La Lettre n°201 de Septembre 2022
Actualités : Le Vernimmen 2023 est paru
Comme chaque année le Vernimmen s'ouvre par un texte introductif d’actualité, cette année : La gestion financière par temps d’inflation, où nous expliquons que, même pour une entreprise qui serait capable de parfaitement répercuter sur ses prix de ventes la totalité de la hausse de ses coûts de production dus à l’inflation, cette dernière impactera négativement ses flux de trésorerie (de 18 % dans notre exemple illustratif) et sa valeur (de 30 %) même si l’impact sur le résultat net était nul par construction. Bien sûr, pour les entreprises qui ne peuvent pas répercuter l’inflation supportée sur les coûts sur leurs prix de vente, la situation est moins bonne.
Nous vous laissons découvrir ce texte.
Outre dans l’avant-propos, nous avons bien sûr consacré à ce phénomène de nombreux développements à travers les chapitres concernés. Nous avons aussi ajouté des développements sur les projets de nouvelles normes en matière d’informations extra-financières, sur les experts indépendants tiré de l’expérience de l’un de nous dans un dossier récent, sur la politique ESG des fonds de LBO, etc.
Naturellement, nous avons fait notre travail habituel de mise à jour pour vous offrir un outil de travail au quotidien aussi précis, fiable et exhaustif et pertinent que possible, intégrant :
- les nouvelles dispositions financières, boursières, juridiques, comptables et fiscales ;
- l'ensemble des statistiques et graphiques actualisés présentant les données les plus récentes à juin 2022 (plus de 100 tableaux et graphiques) ;
- les derniers travaux de recherche ayant des applications pratiques.
C'est ainsi qu'entrent dans le Vernimmen 2023 les termes action même, best interest test, chartes, classes de parties affectées, despacking, dribble out, European Sustainability Reporting Standards, International Sustainability Standards Board, Procédure de traitement de sortie de crise, Say on climate, et quelques autres.
Comme tout classique, le Vernimmen vous offre des socles de savoir forgés par la pratique et enrichis par des réflexions conceptuelles, lesquelles ne vous laissent jamais désarmés face à un problème ou une situation financière :
- le plan type d'une analyse financière et d'une analyse boursière ;
- les outils de mesure de la création de valeur;
- les techniques de placements des actions, des obligations, des crédits syndiqués ;
- etc.
Pour vous aider à mieux utiliser votre Vernimmen, chaque chapitre se clôt par un résumé, des exercices (186 en tout) et des questions corrigées (810).
Nous avons utilisé le rabat de couverture pour présenter dans un lexique français-anglais-américain les principaux termes de la finance, ainsi qu'une antisèche (« le Vernimmen » résumé en une page !).
Tant en annexe que dans le corps du texte, de très nombreux graphiques et tableaux vous donnent des éléments de référence et de comparaison. Afin de vous aider à aller au-delà, si besoin, chaque chapitre est doté d'une bibliographie avec des conseils d'orientation vers des papiers de recherche fondamentale ou des articles de presse ou des livres. Enfin, l'index comprend près de 2 000 entrées.
Tant la version en ligne que la version iPad du Vernimmen vous offrent en plus :
- les podcasts de nos MOOC sur l'analyse financière ou l'évaluation des entreprises et de nos cours à HEC Paris (sur le LBO, les fusions-acquisitions, l'augmentation de capital, la structuration de la dette, etc.) ;
- la totalité (pour la version en ligne) ou la quasi-totalité (pour la version iPad) des archives de la Lettre vernimmen.net depuis son premier numéro de juin 2001 (soit 1700 pages environ),
- un glossaire de plus de 2 800 termes de la finance. Pour la version en ligne, nous réalisons à mi année une actualisation et incluons les changements majeurs des réglementations comptables, fiscales, juridiques et boursières,
- les deux chapitres bonus consacrés à l'histoire de l'analyse financière et à la micro-économie financière.
Si vous disposez d'un iPad et souhaitez y intégrer le Vernimmen 2023 enrichi, cliquez ici.
Pour vous procurer l'édition papier du Vernimmen 2023, cliquez ici.
Naturellement les abonnés à la version électronique en ligne du Vernimmen (www.vernimmenenligne.net) disposent de la nouvelle édition 2023 depuis la mi-août. Si vous souhaitez les rejoindre, cliquez ici.
Les propriétaires d’une version papier du Vernimmen bénéficient de conditions tarifaires réduites pour s'abonner à la version en ligne.
Nous vous souhaitons autant de plaisir à utiliser votre nouveau Vernimmen 2023 que nous en avons eu durant ces 700 heures nécessaires pour le créer !
