La Lettre n°223 de Janvier 2025
Actualités : Dividendes et rachats d'actions au sein du CAC 40 en 2024
Pour la 22e année, nous publions les résultats de notre étude annuelle. Avant de les livrer, rappelons trois points à notre lecteur pour qui les souvenirs des chapitres 38 et 39 du Vernimmen[1] seraient trop lointains :
- Pas plus qu’un retrait à un distributeur automatique de billets ne vous a jamais enrichi, dividendes et rachats d’actions n’ont jamais enrichi les actionnaires, puisque la valeur de leurs actions baisse mécaniquement du même montant dès le versement du dividende. Pour les rachats d’actions, c’est la valeur des capitaux propres qui baisse du montant du rachat d’actions et la stabilité de la valeur de l’action est obtenue, malgré cela, grâce à la hausse du pourcentage de détention à la suite de l’annulation des actions rachetées. Sinon, on ne comprendrait pas comment trois hommes parmi les plus riches du monde le sont devenus en étant actionnaires d’entreprises qui ne versent pas de dividendes (Elon Musk et Tesla, Jeff Bezos et Amazon, Warren Buffett et Berkshire Hathaway). Ce qui enrichit l’actionnaire n’est pas le dividende ou le rachat d’actions, mais les résultats.
- Par construction, le CAC 40 regroupe les quarante groupes cotés français ou d’origine française aux meilleures performances. Pas plus que l’on peut juger du niveau en finance des Français en interrogeant les seuls propriétaires d’un Vernimmen, l’on ne peut juger de la bonne santé de l’économie française en se penchant uniquement sur le CAC 40, dont le périmètre évolue chaque année en écartant les moins performants (Alstom, Vivendi en 2024) pour leur substituer des impétrants plus performants (Accor et Bureau Veritas). Par ailleurs, de l’ordre de 85 % des ventes des groupes du CAC 40 sont réalisées hors de France.
- Dividendes et rachats d’actions sont de formidables outils de circulation des richesses permettant de réallouer une ressource rare, les capitaux propres, d’entreprises qui n’en ont plus l’utilité, vers des entreprises nouvelles qui en ont besoin à leur stade de développement actuel.
Nous avions pris en 2023 l’exemple de LVMH pour illustrer une politique de distribution judicieuse[2], et en 2024 celui de GEA pour illustrer au contraire une politique de retour aux actionnaires incohérente[3].
Prenons cette année l’exemple de la politique de rachat d’actions d’ArcelorMital qui s’est publiquement fixé comme objectif de rendre 50 % de son flux de trésorerie disponible après paiement des dividendes à ses actionnaires via des rachats d’actions. Ainsi, une fois que les salariés, les fournisseurs, les impôts, les investissements et les dividendes (petits, 13 % du résultat net courant 2023, dans ce métier cyclique) ont été payés ; et puisque ArcelorMital considère son niveau d’endettement actuel comme satisfaisant (1,3 fois l’EBE 2023), la moitié des excédents de trésorerie ainsi générés va aux rachats d’actions et l’autre moitié à l’accumulation de trésorerie pour faire face à des jours moins prospères.
On se rappelle que dans de telles périodes (2013, 2016 et 2020), ArcelorMittal avait sollicité le concours de ses actionnaires pour traverser ses mauvaises passes (8,2 Md€ d’augmentations de capital). Ces capitaux demandés aux actionnaires sont rendus lorsque la conjoncture s’améliore, à charge pour eux d’investir ces fonds dans des entreprises ayant des besoins de capitaux propres nouveaux et qui ont procédé à des augmentations de capital en 2024 pour se désendetter (Alstom, Atos, Clariane, Solocal, etc.) ou financer de nouveaux investissements (Argan, ID Logistics, Axway, Nacon etc.) .
L’argent est fait pour circuler et il n’y a rien de pire que l’immobilisme en ce domaine qui fige des situations acquises. Seuls les conservateurs sont contre les dividendes et les rachats d’actions !
