La Lettre n°25 de Janvier 2004

Actualités : La directive européenne sur les offres publiques

Après 15 ans de gestation, le parlement européen vient d'adopter la directive européenne traitant de la réglementation des offres publiques. Le texte demeure relativement général et laisse une flexibilité importante pour sa transposition au niveau national. Ainsi, les modifications nécessaires aux réglementations nationales pourraient être relativement mineures dans la plupart des pays européens. De plus, il existe des périodes de transition : les pays européens ont deux ans pour adapter leur législation à ce nouveau texte. En France, nul doute que le nouveau règlement sur lequel l'AMF travaille prendra soin d'intégrer les principes énoncés dans cette directive.

La directive édicte tout d'abord certains principes :

  • l'égalité de traitement des actionnaires de même catégorie ;
  • les actionnaires doivent pouvoir décider de la pertinence de l'OPA en disposant de suffisamment de temps et d'information ;
  • le management de la société cible doit agir dans l'intérêt de la société et laisser aux actionnaires la possibilité de se déterminer sur l'offre ;
  • les manipulations de cours sont naturellement interdites ;
  • une offre doit être financée avant d'être annoncée ;
  • les offres publiques ne doivent pas gêner le bon fonctionnement des entreprises cibles.

Au-delà des grands principes, la directive, établit des règles précise dans certains domaines. Nous retenons les principaux thèmes suivants :

  • le principe d'offre publique obligatoire ;
  • le principe d'offre de retrait obligatoire et de rachat obligatoire ;
  • les moyens de défense contre les OPA ;
  • l'information en cas d'OPA ;
  • le droit applicable en cas d'OPA.

Offre publique obligatoire

La directive fixe le principe qu'un actionnaire prenant le contrôle d'une société cotée doit lancer une offre publique sur l'intégralité des titres donnant accès au capital. Les pays doivent fixer un seuil en droits de vote définissant le contrôle.

Cet article de la directive ne devrait pas avoir d'impact majeur sur le règlement français des OPA. Cependant, il changera sensiblement l'esprit de la réglementation des Pays-Bas et il devrait imposer des modifications de la réglementation espagnole (1) (l'Espagne s'est abstenue lors du vote du texte en Commission). Ce principe permettra de guider les nouvelles réglementations nationales des pays qui rejoigneront sous peu l'Union Européenne et dont les marchés financiers sont en train de se structurer vers une unité européenne qui se distinguera sur ce point de la réglementation américaine. En effet, aux États-Unis (comme aux Pays-Bas actuellement) un investisseur peut prendre le contrôle d'une société cotée sans avoir à lancer une offre publique pour désintéresser les minoritaires. Dans ce cas, la cotation n'apporte pas aux minoritaires la sécurité qu'elle confère de ce point de vue en France ou au Royaume-Uni.

La directive définit de manière très précise le prix minimum de l'offre obligatoire : prix le plus élevé payé par l'actionnaire ayant pris le contrôle dans les six à douze mois précédant l'offre (la période étant fixée par les réglementations nationales).

Notons que l'offre publique obligatoire peut être en cash ou en titre (si ceux-ci sont cotés et liquides).

Offre publique de retrait et de rachat obligatoire

L'article 14 de la directive fixe le principe du droit de lancer une offre publique de retrait pour un actionnaire ayant (au choix de régulateur) :

  • obtenu au moins 90 % du capital d'une société (comme c'est actuellement le cas italien et anglais. Le seuil peut être porté à 95 % à l'option du pays comme cela est actuellement le cas allemand, français et hollandais ); ou
  • obtenu au moins 90 % de succès à une offre portant sur la totalité des titres.

Il est intéressant de noter que le prix équitable pour une telle offre est à nouveau défini très précisément. Ainsi, l'offre publique de retrait peut se faire au même prix que l'offre obligatoire ou que l'offre volontaire ayant connu un succès à plus de 90 %. Serait-ce la fin des évaluations multi-critères à ce stade de la prise de contrôle ? Il semble bien.

Symétriquement, le texte prévoit la possibilité pour un actionnaire minoritaire de demander le rachat de ses actions (dans les mêmes cas ouvrant la possibilité de retrait).