Pour nous écouter présenter le Vernimmen, c'est ici.
Voici ce que certains de ses utilisateurs ont écrit sur le Vernimmen 2023 :
« Vernimmen 4ever »
Nadia Ben Salem-Nicolas
Directrice Générale Adjointe de Nexity, en charge des finances
« Le Vernimmen ? J'y découvre chaque année un degré de lecture supplémentaire qui me permet d'améliorer mes cours. J'ai particulièrement apprécié les nouveaux développements sur la finance verte, c'est un sujet qui intéresse fortement mes étudiants!»
Caroline Emonet-Fournier
Maître de Conférences en Finance Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne.
« Le Vernimmen est incontestablement le manuel de référence des étudiants et des professionnels de la finance d’entreprise. Découvert durant ma formation en finance, il ne me quitte plus depuis. Dans mes différentes fonctions à l’Inspection générale des finances, à l’Agence des participations de l’Etat ou au CIRI, il a toujours eu sa place sur mon bureau. Son exhaustivité et sa grande pédagogie en font un allier indispensable pour traiter les dossiers de tous les jours en revenant aux fondamentaux de la finance, ou pour affronter les situations les plus complexes ! »
Cédric Garcin
Secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI)
« Je me suis régalé dans la lecture du Vernimmen. L’écriture reste très ouverte et pousse à la réflexion, sans avoir l’impression de prendre une leçon à chaque page. Les zones dédiées aux exercices et questions sont bien pensées. »
Etienne Monceau
Analyste financier chez Zonebourse
« La qualité rédactionnelle du livre rend la lecture très fluide, ce qui facilite la compréhension de concepts qui sont parfois plus compliqués. Le travail réalisé toutes ces années est incommensurable. Un must-have de la finance ! »
Alexandre Soyer
Diplômé du Master 272 en ingénierie économique et financière à l'Université Paris-Dauphine.
Le Vernimmen, ah le Vernimmen ! Pour moi, le Vernimmen a été un allié, une référence, un guide indispensable tout au long de la formation. Il est clair, très instructif et accessible à tous. Je le recommande vivement pour toute personne désireuse d'exercer une carrière professionnelle dans le domaine de la finance d'entreprise.
Bétina Yao
Étudiante à CESAG Business School, Dakar.
Actualités : Liquidité et solvabilité dans le secteur de l'énergie
À ceux qui auraient oublié que les prix de l’énergie peuvent être volatiles, ce qui est le propre d’industries à forts coûts fixes, la situation actuelle est un douloureux rappel !
C’est pour cette raison de volatilité que les producteurs d’énergie vendent pour la plupart une portion de leur production à terme[1] sur des marchés organisés comme le Nasdaq en Suède, l’ICE Londres ou sur l’EEX, ce qui leur garantit un prix connu d’avance et fixe leur marge, pour autant qu’ils contrôlent leurs coûts de revient. Ils réduisent ainsi la volatilité de leurs résultats, ce qui n’est pas de mauvaise gestion financière !
Vendant à terme une partie de leur production sur des marchés organisés, ils ne sont normalement pas exposés à un risque de devoir payer à un moment donné un prix stratosphérique pour délivrer à l’issue du contrat à terme l’énergie vendue à travers ces contrats à terme, si les prix ont flambé. En effet, ils produisent cette énergie qu’ils ont en partie vendue à terme ; ils pourront donc la livrer à l’échéance des contrats. Ils ne sont pas comme des spéculateurs qui ont vendu à découvert.
Bien que n’étant normalement pas en risque sur les marchés à terme, les énergéticiens ne sont pas pour autant exonérés des règles qui s’appliquent à tous les intervenants des marchés à terme: ils doivent en entrant dans un contrat à terme déposer sur les comptes de la chambre de compensation de la bourse un dépôt de garantie couvrant en général 2 jours de pertes maximum, et faire face à des appels quotidiens de marge couvrant leurs pertes théoriques au fur et à mesure de la hausse des prix de l’énergie. Et quand ceux-ci passent en quelques semaines de 100 à 500, c'est 400 qui doivent être déposés. Ces 400 ne représentent pour l’énergéticien qu’une perte d’opportunité : s’il n'avait pas vendu d’avance une partie de sa production à 100, il aurait pu la vendre à 500 aujourd’hui ; et non une perte réelle qui diminuerait sa solvabilité.
Par contre, sa liquidité est sérieusement entamée, car il faut déposer en chambre de compensation la hausse de la valeur du prix de l’énergie, même si au dénouement du contrat, il retrouvera les 400 en question, mais comme les ventes à terme ont pu se faire avec une échéance de plusieurs trimestres, voire années, le temps de l’illiquidité ou de la tension de la trésorerie peut être long !