Les résultats maintenant
En 2024, d’après nos compilations à partir des informations publiées par les groupes, les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 98,2 Md€, dont 25,5 Md€ sous forme de rachats d’actions, et 72,8 Md€ sous forme de dividendes en numéraire, soit le niveau le plus haut jamais enregistré depuis que nous faisons cette étude, avec une progression de 1 % par rapport aux montants de 2023.
Cette quasi-stagnation statistique cache :
- une baisse significative des rachats d’actions par rapport à 2023 qui avait été marqué par le retour aux actionnaires de BNP Paribas d’une partie du produit de la vente de son réseau d’agences américaines (5 Md€) ;
- une hausse de 8,5 % des dividendes, conséquence de la hausse des résultats nets courants de 2023 (+5 % / 2022), et d’une confiance dans les résultats 2024 grâce à la diversification géographique des activités.
En 2023, les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires font 29 % du volume, contre 37 % l’an passé : TotalEnergies (14,5 Md€), Stellantis (6,7 Md€) et LVMH (6,8 Md€). En ajoutant quatre autres groupes (BNP Paribas, AXA, Sanofi, Vinci), la barre des 50 % des fonds redistribués est franchie.
La quasi-totalité de ces redistributions sont le fait d’entreprises à maturité, ce qui est logique puisque celles-ci génèrent par leurs résultats de nouveaux capitaux propres importants, que leur faible croissance rend inutiles. Il est plus sain de les reverser à leurs actionnaires, plutôt que de les gaspiller en surinvestissements ou en placements oisifs de trésorerie, et de priver ainsi de capitaux propres d’autres groupes qui en auraient besoin pour se développer, et vers qui les dividendes et rachats d’actions de ces mastodontes seront réinvestis.
Par ailleurs, la seconde moitié du CAC 40 ne fait que 19 % du total des dividendes et des rachats d’actions (14 % en 2023). Comme quoi au sein du CAC 40, les inégalités sont criantes, mais elles renvoient à des inégalités de taille avec 7 groupes capitalisant plus de 100 Md€ et 6 moins de 12 Md€.
Les rachats d’actions
En 2024, les entreprises du CAC 40 ont procédé à 25,5 Md€ de rachats d’actions, soit 1,0 % de leur capitalisation boursière moyenne. On ne comparera pas ce chiffre à celui des années précédentes, car cela ne ferait pas sens, puisque les rachats d’actions sont discrétionnaires et n’impliquent, contrairement aux dividendes, aucun engagement implicite de récurrence. Ainsi les 5 Md€ de BNP Paribas en 2023, n’ont évidemment pas été renouvelés en 2024 (1 Md€).
On notera que les rachats du premier groupe (TotalEnergies pour 7,5 Md€, contre 9,2 Md€ en 2022) représentent 28 % du total. Ensuite, on trouve 13 groupes, soit 3 de moins que l’an passé – qui ont consacré de l’ordre de 400 M€ à 2 Md€ chacun aux rachats en 2023.
Au total, 30 groupes ont procédé à des rachats d’actions significatifs (au moins 100 M€) en 2024, soit 4 de plus que l’an passé.
À tous nos lecteurs qui croiraient que les rachats d’actions font monter les cours, ce qui est un sophisme qui a la vie dure, nous avons élaboré ce tableau en retenant les 10 groupes les plus actifs, proportionnellement à leur capitalisation boursière, en matière de rachats d’actions depuis 2012. Si les rachats d’actions faisaient monter les cours, les groupes qui ont procédé aux plus importants rachats d’actions, devraient surperformer le CAC 40. Or il n’en est rien :
Sur les 10 premiers groupes, 6 sous-performent le CAC 40, dont les 3 premiers ArcelorMital, Carrefour et TotalEnergies.
Côté dividendes, 72,8 Md€ ont été versés en 2024. Tous les groupes du CAC 40 ont versé des dividendes puisque Unibail-Rodamco-Westfield a repris le versement d’un dividende compte tenu de son redressement.
