La Lettre n°166 de Mars 2019
Actualités : La comptabilisation des locations opérationnelles
Nous avons déjà eu l’occasion de dire tout le mal que nous pensions des projets de l’IASB en matière de réforme des contrats de location simple (ou location opérationnelle), visant à en aligner la comptabilisation sur celle des locations financières (ou crédit-bail), durant la très longue période de gestation de la norme IFRS 16, qui est finalement d’application à partir des exercices ouverts depuis le 1er janvier 2019[1].
C’est malheureusement l’illustration du principe shadokien de « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » ou de « la loi des 3 % » qui veut que les pouvoirs régulateurs ne puissent s’empêcher d’édicter des lois ou des règlements qui s’appliquent à tous, pour réprimer les comportements déviants de simplement 3 % des agents.
Le principe économique
Un certain nombre de groupes, dans des secteurs bien définis, comme l’hôtellerie, les compagnies aériennes, les salles de cinéma, se sont mis dans les années 1980-1990 à louer leurs actifs plutôt que les posséder ou de les acquérir en location financière, pour réduire leur endettement au bilan. Ce n’est pas le cas de la vaste majorité des entreprises. Pour celles-ci, le choix n’est pas entre louer en location simple ou louer en location financière. Elles louent en location simple quand elles veulent garder de la flexibilité opérationnelle, pour pouvoir adapter rapidement la taille de leurs actifs immobiliers à celle de leurs activités. Elles louent en location financière quand elles veulent rester durablement dans des locaux dont elles se ménagent la possibilité de les acquérir à l’issue de la location financière, souvent pour un prix symbolique ; et qu’elles n’ont pas les moyens de les acquérir aujourd’hui faute de liquidités ou de capacité d’endettement classique. On est donc dans une logique de crédit qui est bien différente de celle de la location simple, et qui justifiait bien deux modes de comptabilisation différents pour deux types d’opérations différentes, n’en déplaise à l’IASB.
Alors que ce dernier aurait pu tout simplement demander aux entreprises d’indiquer en annexe à leurs comptes les échéanciers des loyers à venir année après année, permettant à ceux qui le voulaient, de faire les redressements à leur gré comme le faisaient déjà les agences de rating pour les compagnies aériennes, les hôtels, etc. ; et bien non, c’était trop simple.
Rien ne vaut une grande réforme qui modifie l’excédent brut d’exploitation, le résultat d’exploitation, l’endettement net et le flux de trésorerie d’exploitation et pollue le flux de trésorerie disponible, rien que cela !
La mécanique comptable d’IFRS 16
En effet, les entreprises suivant les normes IFRS doivent dorénavant comptabiliser à l’actif de leurs bilans, en immobilisations corporelles, un droit d’usage des actifs qu’elles louent à un propriétaire, dans une location simple ou financière, dès lors que le contrat a une durée de vie supérieure à l’année, porte sur un actif d’une valeur supérieure à 5 000 $, que le loyer n’est pas indexé sur un indicateur variable de l’entreprise comme les ventes réalisées dans le bien loué (magasin, salle de cinéma), et que le contrat ne peut pas être assimilé à une prestation de service comme, par exemple, louer 1 000 m2 d’espace d’entreposage dans un hangar, sans que l’endroit du hangar soit précisément défini et qu’il varie dans les faits.
Pour définir la valeur inscrite en tant que droits d’usage au bilan, il convient d’actualiser les loyers prévus sur la durée probable du contrat de location, a priori 9 ans pour un contrat 3-6-9. Le taux d’actualisation est soit le taux d’intérêt implicite qui ressort du contrat de location (financière), soit le taux d’intérêt marginal auquel l’entreprise pourrait s’endetter pour financer l’acquisition de l’actif pris en location simple. L’actif est ensuite amorti linéairement sur la durée de vie du contrat de location. En contrepartie de ce nouvel actif, l’entreprise inscrit une nouvelle dette financière à son passif. Cette dette se réduit chaque année d’un montant correspondant au loyer versé moins les frais financiers calculés au taux d’intérêt. Les premières années, la dette de location est donc plus élevée que le montant de l’actif de location.
Au compte de résultat, le loyer de location disparaît des autres charges externes. Apparaissent des frais financiers, résultant du produit de la dette de location au bilan par le taux d’intérêt, et une dotation aux amortissements du droit à usage amorti sur la durée du contrat de location. La somme de ces deux montants sera le plus souvent différente du loyer payé, par excès en début de contrat, par défaut en fin. En apparence, l’excédent brut d’exploitation est majoré du montant du loyer, et le résultat d’exploitation des frais financiers ainsi calculés. Nous reviendrons plus loin sur le « en apparence ».
Au tableau de flux, le flux de trésorerie d’exploitation augmente de la dotation aux amortissements des actifs en location.
Que notre lecteur s’arrête un instant sur cette dernière phrase et qu’il se pince. Non, il ne rêve pas : un changement d’une règle comptable, qui ne modifie pas dans la réalité un flux de trésorerie, modifie pourtant dans les tableaux de flux IFRS les flux de trésorerie d’exploitation . . . !
La réconciliation finale avec la variation de la trésorerie, l’IASB étant malheureusement impuissant à faire apparaître des espèces sonnantes et trébuchantes dans les caisses des entreprises, se fait dans les flux de financement avec un pseudo débours de trésorerie dû à la réduction des dettes de location.