Et c’est exactement ce que l’on voit depuis plusieurs semaines, où des gouvernements ont dû aider des énergéticiens à faire face à des appels de marge de plusieurs Md€ ou plusieurs dizaines de Md€ dans la plupart des pays européens. Est ainsi expliqué ce paradoxe de prix de l’énergie élevé et de problème de liquidité des énergéticiens, alors que l’on aurait pu penser que le premier fait rendait impossible le second. C’est vrai, mais uniquement pour les énergéticiens qui ne se sont pas couverts, c’est-à-dire pour ceux qui ont pris le risque de prix, c’est-à-dire un risque de solvabilité…Car si les prix peuvent flamber, ils peuvent aussi s’effondrer comme on l’a vu durant la pandémie de 2022.
Tout autre est la situation de certains énergéticiens qui ont des problèmes inattendus de production ou d'approvisionnement, qui menacent leur liquidité ET leur solvabilité. Ainsi Uniper que ne s’attendait pas à ce que la Russie n’honore pas ses engagements contractuels de livraison de gaz. Uniper doit alors acheter sur le marché, au prix du marché (500 par exemple), pour le livrer à des clients auxquels Uniper est lié par des contrats commerciaux (à 100 par exemple). Ou EDF privé par le fait du prince de l’État français de 20 TWh de sa production nucléaire qu’il doit céder à un prix inférieur de 5 à 10 fois à celui du marché pour les livrer à ses concurrents, et qu'il doit se procurer sur le marché, au prix du marché, pour le livrer à ses clients avec qui il est contractuellement lié. Ou lorsqu’EDF est obligé d’arrêter des tranches de centrales nucléaires pour des problèmes inattendus de corrosion.
Ces pertes rongent alors à la fois la liquidité et la solvabilité de ces acteurs, et pas pour de petites sommes : 29 Md€ pour EDF qui a fait 18 Md€ d’EBE l’an passé. . . et dont l’endettement net va franchir les 100 Md€ selon toute vraisemblance.
Tout ceci explique que la taxe envisagée par Bruxelles sur les sur-profits réalisés par les énergéticiens du fait de la flambée inouïe des prix de l’énergie rapporte si peu au niveau européen, 140 Md€. C’est tout simplement parce qu’une partie de ces profits a déjà été redistribuée aux consommateurs via les contrats d’approvisionnement à des prix fixés sur moyenne période, et qu’une autre partie a été réduite par des pertes paradoxales en ces temps de prix de l’énergie si élevés, mais due à des faits du prince ou à des impondérables.
Recherche : La fiscalité des dividendes et son impact sur les politiques d'investissement
Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université
Étant aussi une science sociale, la finance n’est pas un terrain favorable à l’établissement de causalités claires. Les conséquences des réformes fiscales touchant aux dividendes ou aux rachats d’actions en sont un bon exemple. Ce genre de réforme a potentiellement des conséquences multiples : sur la politique de distribution des entreprises, sur la gestion de trésorerie, sur les investissements, etc. Tous ces éléments étant interdépendants, il est difficile d’isoler et de mesurer correctement les différents effets.
Dans ce genre de situation, l’idéal serait d’effectuer une expérience grandeur nature, avec une réforme pérenne, non anticipée, et qui ne touche qu’une partie des entreprises pour bénéficier d’un groupe de contrôle. Parfois, les décisions politiques offrent un tel espace de travail. L’article que nous présentons ce mois[1] exploite une réforme qui dispose de ces qualités.
En 2011, une réforme fiscale en Suisse touchant l’apport en capital[2] a entraîné la possibilité pour une partie des entreprises cotées (environ la moitié d’entre elles) de verser des dividendes non taxés chez leurs actionnaires. Cette réforme est pérenne[3], non anticipée, elle ne concerne qu’une partie des entreprises, et elle est massive (le taux d’impôt est réduit à zéro). Elle permet donc, en comparant les entreprises concernées par la réforme et les autres, de mesurer assez bien ses effets.
La première question posée est celle de l’impact de la réforme sur la politique de distribution des entreprises. Les études précédentes sur ce thème avaient obtenu des résultats mitigés. En 2003, une baisse des impôts sur les dividendes aux Etats-Unis avait provoqué une augmentation significative des versements de dividendes. Toutefois, une étude[4] a montré que les rachats d’actions avaient chuté d’un montant équivalent, si bien que la distribution de cash aux actionnaires n’avait pas changé.