Avec 5 groupes du CAC 40 ayant une dette nette négative, et les autres (hors banques, assurances et immobilier) ayant un ratio d’endettement moyen de 1,6 fois l’EBE, la structure financière des groupes du CAC 40 ne pose pas de sujet d’inquiétude. Même pour ceux qui dépassent les 3 fois, compte tenu de leur secteur d’activité (Kering, Veolia et Pernod Ricard).
Ce qui leur permet à la fois de verser des records de dividendes et de rachats d’actions, mais aussi de procéder à des records d’investissements à 116,6 Md€, soit 22 % de plus qu’en 2023, mais aussi 51 % de plus qu’en 2019, signifiant clairement que pour les groupes du CAC 40 la parenthèse pandémique est bel et bien refermée. La hausse des investissements 2023 atteint même 30 % par rapport à 2022 pour les 3 plus gros redistributeurs du CAC 40. Investissements et dividendes sont donc loin d’être antinomiques pour les champions de la rentabilité.
EssilorLuxottica est le seul groupe qui a choisi de payer son dividende pour partie en actions, pour des montants qui ne figurent pas dans nos chiffres cités plus haut, car ne correspondant pas à des débours de trésorerie. Ainsi la famille Del Vecchio peut-elle grignoter 0,2 % du capital chaque année (32,5 % en 2023).
Le taux de distribution des entreprises du CAC 40 est de 42 % en 2023, similaire au 41 % l’an passé. En tenant compte des rachats d’actions, on passe à 66 %, contre 72 % l’an passé. Le taux de distribution de 42 % est dans les plus bas que nous ayons enregistrés. Il s’explique par la viscosité du dividende : en phase haute de conjoncture, avec les résultats de 2023 excellents, les plus grands groupes français se laissent une marge de manœuvre pour le maintenir si les résultats 2024 devaient marquer un coup d’arrêt, voire faiblir.
L’emploi des groupes du CAC 40 est en hausse de 0,2 % par rapport à 2022, à 5,304 M de salariés. Croissance des dividendes et croissance des effectifs ne sont donc pas antinomiques comme on l’entend parfois dans des jugements à l’emporte-pièce. Ainsi, depuis 2017 (date à laquelle nous avons commencé à compiler les effectifs), les dividendes et rachats d’actions ont augmenté de 114 % et les effectifs de 15 %. C’est justement parce que les groupes du CAC 40 vont bien qu’ils peuvent à la fois embaucher et se développer, tout en versant des dividendes et des rachats d’actions qui, au total, atteignent 4 % de leur valeur en 2024
On terminera en soulignant que les groupes du CAC 40 continuent de largement surperformer leurs concurrents britanniques ou allemands comme en témoigne la capitalisation boursière des 40 premiers groupes cotés à Londres (1 332 Md€), Francfort (1 868 Md€) et Paris (2 350 Md€).
Au total, dividendes et rachats d’actions en 2024 illustrent une nouvelle fois que le dividende n’est ni une idole, ni un tabou, mais un instrument au service d’une redistribution progressive des capitaux propres au sein de l’ensemble des entreprises par l’intermédiaire des investisseurs, afin de les allouer au mieux au profit d’une économie aussi efficiente que possible.
Tableau : Les courbes de taux d'intérêt dans le monde
Elles se répartissent en 2 catégories : celles inversées comme sur l’euro, le dollar, le franc suisse, le yen et la livre sterling, qui reflètent une attente de baisse des taux courts ; et celles de format normal, avec des taux longs plus élevés que les taux courts, sur le yuan, où les investisseurs n'ont pas cette attente, mais plutôt celle d’une hausse des taux d’intérêt courts.
Recherche : Les placements des grandes entreprises : entre recherche de liquidité et optimisation fiscale
Avec la collaboration de Simon Gueguen, enseignant-chercheur à CY Cergy Paris Université
Les études académiques portant sur les actifs financiers des entreprises se heurtent à une difficulté technique. Si le montant et les variations de ces placements sont facilement accessibles, leur composition exacte n’est visible que dans les notes explicatives des rapports financiers. Il s’agit donc bien d’une donnée publique, mais il n’existe malheureusement pas de base de données exhaustive qui puisse servir d’appui à une étude empirique.