Du côté des États-Unis
Les normes comptables américaines évoluent aussi sur ce point de la comptabilisation des locations. Comme en normes IFRS, un droit d’usage est inscrit au bilan parmi les immobilisations avec une dette financière de location en contrepartie. Mais de façon beaucoup plus consensuelle, les groupes américains gardent au compte de résultat et au tableau de flux les loyers des locations simples comme une charge d’exploitation et continueront de traiter les locations financières comme des locations financières. La réduction de la valeur des droits d’usage se fait au bilan par réduction parallèle de la dette de location.
Autrement dit, on ne pourra plus faire en lecture directe des comparaisons de marges d’EBE ou d’exploitation entre les groupes américains et ceux suivant les normes IFRS.
Une nouvelle occasion gâchée de rapprocher les référentiels comptables. Mais qui vous avait dit qu’il fallait faire simple ?
L’EBE apparemment dopé
Qu’est-ce qui fait la popularité de l’EBE, l’EBITDA des anglo-saxons ? C’est que c’est un indicateur avancé du flux de trésorerie d’exploitation. En effet en supposant que les variations du BFR soient négligeables (ce qui n’est pas une hypothèse forte après des années d’efforts de réduction de son montant, et dans un contexte de croissance non flambante), en négligeant les frais financiers (vu les taux d’intérêt actuels) et l’impôt sur les sociétés, l’EBE aboutit, ou peu s’en faut, au flux de trésorerie d’exploitation qui peut être utilisé pour financer des investissements ou rembourser la dette.
Rappelons que, par définition, l’EBE correspond à l’ensemble des produits d’exploitation qui se traduiront tôt ou tard par une entrée de trésorerie, moins l’ensemble des charges d’exploitation qui se traduiront tôt ou tard par une sortie de trésorerie.
Penser, parce que l’IASB a décidé, dans sa sagesse, de transformer des débours de trésorerie, les loyers, en une dotation aux amortissements pour une bonne partie de leur montant, que l’EBE va augmenter parallèlement est d’une naïveté confondante. Est-ce que cette réforme modifie les flux de trésorerie d’exploitation de l’entreprise ? Bien sûr que non ! La finance ne se résume pas à de l’arithmétique ! L’EBE est l’EBE. Il pré-existe pour une bonne partie aux normes comptables. Avant d’être un mode de calcul, résultat d’exploitation + dotation aux amortissements, l’EBE est un concept comme nous l’avons rappelé plus haut.
L’IFRS 16 et les prêteurs
D’ailleurs, les prêteurs ne s’y sont pas trompés, eux qui utilisent intensivement le ratio dettes bancaires et financières nettes/EBE dans les contrats de crédit, soit pour définir une limite entraînant l’exigibilité anticipée du crédit (covenant[2] financier), soit pour moduler le niveau de marge d’intérêt due (margin grid). Le ratio de référence le plus communément utilisé est le leverage : endettement net/EBE. Ce ratio va de fait être déformé par la mise en application de l’IFRS 16, en effet, l’endettement net sera accru de la dette de loyer, et l’EBE du montant des loyers. La magnitude, et même le sens de déformation, dépendront très largement de la nature et de la durée des contrats de location opérationnelle de l’entreprise.
Les contrats de crédit relativement anciens ne prévoyaient pas la mise en œuvre de cette nouvelle norme précisément. Certains d’entre eux contiennent une clause de rendez-vous générale sur les changements de principes comptables, proposant aux parties prenantes de faire leurs meilleurs efforts pour amender le contrat en cas de changement des principes comptables pour que les effets du contrat soient inchangés. On a pu voir ainsi des ajustements de niveau de covenant ou de margin grid lors de la mise en œuvre des IFRS 10, 11 et 12 pour des sociétés passant en mise en équivalence des participations importantes anciennement comptabilisées en intégration proportionnelle (impactant ainsi tant l’EBE que l’endettement net).
La mise en œuvre d’IFRS 16 étant maintenant largement anticipée (il est temps !) par les entreprises, celles-ci prennent en compte ce changement dans les contrats de crédit mis en place depuis quelques mois. Néanmoins, comme l’impact chiffré n’est pas encore finalisé ou n’est pas parfaitement appréhendé par les partenaires financiers, le consensus de place est de retenir les ratios et les covenants sur des données hors IFRS 16. Les entreprises ayant fait ce choix (soit la vaste majorité) devront ainsi à l’avenir présenter l’impact d’IFRS 16 dans les comptes afin que celui-ci puisse être extourné pour le calcul des ratios de crédit, et ce a priori sur la durée du crédit.
C’est donc un nouveau grand succès des IFRS puisqu’un certain nombre d’entreprises vont sur ce thème-là[3]produire deux jeux de comptes. Preuve que cette norme est loin de faire l’unanimité…
Il est néanmoins probable qu’à terme les banques et les entreprises ajustent leurs pratiques et convergent vers des ratios et des covenants directement issus des comptes, donc incluant les IFRS 16. Les référentiels auront alors été ajustés dans l’esprit des prêteurs et ils ne seront pas choqués de voir un ratio de 1,3 pour Air France car celui-ci inclut les avions en crédit-bail (alors qu’à 0,4x ce n’était pas le cas mais il est vrai qu’Air France communiquait déjà en 2017 sur un Endettement net ajusté/EBITDAR de 2,1x…).