Sur la réforme suisse qui nous intéresse, les effets sont en revanche très marqués. Le taux de rendement des dividendes a fortement augmenté pour les entreprises concernées ; toutes choses égales par ailleurs, il a augmenté de 0,672% (à comparer à un taux moyen de 2%). Au même moment, les entreprises qui n’ont pas bénéficié de la réforme ont maintenu le même taux. Aussi, cette hausse n’est pas compensée par une diminution des rachats d’action, si bien que le taux de distribution total a lui aussi augmenté.
La deuxième question, plus difficile, concerne l’impact de la réforme sur la politique d’investissement. De manière générale, les auteurs n’observent pas de différence dans les politiques d’investissement des deux groupes d’entreprises. Il semble donc que la suppression de la fiscalité sur les dividendes, induisant leur hausse, n’affecte pas (ou pas significativement) la politique d’investissement. Pour comprendre ce phénomène, les auteurs étudient l’utilisation du cash dans les deux groupes d’entreprises. La hausse du taux de distribution entraîne mécaniquement une baisse des mises en réserves dans les entreprises concernées. Non seulement ces entreprises ne compensent pas cet effet par une réduction des rachats d’actions, mais elles ne le compensent pas non plus par des augmentations de capital. A l’arrivée, le cash disponible pour les investissements est réduit.
Les auteurs proposent comme explication l’existence de deux effets opposés. D’un côté, la réduction de fiscalité sur les dividendes diminue le coût des capitaux propres (et le coût total du financement), car les investisseurs en tiennent compte dans leur exigence de rentabilité. Cela incite à investir car les projets créateurs de valeur sont plus nombreux. De l’autre, cette fiscalité avantageuse incite à davantage de distribution de cash, et, cette distribution n’étant pas compensée, le cash disponible pour investir est réduit. L’effet net, sur l’échantillon étudié, est nul.
Finalement, l’article montre que la réforme n’a pas atteint son objectif premier : favoriser l’investissement. Pour autant, l’effet profond de la réforme sur les entreprises reste à étudier. En supprimant la fiscalité des dividendes pour les actionnaires, la réforme a fortement réduit l’avantage fiscal de la dette, souvent considéré comme un élément de distorsion dans le choix de financement. Les auteurs considèrent que la réforme a possiblement ainsi réduit les problèmes d’agence découlant de cette distorsion. Ils remarquent aussi avec une certaine malice que les banques suisses ont été autorisées, après la crise des subprimes[5], à verser des dividendes non taxés à leurs actionnaires en compensation de leurs obligations de reconstituer des capitaux propres. A la lumière des résultats obtenus par cet article, l’efficacité de cette mesure mériterait d’être réétudiée.
[1] D.Isakov, C.Perignon et J.P.Weisskopf (2021), What if dividends where tax-exempt? Evidence from a natural experiment, Review of Financial Studies, vol.34(12), pages 5765 à 5795.
[2] Un apport de capitaux propres par les actionnaires existants et inscrit au bilan en réserves, offrant la possibilité d’un remboursement non fiscalisé.
[3] Ou du moins présentée comme telle, il s’agit de fiscalité…²
[4] J.R.Brown, N.Liang et S.Weisbenner (2007), Executive financial incentives and payout policy: firm responses to the 2003 dividend tax cut, Journal of Finance, vol.62, pages 1935 à 1965.
[5] Pour plus de détails sur les crédits subprime, voir La Lettre Vernimmen.net n°60 d’octobre 2007.
Q&R : Qu'est-ce qu'une classe de créanciers affectés ?
Depuis fin 2021, dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire, et pour les entreprises réalisant au moins 40 M€ de chiffre d’affaires, ou seulement 20 M€ mais avec plus de 250 personnes employées, les comités de créanciers sont remplacés par, au minimum, deux classes de parties affectées, dont au moins celle des actionnaires si leurs droits ou participation au capital de l’entreprise sont affectés par le plan de sauvegarde ou de redressement. La répartition des créanciers dans les classes est laissée à l’appréciation de l’administrateur judiciaire, mais ne peuvent se retrouver dans la même classe ni des créanciers avec et sans garantie, ni des créanciers avec des niveaux de subordination différents. Il s’agit donc de réunir dans chaque classe des parties aux intérêts convergents compte tenu des garanties dont elles bénéficient, de la maturité et des natures de leurs créances, et qui seront traitées de la même façon.
Classe de créanciers affectés est l’un des nouveaux termes qui entrent dans le Vernimmen 2023. Pour approfondir, voir son chapitre 50.