Deux chercheurs ont voulu combler ce manque en allant chercher eux-mêmes manuellement cette information pour les plus grandes entreprises américaines[1]. Leur échantillon comprend ainsi « seulement » 200 entreprises (non financières), mais il s’agit pour certaines de mastodontes en termes de placements financiers. Ainsi, Apple atteint en 2017 le record de 260 Md$ d’actifs financiers, dont 150 Md$ en obligations d’entreprise, un montant qui en ferait l’une des 5 plus grandes banques américaines. En exploitant cette base de données nouvelle, les auteurs ont pu analyser la composition et la dynamique de ces placements sur une durée de plus de 20 ans, entre 2000 et 2022. En particulier, leur étude couvre la crise des subprimes et la crise covid.
Le résultat principal de cette étude est le suivant : le motif de détention d’obligations d’entreprise est fortement séparable de celui des produits monétaires[2]. Concernant les obligations d’entreprise, la motivation fiscale est dominante. Les entreprises américaines qui génèrent de la trésorerie à l’international acquièrent des obligations sur place et attendent des opportunités de rapatriement telles que le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA) de l’administration Trump voté en 2017. Ainsi, entre 2017 et 2019, le total des placements financiers des grandes entreprises américaines a chuté de plus de 400 Md$ (25 % du total), et ce mouvement est presque entièrement attribuable à la revente d’obligations et au mouvement de rapatriement des flux. La détention de produits monétaires n’a quasiment pas varié sur la même période.
À l’inverse, la crise covid a entraîné la constitution de réserves de liquidité via les produits monétaires mais n’a pas eu d’impact sur la détention d’obligations. La totalité de la hausse des placements au cœur de la crise (en 2020) est attribuable aux produits monétaires. L’objectif étant de constituer une réserve de liquidité, les obligations d’entreprise n’étaient pas adaptées (leur propre liquidité ayant chuté pendant la crise).
Obligations d’entreprise et produits monétaires répondent donc à des objectifs différents et analyser les détentions d’« actifs financiers » sans distinguer leur nature ne permet pas de comprendre correctement les variations totales observées, notamment lors d’événements macroéconomiques.
La répartition entre ces deux types de produits a aussi une conséquence sur les risques subis par ces entreprises en cas de variations de taux. Lors du krach obligataire de 2022, Apple a perdu 9 Md$ (soit 5 % de la valeur de ses actifs). Dans le même temps, Ford et Amazon n’ont pratiquement rien perdu, la part de produits monétaires dans le total de leur placement étant deux fois plus élevée.
L’incertitude et les variations de la fiscalité transnationale peuvent ainsi être à l’origine d’effets pervers. Lorsque cette fiscalité est élevée, les entreprises utilisent la trésorerie accumulée pour acquérir des titres financiers et attendent que se présente l’opportunité d’une loi favorable au rapatriement. L’objectif étant essentiellement fiscal, il ne s’agit pas de rester liquide et il faut faire en sorte que la rentabilité de l’entreprise ne soit pas trop affectée ; les entreprises décident donc d’accumuler des obligations d’entreprise. Ce faisant, elles s’exposent plus que de raison au risque de taux d’intérêt. Si le cas Apple est emblématique et spectaculaire, la tendance est forte sur l’ensemble de l’échantillon, et les obligations d’entreprise représentent près de 24 % des placements en 2017 contre moins de 9 % en 2000 (elle est retombée à 17 % après la réforme Trump). En plus de son analyse fine des placements financiers des grandes entreprises, cet article fournit ainsi un argument en défaveur des variations de fiscalité concernant les flux internationaux.
Q&R : Pourquoi les banques européennes se retirent-elles de leurs activités de banque de détail en Afrique ?
Ces dernières années Barclays s’est retiré d’Afrique du Sud, du Ghana, du Kenya, de Tanzanie, et du Zimbabwe ; BPCE du Cameroun, du Congo et de Madagascar ; BNP Paribas d’Afrique du Sud, du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire, du Gabon, du Mali et du Sénégal ; la Société Générale d’Angola, du Botswana, du Cameroun, de Gambie, d’Ouganda, de la Sierra Leone, de la Tanzanie, de Zambie et du Zimbabwe.