L’IFRS 16 et l’évaluation des entreprises
Côté des évaluateurs, cette modification du référentiel comptable cache un piège important dans la détermination du flux de trésorerie disponible. L’on pourrait croire que la hausse apparente de l’EBE compense, dans une optique d’évaluation, la hausse de la dette financière à prendre en compte dans le passage de la valeur de l’actif économique à la valeur des capitaux propres, et que l’affaire est dans le sac. Quelle erreur !
Si l’on peut considérer que la hausse de l’EBE apparent est plus ou moins perpétuelle, au moins tant que dure l’entreprise – ce que l’actualisation à l’infini d’un EBE « à la IFRS 16 » grossi de ces pseudo dotations aux amortissements va concrétiser –, en face, l’endettement supplémentaire est limité à la durée probable des contrats de location en place, tout au plus 9 ans pour un contrat 3-6-9. Donc, la dette « à la IFRS 16 » est massivement sous-évaluée de tous les loyers futurs qui seront payés au-delà de l’échéance des actuels contrats de location, car ceux-ci, à défaut d’être renouvelés, seront remplacés par d’autres contrats d’autres locations.
Pour illustrer ce point, prenons l’exemple de Nestlé qui a publié ses comptes 2018 en appliquant dès cette année IFRS 16. Les loyers d’exploitation sont de 994 MFS, ils sont remplacés partiellement par 705 MFS de dotations aux amortissements « à la IFRS 16 ». Avec un coût du capital de l’ordre de 6,5 %, la valeur supplémentaire de cette dotation aux amortissements fictive qui gonfle en apparence l’EBE est de 10,8 MdFS alors que la nouvelle dette au bilan des engagements de locations simples est de 3,3 MdFS. Soit un écart de 7,5 MdFS représentant 3 % de la valeur des capitaux propres de Nestlé. 3 % n’est pas très significatif, mais si c’est une erreur que l’on peut éviter, autant l’éviter. Mais le 3 % est faible car Nestlé ne fait pas beaucoup de locations.
On vous laisse imaginer ce que cela donne pour une entreprise moins riche que le géant suisse. Pour EDF, par exemple, qui chiffre son supplément d’EBE « à la IFRS 16 » à 0,5 Md€, pour une dette nouvelle de 4,5 Md€, l’impact sur la valeur des capitaux propres d’un calcul hâtif et erroné est de l’ordre de 4 Md€, soit 11 % de sa capitalisation boursière. On aboutit à un chiffre de 13 % pour le SBF 120 (avec une estimation de 116 Md€ de dettes locatives, 28 Md€ de loyers et un coût du capital de 7,5 %) si au lieu de prendre un taux de croissance à l’infini de 0 %, comme dans les exemples précédents, on retient 1,5 %.
Que faire ?
Notre préconisation est de détricoter IFRS 16 dans l’analyse des comptes, en annulant le droit d’usage et la dette de location au bilan, avec imputation de l’éventuel solde de ces deux montants sur les capitaux propres (qui ont été ponctionnés à la mise en place de IFRS 16) ; de corriger les frais financiers et les dotations aux amortissements soufflées par IFRS 16 pour revenir à des dotations aux amortissements qui sont des dépenses non cash comme il se doit, et non un gloubi-boulga. Que l’on ait fait une première entorse à ce principe pour les loyers de crédit-bail (location financière) est vrai, mais tout le monde sait qu’un crédit-bail est une dette financière, et que traduire une réalité économique au-delà d’une apparence juridique est sensé. C’est un point sur lequel le consensus s’est fait très vite et que personne ne conteste. Il est loin d’en être de même pour les locations simples où l’IASB n’a pas cherché le consensus, n’a pas démontré que IFRS 16 était meilleure que ce qu’elle remplace et a joué le passage en force.
Tant que les entreprises publieront la ventilation de leurs dotations aux amortissements entre les vraies et les fausses, de leurs charges financières entre les vraies et les fausses, de leurs dettes de location entre celles dues aux locations financières et les autres, l’analyste aura les moyens de faire correctement son travail. Et nous ne voyons pas comment les entreprises pourraient arrêter de computer ces informations, ne serait-ce que pour faire correctement leurs tests de dépréciation des actifs immobilisés requis par les normes IFRS, sauf à supposer que les évaluateurs se mettent à actualiser autre chose que des flux de trésorerie !
Reste à espérer qu’un jour l’IASB se rendra compte que l’on peut faire simple plutôt que compliqué. À cette aune, le traitement américain nous paraît bien pragmatique et consensuel. C’est dommage pour les européens, mais c’est comme cela.
Tableau : Les taux d'impôt sur les sociétés dans le monde
Le taux moyen de l'impôt sur les sociétés dans le monde en 2019, calculé par KPMG, est de 24 %, ce qui témoigne d'une stabilité depuis 2013.
Les taux d'imposition des sociétés par pays sont assez stables depuis 2017, année où certains grands pays ont abaissé leurs taux d'imposition des sociétés (France, Japon, États-Unis).
Ces taux sont utiles pour calculer l'impôt sur les sociétés à payer sur les bénéfices avant impôt, pour calculer les flux de trésorerie disponibles ou le coût du capital et pour produire des plans d'affaires. Mais ils ne peuvent être comparés d'un pays à l'autre pour apprécier la charge fiscale supportée par les entreprises. En effet, dans certains pays, certaines taxes locales ne sont pas prélevées sur le résultat avant impôt, mais sur la valeur ajoutée, le chiffre d'affaires ou la valeur locative des immeubles. Et ils s'ajoutent à ceux calculés sur le résultat avant impôt et présentés dans ce tableau.