Autre : Nos lecteurs écrivent
Impôt minimum des multinationales / reporting par pays (CbCR public) : en Europe la transparence fiscale exigée des entreprises va monter d’un cran
Christine Chassaigne-Servey, EM Strasbourg, laboratoire LaRGE
L’OCDE a finalisé l’année dernière une réforme de la fiscalité internationale ambitieuse et très aboutie. Certes, en dépit de l’accord historique signé en 2021 par plus de 130 pays, son adoption se fait attendre dans les grandes zones économiques. Mais l’UE demeure très volontaire et le nouveau paradigme fiscal pourrait s’y appliquer dès 2024. Les groupes français présents à l’international dont le chiffre d'affaires dépasse 750 m€, doivent dès lors rapidement s’atteler à la mise en pratique des nouvelles règles, tant pour estimer leur impact financier que pour être en mesure de remplir leurs nouvelles obligations déclaratives. Plus globalement ils devront faire face rapidement à de nouvelles exigences fortes de Bruxelles en matière de transparence fiscale
A. REFORME NECESSAIRE
Concurrence fiscale entre états et planification fiscale agressive des entreprises
- Durant les deux dernières décennies, dans le cadre d'une économie toujours plus mondialisée et numérisée, les États se sont livrés à une concurrence fiscale féroce qui a entrainé une baisse du taux moyen d’impôt sur les sociétés (IS) de près de 30%[1] entre 2008 et 2018
- Mais ceci n’expliquerait que la moitié de la réduction[2] des taux effectifs d’imposition des groupes multinationaux. Le reste résulterait de schémas d’optimisation. Depuis 2017 les grands groupes doivent fournir aux autorités un reporting fiscal par pays (CbCR). L’analyse réalisée fin 2021 par l’OCDE sur la base des données récoltées et anonymisées, atteste d’un décalage marqué entre le lieu où sont exercées les activités économiques et celui où sont déclarés les bénéfices [3].
Encadrement indispensable
- Cette situation est source de distorsions de concurrence. Les valorisations d'activités reposent notamment sur l’actualisation de flux de trésorerie disponibles après IS. Or on observe dans les comptes de plusieurs multinationales du numérique pratiquant une planification fiscale agressive, un taux effectif d’IS inférieur de plus de 13 points au taux théorique, ce qui influence mécaniquement très positivement les valeurs d’activité (impact de presque 20%).
- Le principe d’égalité devant l'impôt est ainsi rompu. Plus les activités sont globales et digitalisées et plus l’optimisation fiscale est aisée. Des esprits cyniques soulignent alors qu’il ne reste plus que les « activités modestes et/ou difficiles à délocaliser physiquement » pour acquitter l’IS.
- Le manque à gagner est massif puisque l’OCDE l’estime pour l’ensemble des états à quelques 240 Mds$ annuels et il risque d’augmenter.
B. REGLES COMPLEXES AUX EFFETS BUDGETAIRES LIMITES EN FRANCE
Coût de conformité important de la réforme pour les entreprises
Dans le contexte décrit ci-dessus, l’OCDE a élaboré une réforme fiscale ambitieuse reposant sur 2 piliers.
- Le premier ne concernera que la centaine de groupes affichant un chiffre d’affaires mondial de plus de 20 Mds€ et son impact budgétaire sera limité. Il vise à attribuer aux juridictions où sont réalisés les ventes, 25% du résultat réalisé au-delà d’un « profit basique » fixé à 10% du CA.
- Le pilier 2 concerne les quelques 8000 entreprises dont le chiffre d'affaires consolidé dépasse 750 m€ : elles devront justifier d’un taux effectif d’IS d’au moins 15% dans chaque juridiction d’activité. A défaut elles acquitteront un complément principalement dans l’état de résidence de leur siège. L’OCDE a publié fin 2021 les règles du second pilier (Globe) puis les a commentées en 2022. Si les premières estimations d’impact pour les groupes français font ressortir des montants globalement limités, les entreprises concernées ont en revanche réalisé l’extrême technicité de leurs nouvelles obligations déclaratives (quelques 17 pages dans les nouvelles règles sont consacrées aux seules définitions !) et l’urgence de la collecte à organiser dans les systèmes d’information. Le recensement précis des filiales concernées, l’alimentation des reportings dédiés comprenant des impôts différés ajustés spécifiquement, l’exercice de certaines options proposées, sont autant de difficultés que les groupes doivent résoudre rapidement. L’entrée en vigueur initialement prévue en 2023 mais désormais repoussée à 2024 au plus tôt au sein de l’EU, permet toutefois une gestion plus sereine du projet.