Plutôt que de n’y voir qu’une raison unique, c’est plutôt une accumulation de raisons dont le cumul a fini par emporter les décisions de cession :
- Peu de synergies avec le reste des activités, les infrastructures informatiques étant le plus souvent indépendantes et développées localement.
- Des différences culturelles croissantes, à cause d’un renforcement des réglementations du type Know your customer, lutte contre le blanchissement et la corruption qui atteint en Europe des niveaux peu compatibles avec ceux de pays moins avancés dans cette voie. La conséquence était de freiner le développement de ces activités dont les principaux concurrents sont des groupes africains qui ne sont pas soumis à des dispositions similaires de cette ampleur. Mieux vaut vendre plutôt que de détruire de la valeur en contraignant excessivement des filiales locales.
- Des incertitudes géopolitiques, en particulier dans le Sahel, avec le développement de trafics de drogues et d’armements faisant craindre à ces banques de découvrir qu’elles les financent sans en avoir conscience.
- La crainte que le franc CFA ne décroche brutalement de l’euro, plus pour des raisons politiques que pour des raisons économiques, induisant des pertes de change.
- Des parts de marché parfois faibles, BNP Paribas était la 8e banque de l’UEMOA, augurant plutôt de sorties lors de phases de consolidation qui interviendront tôt ou tard (il y a plus de 25 banques en Côte d’Ivoire).
- Des actifs finalement petits, souvent quelques pourcents de leurs PNB, même si en forte croissance, pour des groupes européens valant plusieurs dizaines de milliards d’euros.
- Des besoins de concours à long, voire très long terme, pour financer des infrastructures et dont les banques européennes ne regorgent pas.
- Un risque de fraude au sein des filiales locales plus élevé qu’ailleurs.
Commentaire : Sur l'actualité financière, postés sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen
Régulièrement, nous publions sur les pages Facebook et LinkedIn du Vernimmen[1] des commentaires que nous inspire l’actualité financière. En voici quelques-uns :
La prochaine introduction en Bourse d’Asmodée (22 décembre)
Bénéficiant d’un secteur faiblement concentré et de son passage entre les mains de plusieurs fonds de LBO successifs (Montefiore Investments, Eurazeo et PAI Partners), Asmodée a été capable par croissance interne et externe de porter son chiffre d’affaires de 110 M€ en 2013 à 1 288 M€ cette année avec un résultat d’exploitation de 188 M€. En 2022, Asmodée a été cédé au groupe coté suédois de jeux vidéo Embracer Group. Mais depuis cette acquisition, la valeur boursière d’Embracer a été divisée par 4 à 3,4 Md€. Pour essayer de remédier à cette chute de valeur, Embracer Group va se scinder début 2025 en 3 entités, dont Asmodée.
Comme le niveau d’endettement bancaire et financier net de cette dernière par rapport à son EBE est de plus de 4 fois, Embracer Group va, avant l’introduction en Bourse, injecter dans Asmodée 400 M€ de capitaux propres supplémentaires pour ramener son niveau d’endettement net par rapport à son EBE à un niveau plus normal pour les groupes cotés de 2,2 fois, et lui donner des moyens financiers pour reprendre une stratégie de croissance externe. En effet, l’aversion au risque des investisseurs en Bourse est bien différente de celle des fonds de LBO qui sont à l’aise avec un endettement de 4 à 7 fois sur la plupart des sociétés de leur portefeuille. Certes, en Bourse on peut trouver des sociétés avec des multiples dettes nettes / EBE de ce niveau, mais c’est en général suite à un accident avec un EBE qui a dévissé propulsant le ratio à des hauteurs dignes d’entreprises sous LBO.