Comme Henri Lagarde l’a très bien montré[1], ces taux ne sont que des taux faciaux qui cachent des modalités d’application qui, en France, ont tendance à alourdir le taux effectif.
Recherche : Une évaluation empirique des conflits d'agence
Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à l’Université
de Cergy-Pontoise
En économie, les problèmes d’agence désignent les situations dans lesquelles un acteur économique (l’agent) agit pour le compte d’un autre (le principal) alors que leurs intérêts divergent. Ces situations sont fréquentes en finance d’entreprise, et elles entraînent à la fois des pertes de valeur et des transferts de valeur entre parties prenantes[1]. Mesurer l’ampleur de ces conflits d’agence est une tâche particulièrement ardue. L’article que nous présentons ce mois[2] relève ce défi.
Les chercheurs s’appuient sur un modèle de financement issu de la théorie du trade-off. Si cette approche est parfois remise en cause[3], le modèle utilisé a l’avantage d’être suffisamment souple pour intégrer de nombreux paramètres clés en matière d’agence. En particuliers, les deux paramètres essentiels que l’étude cherche à mesurer sont :
1- La part des flux de trésorerie disponible (FTD) qui peut être captée par le majoritaire au-delà de sa part au capital de l’entreprise, que l’on désigne parfois par le terme bénéfices privés. Ces derniers sont au cœur du conflit entre majoritaire et minoritaires. En particulier, puisque le majoritaire ne peut capter ces montants que sur les FTD après frais financiers, un niveau élevé de bénéfices privés entraîne un désaccord sur le niveau d’endettement. Le majoritaire choisira un levier financier plus faible que le niveau optimal, afin de capter davantage de bénéfices privés.
2-Le pouvoir de négociation des actionnaires en cas de défaut. Si ce pouvoir est élevé, les actionnaires pourront récupérer une plus grande part de la richesse résiduelle en cas de défaut sur la dette. Cela les incitera donc à déclarer le défaut plus rapidement ; en amont, les créanciers rationnels exigeront un niveau d’intérêt plus élevé. La dette étant plus chère, le levier financier cible sera plus faible.
Pour estimer finalement les coûts d’agence, les auteurs observent le niveau, la répartition et la dynamique du levier financier et en déduisent, à l’aide du modèle, une estimation des paramètres d’agence. Ils étudient pour cela un échantillon de plus de 12 000 entreprises de 14 pays (les États-Unis, le Japon, et les 12 principaux marchés européens). Ils prennent en compte, en particulier, l’environnement légal et fiscal de chacun des pays.
Sur l’ensemble de l’échantillon, la part des FTD captée comme bénéfices privés est estimée à 2,6 % (en valeur médiane) ou 4,4 % (en moyenne). Le pouvoir de négociation des actionnaires en cas de défaut est estimé à environ la moitié (45 %) de la richesse restante. Au-delà de ces estimations, les principaux enseignements de l’étude sont les suivants :
Les écarts entre pays sont faibles. En particulier, la supériorité souvent avancée du common law britannique sur le droit civil (français, allemand ou scandinave) pour lutter contre les conflits d’agence n’est observable que sur les cas extrêmes.
Les principaux déterminants des conflits d’agence sont spécifiques à chaque entreprise. Ces conflits sont plus élevés dans les entreprises dont l’actionnariat est concentré, dont le niveau de trésorerie est élevé, ainsi que les entreprises en croissance et celles qui détiennent des actifs incorporels. Ces critères sont les mêmes dans tous les pays étudiés dans l’article.
Même si ces différents effets sont connus, la grande qualité de l’article est de permettre une quantification crédible de la sévérité des conflits d’agence. Il montre aussi que les déterminants de ces conflits sont les mêmes partout et dépendent peu du pays où se situe l’entreprise (du moins lorsque l’on s’intéresse aux marchés développés). Finalement, l’article montre aussi que les réformes entreprises en Europe pour augmenter le pouvoir des minoritaires (en France et en Italie notamment), se sont traduites par une baisse du niveau estimé des conflits d’agence. Ces résultats sont rassurants tant sur l’efficacité de ces réformes que sur la capacité de l’article à mesurer correctement les conflits d’agence !
[1] Pour plus de détails sur les conflits d’agence, voir le chapitre 28 du Vernimmen 2019.
[2] E. Morellec, B. Nikolov et N. Schurhoff (2018), « Agency conflicts around the world », Review of Financial Studies, vol. 31, page 4232 à 4287.
[3] Voir par exemple, l’article présenté récemment sur le désendettement dans la Lettre Vernimmen n° 165.
Q&R : Comment financer l'augmentation du BFR d'une entreprise en croissance ?
Le premier réflexe est de recourir à l'affacturage, c'est-à-dire à un endettement adossé à vos créances clients, surtout si vos clients ont une meilleure surface financière que vous.
Si cela ne suffit pas à couvrir vos besoins de financement du BFR, c'est que vos stocks sont importants. S'ils ont une valeur sur un marché secondaire (matières premières, champagne en cours de vieillissement, etc.), un financement bancaire sur stocks, ou une titrisation si les volumes sont importants, doivent pouvoir être montés.