Bénéfice limité pour Bercy
A l’échelle hexagonale, les recettes fiscales supplémentaires liées à la réforme représenteraient 5 Mds€ annuels collectés auprès de groupes français implantés à l’international mais elles pourraient se tarir ensuite. On s’attend en effet à ce que les paradis fiscaux augmentent leur taux d’IS à 15% de sorte que la « top-up tax » leur revienne. Les Emirats Arabes Unis et l’Irlande ont déjà amorcé cette hausse.
C. ENJEUX POLITIQUES MAJEURS
Négociations transatlantiques tendues
La réforme fiscale de l’administration Trump avait permis aux multinationales américaines à compter de 2018, de rapatrier vers leur siège en franchise d’impôt, les résultats générés par les filiales étrangères, même en cas d’imposition faible dans les juridictions de marché. Elle avait ainsi conforté certains géants de la tech, dans leurs pratiques d’optimisation fiscale hors US. Plusieurs pays dont la France, l’Italie, le Royaume Uni, l’Espagne et l’Autriche avaient alors en réaction, instauré une taxe numérique assise sur les ventes locales.
On sait que les Etats Unis sous mandature Trump n’avaient pas signé l’instrument multilatéral développé par l’OCDE pour lutter contre l’érosion des bases imposables (BEPS). L’administration Biden a au contraire joué un rôle moteur dans l’élaboration de la réforme fiscale OCDE. Ce faisant, elle a obtenu sur le pilier 1, de très importantes concessions : limitation aux quelques cent plus grands groupes mondiaux, élargissement à tous les secteurs économiques, abandon obligatoire de l’ensemble des taxes numériques.
Instrumentalisations politiques
En Europe, la directive de transposition du second pilier était finalisée fin 2021. L’application était prévue dès 2023, après recueil de l’unanimité des états membres, condition incontournable pour la mise en œuvre. Mais la Pologne, dont la part du fond de relance communautaire restait gelée pour cause de non-respect de l’état de droit, a agité son droit de véto pour obtenir le déblocage de 24 Mds€. C’est ensuite la Hongrie qui a torpillé le texte pour des raisons analogues, de sorte qu’à date, le processus d’adoption semble enlisé.
Volontarisme européen
En réalité, Bruxelles ne désarme pas et souhaite désormais recourir à la coopération renforcée pour entériner le Pilier 2 dans les états membres désireux d’avancer. Ils devront être au moins au nombre de neuf. En tout état de cause l’entrée en vigueur interviendra au plus tôt en 2024.
Effet domino ?
Aux Etats Unis, la toute nouvelle loi « IRA » d’aout 2022 instaure un impôt minimum de 15% sur le résultat comptable consolidé des groupes dès lors qu’il dépasse 1 Mds$ ; Ce texte qui devrait générer quelques 35Mds$ annuels de recettes fiscales supplémentaires ne transpose aucunement selon le Washington Post la réforme OCDE mais entame au contraire sévèrement l’espoir des partisans de cette dernière. Les US seront toutefois attentifs à l’adoption du pilier 2 dans l’UE car elle permettrait aux états européens de prélever un impôt complémentaire auprès des filiales de groupes américains implantés dans leur juridiction[4] (c’est une possibilité que prévoit la directive de transposition). En réaction, Washington pourrait à son tour entériner les règles du pilier 2.
D. TRANSPARENCE FISCALE A MARCHE FORCEE EN EUROPE
L’agenda Bruxellois à venir est jalonné par l’entrée en vigueur de plusieurs textes qui vont renforcer les obligations de transparence fiscale des entreprises.
Nouvelles directives
Depuis 2017, dans le cadre du reporting par pays (CbCR), les grands groupes doivent décliner aux autorités par juridiction, les ventes, les effectifs, les actifs corporels, le bénéfice, l’impôt dû et l’impôt acquitté. Une directive de 2021 les obligera à compter de l’exercice calendaire 2025 à rendre public le CbCR.
Une autre directive portant sur les sociétés écrans (shell companies) contraindra à compter de 2024 les groupes utilisant des holdings (entités dégageant essentiellement des revenus passifs transfrontaliers et dont la gestion et l’administration sont globalement sous-traitées) à justifier de leur substance sous peine ne plus bénéficier des dispositions fiscales avantageuses des conventions et des directives, applicables aux dividendes et intérêts notamment.