Tant que son endettement ne tombera par en dessous de 2 fois l’EBE, Asmodée n’a pas l’intention de verser de dividendes, ce qui ne peut que ravir ses futurs actionnaires puisque l’entreprise a démontré un vrai savoir-faire pour acquérir des concurrents et les porter à ses normes de profitabilité, réalisant de ce fait des investissements rapportant ainsi largement plus que le coût du capital et créant ainsi de la valeur. Les actionnaires ne sont, en effet, assoiffés de dividendes que lorsque l’entreprise n’arrive plus à trouver et réaliser des investissements qui rapportent plus que leur coût du capital pour utiliser tous les flux de trésorerie disponible qu’elle dégage. Dans ce cas, le dividende permet de réallouer des capitaux propres d’entreprises à maturité vers d’autres ayant de meilleures perspectives de développement et des besoins en capitaux propres pour les financer.
Enfin, Asmodée sera introduite en Bourse en Suède, où Embracer Group est cotée, une place financière accueillant déjà 1 140 entreprises cotées, contre seulement 820 à Paris, malgré un PIB français trois fois supérieur. Ce décalage illustre une culture de l’actionnariat bien plus développée en Suède, comme nous le développons dans l’avant-propos du Vernimmen 2025.
Entre banques universelles américaines et européennes, il y a plus qu’un océan (28 décembre)
En 2008, la première banque américaine J.P. Morgan capitalisait 75 Md€, et les 10 premières banques européennes 7 fois plus à environ 510 Md€ cumulés. Aujourd’hui, la capitalisation boursière de J.P. Morgan est 675 Md€, soit un tiers de plus que la somme des capitalisations boursières des 10 premières banques de la zone euro. BNP Paribas, Intesa Sanpaolo et Santander qui sont, selon les jours, la première banque de la zone euro, capitalisent moins de 70 Md€ chacune. Enfin, l’indice Euro Stoxx des banques européennes est à son niveau de début 1997.
Contrairement aux sociétés non financières, le multiple des capitaux propres (PBR) est un outil d’évaluation important pour les banques ; il est d’autant plus élevé que la rentabilité de leurs capitaux propres est importante.
Quand on prend les 4 banques universelles américaines et les 10 plus importantes banques universelles européennes et que l’on fait une régression linéaire de leur PBR contre les rentabilités des capitaux propres, le R2 est médiocre : 37 %. Quand on refait le même exercice avec deux sous-ensembles, la corrélation entre PBR et taux de rentabilité des capitaux propres pour les banques américaines est presque parfaite à 99 %, et est excellente pour les banques européennes à 80 %. Cela donne le graphique en illustration qui montre qu’à même rentabilité des capitaux propres, les banques universelles américaines sont évaluées environ 2 fois plus cher que leurs consœurs européennes.
C’est ainsi que Citigroup, le mauvais élève de la classe américaine depuis la crise financière avec 4,2 % de rentabilité des capitaux propres en 2023, est évalué à un PBR identique (0,7) à celui de Santander qui a pourtant une rentabilité de ses capitaux propres quasi trois fois supérieure (11,2 %). De la même façon, UniCredit, avec la même rentabilité des capitaux propres que JP Morgan (16 %), qui est évalué à 1,1 contre 2,2 pour JP Morgan.
Côté PER, la situation est similaire : compris entre 6 et 9 en Europe (avec une moyenne à 7) contre 13,5 à 16,5 aux États-Unis (moyenne à 15). Très liées à leur marché principal, les banques européennes ont, selon le consensus des analystes, des perspectives nulles de croissance à l’horizon 2028 contre 7,3 % pour leurs consœurs américaines.
Rien que la composition des échantillons (il y a 4 banques universelles aux États-Unis contre plus de 10 en Europe) dit tout dans ce métier où la taille a une importance majeure. En Europe, les pouvoirs publics nationaux, en refusant de facto la fongibilité des capitaux propres prudentiels au niveau européen, en avantageant fiscalement les placements en rentes plutôt qu’en actions, en s'opposant aux rapprochements transfrontaliers (UniCredit – Commerzbank), sauf en cas de faillite (BNP Paribas – Fortis), et en faisant peu pour relancer la titrisation qui, en sortant des prêts des bilans bancaires comme aux États-Unis, améliorerait les rentabilités, ont une responsabilité accablante dans cette situation.