Dans les autres cas, et si votre entreprise génère des flux de trésorerie disponible positifs, un financement global (lié à l'entreprise et pas à ses actifs) pourra être envisagé si vous n’avez pas encore atteint les limites d’un endettement acceptable. Sinon, il vous restera les capitaux propres.
Autre : Formations
Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation avec des enseignants que nous avons sélectionnés par l’excellence de leur pédagogie :
ð Ingénierie financière le 7 novembre 2019 à Paris
ð Les mécanismes du LBO et l’environnement du Private Equity le 24 octobre 2019 à Paris
ð Gestion de la trésorerie et des risques financiers : quelles priorités en 2019 le 2 octobre 2019 à Paris
ð Définir la structure de financement adaptée à votre entreprise le 19 novembre 2019 à Paris
Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen
Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. Exceptionnellement, pour ne pas alourdir le contenu de cette lettre, vous ne les trouverez pas ici, mais sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen.
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons publié sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen le portait de cinq femmes dont la réussite dans une carrière financière est éclatante. En espérant que cela aide nos jeunes lectrices à faire le bon choix !
Voici les trois premiers de ces portraits, les deux autres paraîtront dans le numéro d’avril, mais vous pouvez d’ores et déjà les retrouver ici, ainsi que ceux des années précédentes.
Marie-Laure Barut-Etherington, Directrice Générale de BDF-Gestion
En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?
Mon réel intérêt pour la finance, je l’ai découvert quand j’ai mis les mains dedans pour « de vrai ». Parce que c’est une matière bien plus vivante, concrète, excitante, que ce qu’on peut en percevoir en cours. Et c’est surtout très vaste. Mon domaine d’expertise est la finance de marché, et cela un peu par hasard. Je suis en effet rentrée chez Paribas à ma sortie d’HEC, alors que j’avais jusque-là fait des stages de contrôle de gestion et de marketing industriel. Mais l’univers des banques d’affaires m’attirait. Je me suis retrouvée rapidement à la salle des marchés, après avoir passé trois ans à accompagner les chargés de relations avec les grands comptes corporate pour expliquer et proposer l’utilisation des instruments dérivés et optionnels pour la gestion de bilan. J’ai vécu alors en direct la montée en puissance des activités de marché, des années 90 au début des années 2000, avec des souvenirs émus de la crise de la livre, de l’explosion du serpent monétaire européen et des interventions de change, des premières émissions en ECU, de la naissance de l’Euro… Pour mes jeunes collaborateurs à qui j’en parle, c’est la préhistoire des marchés !
J’ai eu aussi la chance qu’on me donne ma chance. J’ai été nommée responsable du desk de trading Repo chez Paribas après deux ans comme trader, et j’ai conservé cette fonction lors de la fusion avec la BNP en 2000, devenant responsable d’une équipe élargie qui couvrait tout le marché repo euro. Traiter sur ce produit, qui consiste à prêter ou emprunter des titres obligataires contre du cash, me plaçait au cœur du trading obligataire, en interaction avec tous les desks car le repo sert en quelque sorte à gérer le stock des positions des autres traders. Ce que j’ai tout de suite aimé dans le trading, c’est la sanction immédiate de ce que l’on fait, l’adrénaline qui monte en attendant la publication d’un chiffre économique qui peut faire partir les prix dans le mauvais sens, la prise de risque qu’il faut savoir doser, mais aussi l’humilité et la rigueur qu’il faut toujours avoir parce qu’on n’est jamais plus fort que le marché.
En 2006, j’ai été approchée par Merrill Lynch pour développer chez eux le repo sur la dette française et j’ai emmené toute ma famille à Londres. Nous y sommes restés deux ans. À notre retour à Paris pour des raisons familiales, j’avais envie de rester sur les marchés bien sûr, mais de passer à autre chose que le trading. J’ai eu une fantastique opportunité à la Banque de France qui cherchait un opérateur de marché expérimenté pour reprendre la gestion de son portefeuille de réserves en dollars. Rejoindre une Banque Centrale de l’Eurosystème en janvier 2009, c’est un peu comme rentrer dans le cœur du réacteur. Ma connaissance des intervenants de marché et des banques m’a permis d’apporter je crois, une vraie valeur ajoutée à l’équipe de gestion des réserves, constituée exclusivement de cadres issus du concours d’entrée, n’ayant donc pas eu auparavant d’autre expérience professionnelle des marchés financiers. Et pour moi, passer du « sell-side » au « buy-side » (du fournisseur -la banque d’investissement- au client - le gestionnaire d’actifs-) a été une expérience particulièrement enrichissante dans ce contexte si particulier de la crise et de ses impacts sur la valorisation des actifs et de la volatilité des marchés, alors même que je n’avais jamais géré de telles sommes puisque le montant des réserves de change de la Banque de France se compte en dizaines de milliards. J’ai pris la responsabilité de l’équipe de gestion des réserves en 2012 et pu, dans des marchés plus calmes à partir de 2014, proposer le lancement d’investissements innovants et sophistiqués pour des réserves de change.