Taxonomie sociale
Enfin sur le front RSE, la « Taxonomie Verte » de Bruxelles impose aux entreprises depuis 2022 de nouvelles obligations de publication en matière d’environnement. La prochaine étape décisive porte sur la « taxonomie sociale » qui couvre notamment la fiscalité et son rôle dans le financement des autorités publiques[5]. Bruxelles qualifie dans ce cadre, les pratiques de planification fiscale agressive de fortement dommageables. Or les règles du pilier 2 OCDE qui obligeront les entreprises à déterminer leur taux effectif d’imposition par juridiction permettront aux états de disposer d’indicateurs sérieux quant à la contribution des groupes à leurs recettes (le CbCR reste sur ce point incomplet car le bénéfice déclaré peut-être très inférieur au résultat économique global réalisé par l’ensemble des filiales d’un groupe dans une juridiction de marché. Il ignore de plus les impôts différés).
On comprend alors la volonté ferme affichée par l’UE d’entériner le pilier 2, d’autant que Bruxelles a exprimé dès 2021 sa volonté d’imposer rapidement aux grands groupes la divulgation publique des taux effectifs d’imposition par juridiction calculés selon les règles « Globe »[6].
Conclusion
La digitalisation de l’économie va se poursuivre et la réforme de l’OCDE certes imparfaite, constitue la seule réponse sérieuse à la planification fiscale agressive que
pratiquent certaines multinationales au détriment des juridictions de marché.
Les nouvelles règles prévoient la collecte de données complémentaires au CbCR, plus efficaces pour mettre à jour les politiques fiscales des entreprises et apprécier leur contribution aux finances publiques, notamment au sein de l’UE. L’adoption de la réforme OCDE sur le vieux continent, au moins s’agissant de son volet déclaratif est donc très probable même si le calendrier est décalé.
Plus globalement, les entreprises qui auront à cœur d’afficher des politiques RSE exemplaires en Europe, devront intégrer la fiscalité dans leurs paramètres décisionnels car les obligations de transparence dans ce domaine y seront rapidement renforcées
Reste à espérer, afin de ne créer aucun « désavantage compétitif » pour les groupes Européens, que le volontarisme de Bruxelles sur ce sujet ne sera pas isolé mais synchrone avec celui d’autres puissances économiques…
[1] OCDE Statistiques de l'impôt sur les sociétés : édition 2021, p. 9
[2] FT Multinationals pay lower taxes than a decade ago, March 11, 2018
[3] OCDE, Statistiques de l'impôt sur les sociétés : Troisième édition 23 déc. 21 p. 42
[4] D Gutmann, Publication par l’OCDE du modèle de Règles du Pilier 2 et adaptation Européenne, 15/2/22 II
[5] Draft Report by Subgroup 4: Social Taxonomy, July 2021: 6.3.4. Tax transparency
[6] Communication from the commission to the European parliament and the council: Business Taxation for the 21st Century: 3.1 Ensuring fair and effective taxation, action 1 by 2022
Autre : Formations
Voici les dates des prochaines formations que nous avons conçues pour Francis Lefebvre Formation, avec des enseignants que nous avons sélectionnés pour l’excellence de leur pédagogie :
-
« Définir la structure de financement adaptée à votre entreprise »
le 10 novembre 2022,
à Paris. -
« Les mécanismes du LBO et l’environnement du private equity »
le 5 octobre 2022,
à Paris.
Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen
Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière, des réponses à des questions qui nous sont posées ou des citations.
En voici quelques-uns :
150 % au-dessus du point mort dans l’industrie automobile !
C’est la performance affichée par Stellantis à l’occasion de la publication de ses résultats semestriels. Compte tenu de la cyclicité des résultats dans le secteur de l’automobile, dont témoigne ce graphique tiré de la page 806 du Vernimmen 2023,
une telle situation permet de supporter une baisse des ventes jusqu’à 60 % tout en restant profitable. Ceci est d’autant plus remarquable que Stellantis est surtout présent sur le segment des voitures de masse (Peugeot, Citroën, Fiat, Chrysler) et peu sur celui des voitures de luxe (Maserati, DS). Il est vrai que le plus haut historique de 14,1 % pour la marge opérationnelle est aussi bluffant.
Chapeau bas, Monsieur Tavares et ses équipes.
Une sidérante inefficience
Cela s’est passé pendant que vous étiez à la plage ou à la montagne, sur le marché américain, où une fintech de Hong Kong, avec 50 employés, 3 ans d’existence et 25 M$ de chiffre d'affaires, s’est introduite en bourse sur le Nasdaq le 15 juillet à 7,8 $ l’action. Son cours a grimpé le 2 août à 1.679 $, lui donnant une capitalisation boursière de 310 Md$, soit plus que celle de la première banque mondiale, J.P. Morgan, et on ne parlera pas du cours atteint en milieu de séance à 2.550 $, soit 327 fois le prix d’introduction !
