre 30 du Vernimmen 2012.
Autre : 22 tableaux statistiques du Vernimmen ont été mis à jour avec des données au 31 décembre 2011
Pour les abonnés à la version électronique en ligne du Vernimmen, disponible sous www.vernimmenenligne.net, nous avons mis à jour les tableaux des statistiques suivants de l’édition 2012 :