Il y a 18 mois, le gouvernement de la Banque m’a proposé de prendre la Direction Générale de BDF-Gestion, société de gestion filiale de la BdF, et en charge principalement de gérer le fonds de retraite et ses fonds propres. Je suis donc toujours fidèle aux marchés et j’y ai ajouté une dimension supplémentaire, puisqu’une partie de l’actif géré est investi sur les actions. Mais surtout, la grande nouveauté, c’est que je suis à la tête d’une PME après avoir fait l’essentiel de ma carrière dans de grandes institutions. Je passe désormais sans transition de la réflexion stratégique sur le positionnement de la société dans les années à venir, à l’analyse macro-économique qui précède nos recommandations en matière d’allocation d’actifs ou aux opérations sur les fonds que je gère en propre, ou encore à la négociation avec un fournisseur informatique, en passant par l’élaboration du budget ou la liste des contrôles supplémentaires à mettre en place suite à la réforme sur les fonds monétaires. Je peux heureusement compter sur l’expertise et l’engagement de toute mon équipe pour mener à bien les chantiers que nous lançons. Pour 2019, nous allons continuer à avancer sur ce grand projet que nous avons entamé depuis plus d’un an, qui est d’intégrer une stratégie d’investissement ESG (basé sur des critères Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance) dans la gestion de nos fonds.
Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?
Cette question doit s’adresser aux hommes comme aux femmes car forcément elle nous concerne tous. Néanmoins, il est vrai que j’ai évolué, au moins jusqu’à mon entrée à la Banque de France, dans un milieu presque exclusivement masculin (chez Merril Lynch, lorsque je suis arrivée, j’étais la seule trader sur plus d’une cinquantaine de traders taux, et chez BNP-Paribas nous étions certainement moins de 10 % des effectifs). Mais ce n’est jamais en termes d’organisation ou d’équilibre vie professionnelle / vie privée que les questions ont pu se poser. Au contraire, travailler sur les marchés a un grand avantage, c’est que les horaires sont dictés par leurs heures d’ouverture et de fermeture et que lorsque la journée est clôturée, il n’y a pas de réunion qui s’éternise, pas de note à rendre pour la veille mais qu’on ne vous a donnée qu’il y a dix minutes, pas de dossier à emporter pour finir de l’étudier à la maison… Je dirais même que, de ce point de vue, trader ou gérant de portefeuille sont des métiers idéaux pour une femme ayant de jeunes enfants. En revanche, il a fallu que je me mette rapidement au niveau sur le foot, le rugby, le sport en général d’ailleurs, pour avoir des sujets de discussion avec mes collègues à la pause-café. Plaisanterie mise à part, il est évident que je n’ai pu progresser et prendre des responsabilités qu’en montrant que j’étais compétente, disponible et à l’aise dans ce milieu, mais aussi en précisant mes attentes et mes contraintes lorsqu’il y en avait.
Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?
Pour traiter sur les marchés, en tant que trader ou en tant qu’investisseur, il faut d’abord aimer le risque, savoir prendre des décisions très rapidement et résister au stress – et cela m’a aidé et m’aide aussi dans mon rôle de manager – , anticiper, analyser, voire parfois déchiffrer le marché. Même si nous utilisons beaucoup l’analyse macro-économique et financière, certaines décisions s’apparentent parfois à des réflexes devant des évolutions de marché inattendues, et là l’expérience compte. En même temps, il faut avoir l’envie d’apprendre en permanence. Les marchés évoluent, les produits sont parfois complexes et l’information circule de plus en plus vite, ce qui provoque parfois des signaux très brouillés et des réactions inédites de certains actifs, auxquelles il faut savoir bien réagir. Surtout, il est primordial de garder le sens de ce que l’on fait, de se remettre en question et de s’obliger à couper une mauvaise position si nécessaire, d’accepter de perdre sans laisser son ego prendre le dessus. Investir pour compte de tiers est une lourde responsabilité, pas un jeu.
Au-delà, et en tant que responsable, l’important pour moi est d’avoir la confiance de mes équipes et d’inspirer cette confiance à mon autorité de tutelle. Lorsque les enjeux sont des sommes aussi colossales que celles que nous sommes amenés à gérer, le meilleur compliment pour moi c’est que je n’empêche personne de dormir, quel que soit l’état des marchés.
Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
Je ne crois pas avoir été inspirée par un modèle féminin en particulier dans ma vie professionnelle, mais j’ai fait de très belles rencontres. J’ai été frappée, lorsque j’étais responsable des réserves de change et rencontrais fréquemment mes homologues dans les banques centrales de pays émergents, par la grande mixité de leurs équipes, y compris dans des pays où l’on ne s’y attend pas, Indonésie, Philippines, pays du Golfe… Je suis très admirative du parcours de ces femmes, en général surdiplômées, qui ont parfois dû braver des interdits culturels et familiaux pour arriver là où elles sont.
Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ? Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Une étude d’un cabinet anglo-saxon l’année dernière indiquait, qu’en France, seuls 10 % des fonds réglementés par l’AMF sont gérés par une femme. Je suis fière que chez BDF-Gestion cette proportion soit de 30 %. Et dans les salles de marchés, comme je le disais plus haut, les femmes sont largement sous-représentées. Pourtant, les études se multiplient pour démontrer que les performances financières de femmes traders ou gérantes se comparent très favorablement à celles de leurs collègues masculins, au point que certaines sociétés de gestion mettent désormais en avant le fait que tel fonds soit géré par une femme. On reconnaît en général leur approche plus analytique, privilégiant le couple rendement/risque et jouant moins la volatilité.