Il est vrai que le descriptif de ses activités le justifie pleinement : "...agir comme un accélérateur de croissance pour les meilleurs entrepreneurs et les idées innovantes, en fusionnant de manière synergique tous les éléments au sein de l'écosystème AMTD SpiderNet, en utilisant des moyens numériques, en exploitant et en amplifiant la puissance de chaque partenaire, pour créer une force ayant un impact social, technologique et économique significatif et influent. » ...
Le cours est depuis retombé à 100 $, soit quand même le 13 fois le prix d’introduction, ce qui donne une capitalisation boursière de 18 Md$, équivalente à celle de la Société Générale, ou du double de celle d'Amundi.
Seule explication rationnelle à cette aberration sur le marché financier supposé le plus efficient du monde (sauf exception doit-on ajouter), un symbole de cotation, AMTD, bien proche de celui du fabricant de semi-conducteurs AMD dont le cours a pris 33 % en juillet. Comme quoi l’étourderie, alliée à l’incompétence, produit un cocktail détonant dans des proportions stupéfiantes.
Le droit de préemption : le droit de payer plus cher ?
Il peut arriver lors de la vente d’une entreprise qu’un tiers ait un droit de préemption statutaire ou contractuel qui lui permette, s’il le souhaite, de préempter la vente au même prix que celui proposé par l’acheteur.
Ce droit complique naturellement un processus de vente puisque les acheteurs ne sont jamais sûrs qu’au prix qu’ils proposent, le bénéficiaire du droit de préemption ne va pas l’utiliser pour acquérir la société mise en vente, et qu’ils auront alors servi de lièvres. Notre expérience des fusions-acquisitions nous a souvent permis d’observer que cela conduit en fait à des prix plus élevés car l’acquéreur, qui sait qu’un droit de préemption peut être exercé au prix qu’il propose, a tout intérêt à aller au bout de ses possibilités financières s’il veut vraiment acquérir l’actif.
C’est probablement ce que l’on observe avec la mise en vente des actifs déchets de Suez au Royaume-Uni par Veolia qui a annoncé un prix de 2,4Md€ proposé par Macquarie Group, ouvrant une période de 30 jours ouvrés permettant au nouveau Suez de les (ré-)acquérir au même prix. Ce dernier est bien au-dessus de ce qui était attendu avec un multiple de 16,9 fois l’EBE 2021, poussant à son annonce le cours de Veolia de 2 % contre 0,8 % pour le CAC 40. Ce multiple est au-dessus du multiple payé par Veolia pour acquérir Suez (9,5 fois), même si la comparaison des deux multiples ne peut pas être directe, car Veolia a acquis de nombreux actifs différents avec des multiples différents au sein de Suez ; le 9,5 est une moyenne.
Cette transaction montre aussi que les financiers, à tort ou à raison, continuent dans un certain nombre de cas de payer des prix plus élevés que les industriels.
In fine, Suez, contrôlé par des investisseurs financiers, a exercé son droit de préemption.
SEB et l’inflation
Au 30 juin 2022, le BFR de Groupe SEB a bondi de 700 M€ (à 1,8 Md€) par rapport au 30 juin de l’année précédente, avec un niveau d’activité à peu près stable. LE BFR est ainsi passé de 14,8% des ventes à 22,3%, soit son plus haut historique depuis 10 ans. Et l’endettement s'est accru d'autant. L’inflation explique l’essentiel de ce phénomène, concentré quasi uniquement au niveau des stocks, avec des effets différents.
D’abord la montée du prix des matières premières, des composants et du fret qui renchérit, à volumes égaux, le montant des stocks puisque ceux-ci incorporent des matières, des composants et des frais de transport plus chers. Ensuite, une modification du comportement des consommateurs face à l’inflation qui, soit achètent moins par précaution ou en raison de moyens réels réduits, soit achètent des produits de gamme inférieure moins chers. D’où des stocks de produits finis plus élevés que prévu, compte tenu de ces changements de comportement des acheteurs. On ajoutera les engorgements de la chaîne logistique qui allongent les temps de transport des produits finis, et retardent donc le moment où ils peuvent être vendus.
Des coûts de matières et de fret plus élevés, une modification du mix-produit au profit de produits à moindre marge induisent une baisse de la marge opérationnelle d’un bon tiers, de 8,9 à 5,4 % des ventes.
Notons, ce qui est impressionnant pour un groupe qui ne fait pas partie des plus grands groupes mondiaux, que Groupe SEB a été capable de publier ses résultats semestriels consolidés au 30 juin dès le 21 juillet, ce qui est l’indice d’une très bonne gestion. Bravo aux financiers de Groupe SEB qui ne prennent sûrement pas de vacances début juillet !