Alors pourquoi ne voit-on pas plus de femmes en finance de marché ? C’est vrai que lorsqu’on évoque cet univers, l’inconscient collectif visualise des traders en costume cravate qui roulent des mécaniques devant leurs murs d’écrans. Inutile de dire que la vérité est assez différente ! Mais cette image très masculine en impressionne peut-être certaines. Pour moi, le meilleur moyen d’attirer des femmes… c’est qu’il y ait des femmes. C’est ce que j’appelle l’effet « image », et ça marche : une femme candidatera d’autant plus volontiers à un poste où elle verra qu’il y a déjà d’autres femmes dans la place, avec au final un bénéfice pour l’entreprise. Comme partout, c’est la diversité et la mixité d’une équipe, en l’occurrence de gestion ou de trading, qui font sa force et ses performances. Attirer des plus jeunes c’est donc aussi la responsabilité des femmes déjà en poste. Nous devons veiller à ce qu’elles trouvent une place dans nos métiers, adapter si besoin les rythmes et la charge de travail, ce que réclament de toute façon largement les nouvelles générations d’hommes et de femmes qui arrivent sur le marché du travail. Dans le domaine spécifique de la finance de marché, nous devons peut-être rester encore plus vigilants, parce que, si certaines difficultés ou certains préjugés auxquels j’ai dû faire face au début de ma carrière ont disparu, le secteur financier évolue et recherche de plus en plus de profils d’ingénieurs, or on sait que dans ce type de formation, les hommes restent encore largement majoritaires. Je suis convaincue que là aussi, il faut conserver une diversité de profils et que des formations comme HEC ont toute leur place dans les salles de marché ou de gestion.
Monique Cohen, Directeur Associé d’Apax Partners
En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?
Ancienne élève de l’École Polytechnique (X76) titulaire d’une maîtrise de mathématiques, j’ai débuté ma carrière chez Paribas à la Gestion Financière du Groupe.
Au sein de Paribas, j’ai travaillé en 1987 à l’acquisition de la société de bourse Courcoux-Bouvet. Je me suis alors intéressée aux marchés actions dont la dérégulation démarrait.
Après avoir été responsable des émissions actions et des introductions en bourse pour les émetteurs français, je suis devenue en 1998 « responsable mondial du métier actions » pour Paribas, puis pour BNP Paribas de 1999 à 2000.
Depuis juillet 2000, je suis Directeur Associé d’Apax Partners Paris en charge des investissements dans le secteur des Services aux Entreprises et Services Financiers. Je supervise également l’activité d’origination des transactions.
J’ai été membre du collège de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) de juin 2011 à septembre 2014. Je suis par ailleurs membre des conseils d’administration de BNP Paribas, Hermès et Safran et je préside plusieurs comités d’audit ou des nominations.
Je ne peux pas parler de vocation : une démarche du Responsable des Ressources Humaines de Paribas sur le campus de l’X m’a menée à des rencontres intéressantes et j’ai décidé de rejoindre cette banque.
J’ai toujours été soutenue et accompagnée dans mon évolution de carrière par des « patrons » particulièrement à l’écoute et attentifs.
Je n’ai jamais rencontré de difficultés liées au genre, mais en contrepartie je n’ai jamais mis en avant les contraintes liées aux enfants. J’ai toujours montré une grande disponibilité grâce à une organisation domestique « robuste » (défilé de jeunes filles jusque tard dans la soirée si nécessaire).
Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?
Tout concilier demande d’être très organisée et d’avoir beaucoup recours à des aides (et à des compétences) extérieures. La « charge mentale » dont on parle beaucoup aujourd’hui est effectivement forte pour une jeune femme seule ; une organisation de chaque instant permet une véritable efficacité professionnelle sans que cela ne pèse sur la vie privée.
Le soutien du mari (et papa) est particulièrement déterminant.
Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?
Je pense que pour réussir dans une fonction financière, il faut beaucoup de rigueur, de curiosité et d’écoute.
Un financier doit avant tout bien comprendre le métier et bien connaître les équipes pour vraiment conduire des processus budgétaires, des plans à trois ans et des arrêtés de comptes annuels.
Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
J’ai débuté ma carrière professionnelle au début des années au début des années 80/90.
À cette époque-là, il n’y avait pas de femmes « visibles » dans le monde économique. Les femmes commençaient alors à se distinguer dans la culture ou dans le monde politique.
Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
Le fait que seulement 15 % des directeurs financiers en France soient des femmes illustre à mon avis le peu de goût pour les mathématiques des jeunes femmes. Cet état de fait existe depuis longtemps. Il n’est pas suffisamment « combattu », ni par les enseignants de ces matières, ni surtout dans les familles. Les mathématiques paraissent conduire par ailleurs, à des fonctions jugées masculines et parfois même à pénétrer dans les milieux hostiles.
Le luxe, le marketing paraissent non seulement plus glamours mais aussi plus créatifs et davantage porteurs d’avenir.
Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Je pense que le monde économique est beaucoup plus favorable aux femmes aujourd’hui.
Les jeunes diplômées disposent des mêmes diplômes que leurs collègues masculins. Elles peuvent donc à juste titre prétendre aux mêmes fonctions. Elles bénéficient à présent d’une forme de discrimination inversée (au moins jusqu’aux portes « ultimes » du pouvoir).
Dans la finance où il y a toujours peu de femmes, elles auront beaucoup d’opportunités. Les femmes sont souvent mieux organisées (elles ont appris très vite à tout « gérer »). Elles savent se montrer attentives et animer efficacement des équipes.
Si elles savent vaincre leurs réticences sur les chiffres, les perspectives de carrière sont aujourd’hui bien meilleures dans la finance.
Sophie Javary, Vice-Chairman CIB EMEA à BNP Paribas
En tant que femme ayant réussi dans le domaine de la finance, pouvez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le métier que vous exercez ? Comment est née cette vocation ? Avez-vous rencontré des difficultés pour votre orientation ou au contraire avez-vous été soutenue ? Plus tard, avez-vous rencontré des difficultés liées au genre dans votre évolution professionnelle ? Pour vous, quelle est la prochaine étape ?
Beaucoup de questions en une ! Mon parcours de carrière a été assez rectiligne, toujours dans la banque d’affaires, tout en ayant changé de banque plusieurs fois : débuts en tant qu’analyste junior à la Bank of America, puis Indosuez, ensuite 16 ans chez Rothschild (dont j’ai été associé-gérant à compter de 2002) et, depuis 2011, BNP Paribas. J’y suis actuellement Vice Chairman CIB EMEA après avoir dirigé 5 ans le corporate finance EMEA.
Une vocation ? Non ; à HEC, j’aimais la finance et l’économie et je fais un stage à la Bank of America qui propose de m’embaucher. Je découvre un métier qui permet d’être commercial tout en étant très technique, je reste en prise avec la macro-économie et je progresse bien. Le métier de banquier qui traite avec les Clients en haut de bilan vous offre diversité des situations et secteurs, challenge intellectuel, stimulation des opérations. Donc je n’ai jamais eu envie de faire autre chose d’autant que j’ai eu de belles opportunités aussi d’y faire du management d’équipes.
J’ai aussi été portée par la création et l’essor d’un métier, l’Equity Capital Markets, dans les années 90 et la croissance de Rothschild, encore une petite boutique en 1994. J’ai aussi relevé des défis, créer une équipe commune avec ABN AMRO dans une JV qui a bien fonctionné, entrer dans le restructuring à la crise de 2008. Et je n’ai pas hésité à voir ailleurs lorsque je craignais de plafonner.
Est-ce difficile d’articuler vie de femme, vie de famille, et vie de financière ? Comment vous organisez-vous ? Quel est votre secret pour tout mener de front ?
Comment mener tout de front ? Je ne veux surtout pas laisser penser que tout a été facile. De temps en temps, il faut serrer les dents, accepter de stagner pour le bien de sa famille (mais la route est longue). Quand on élève trois enfants en même temps, il faut se doter de règles claires sur ce qui est important des deux côtés, carrière et enfants, s’organiser et ne jamais transiger sur quelques points d’équilibre. Une carrière se vit au long cours, le temps des hommes n’est pas le temps des femmes, tant les femmes qui font carrière que leurs employeurs doivent en tenir compte.
Selon vous, quelles sont les qualités nécessaires pour exercer dans ce domaine ?
Les qualités ? Beaucoup de banquiers très différents réussissent et chacun à leur manière. Mais les qualités de base sont le travail, travailler ses dossiers, l’écoute des clients, le désir de conciliation en interne, l’éthique. Et une dose d’audace, prendre des sujets nouveaux, oser prendre la parole en public, ce qui est la clé pour être visible en interne et en externe.
Quelles sont les femmes ayant pu vous servir de modèles (ou success stories) qui vous ont inspirée au cours de votre parcours ?
La question des role models est souvent posée. On peut très bien faire carrière sans en avoir un en spécifique. Pour moi, j’en ai eu plusieurs, hommes ou femmes d’ailleurs. Il est important pour certaines femmes de leur indiquer le chemin de ce que peut être le pouvoir au féminin. J’ai souvent pensé à des femmes politiques : Indira Gandhi, Madeleine Albright, … Et maintenant dans des conférences, je montre des photos de Madame Merkel face à Trump, et même de la reine Elizabeth. Aucune femme en les observant ne peut se dire que le sommet est inaccessible.
Aujourd’hui, les femmes représentent 15 % des effectifs des directrices financières en France. Qu’est-ce qui, selon vous, explique ce chiffre ? Comment pourrions-nous le faire augmenter ?
Oui la profession de la finance n’avance pas assez vite. Directeurs financiers, banquiers, pourquoi tant de talents à l’entrée et si peu au top 25 ans plus tard ? C’est une vraie question d’égalité et de justice. Les freins sont encore réels, surtout pour nommer des femmes à la tête de P&L. Il faudra encore se battre en faisant un vrai principe de management et que les dirigeants prennent parole fortement pour que cela bouge significativement. Les femmes dans la finance doivent encore se battre, être un peu meilleures que les hommes, et exprimer leur ambition clairement. Certains freins sont encore culturels mais sont bien moindres qu’il y a 10 ou 20 ans ! Ce n’est rien par rapport à ce que Marie Curie avait eu à affronter et pourtant elle est un des seuls scientifiques à avoir eu deux prix Nobel !
Quel(s) conseil(s) pouvez-vous apporter pour inciter les femmes des générations Z et K à se lancer dans la finance ?
Je dis donc aux jeunes femmes qui sortent de grandes écoles, de Dauphine, ou autres : foncez dans la finance, le faible pourcentage actuel de femmes ne va pas durer, vous serez aidées et pas freinées dans vos carrières, si vous exprimez votre ambition. Vos qualités propres, dans la négociation notamment, votre sérieux sont des atouts forts pour la finance. Vous y serez plus visibles que les hommes avec vos clients et vous vous y épanouirez !
[1] Que vous pouvez consulter ici pour Facebook, et là pour LinkedIn.