Il convient de noter que la directive n'impose pas aux pays de prévoir un mécanisme d'offre de retrait / de rachat de manière général, mais uniquement à la suite d'une offre publique d'achat.

Moyens de défense contre les OPA

La question de la limitation des défenses anti-OPA et autres poison pills a suscité le plus de controverse. C'est l'une des raisons pour laquelle la précédente version de la directive avait été finalement rejetée par le parlement européen. La crainte des États opposés à cet article est qu'en limitant les défenses anti-OPA, l'Europe soit désavantagée par rapport aux États-Unis qui autorisent de telles pratiques.

La directive impose que les conseils d'administration de sociétés visées par une offre publique ne puissent, en période d'offre, prendre de mesures anti-OPA (poison pills, émission massive de titres, ...) sans les faire voter en assemblée générale extraordinaire.

La directive impose une transparence parfaite sur la structure de contrôle (restriction de droits de vote, droits de vote multiples, pacte d'actionnaires, ...), ainsi que sur les moyens de défense (contrats avec clauses de changement de contrôle, possibilité d'émettre des titres sans assemblée générale, golden parachutes, ...).

Les droits de votes multiples, et/ou les restrictions de droit de vote tombent pour la première assemblée générale suivant une offre ayant permis à l'offreur d'acquérir la majorité qualifiée de la société. Cette disposition n'est pas applicable pour les Golden Share jugées compatibles avec le droit européen (2).

L'application des articles sur les “ poison pills ” et sur le principe d'un vote / une action a été rendue optionnel par le parlement européen. Le mécanisme d'optionalité est particulièrement complexe (choix des États, puis choix des entreprises, cas particulier si l'offreur n'est pas Européen).

Information en cas d'OPA

Le contenu de la note d'offre publique est défini. Il correspond quasiment au document actuellement requis par l'AMF (informations sur l'offre, sur l'offreur, sur ses intentions sur l'activité et sur les employés de la cible). Les requêtes des autorités nationales en Europe en sont également proches.

Plus généralement, la directive encadre la procédure d'offre publique afin de laisser à l'actionnaire suffisamment de temps et d'information pour décider du succès ou non de l'offre. Ainsi la durée de l'offre doit de manière générale être supérieure à 2 semaines et inférieure à 10 semaines.

***

Le texte final de la directive a fortement déçu. En effet, la forte limitation des mesures anti-OPA, devenue optionnelle dans la toute dernière version du texte (sous la pression de l'Allemagne) ne permettra pas une harmonisation des réglementations nationales sur ce point.

Positivons ! Même si la directive ne devrait pas changer fondamentalement la plupart des réglementations nationales (France, Royaume-Uni, …), son adoption va dans le bon sens : généralisation de la notion d'OPA obligatoire, de squeeze-out, … La clause de rendez-vous (5 ans après la mise en application de la directive) permettra certainement de faire évoluer ce texte pour aller vers un marché européen plus intégré.

(1) En Espagne, l'offre publique obligatoire peut ne porter que sur une quote part des titres.
(2) Le droit européen a limité fortement la possibilité pour les États de mettre en place des Golden shares dans les entreprises privatisées. Les Golden shares sont néanmoins encore possible dans certains secteurs/cas particuliers (défense nationale).


Tableau : Structure financière

Sur les trois derniers mois, plus de 1 000 internautes visiteurs du site vernimmen.net ont indiqué qu'elle était leur structure financière préférée :

Autrement dit, les entreprises européennes sont beaucoup moins endettées que les internautes le souhaitent (35 % ont une dette négative contre seulement 3 % de souhaits) ou beaucoup plus endettées que les internautes le souhaitent (seuls 4 % des internautes veulent un levier en valeur supérieur à 120 %, elles sont cependant 10 % dans ce cas).

Au niveau global, le levier en valeur est de 26 % correspondant à une dette bancaire et financière nette pour les 2 972 entreprises de l'ordre de 1 400 Md€.



Recherche : Réactions aux émissions de titres

Isabelle Ducassy (1) s'est penchée sur la réaction du marché financier français entre 1991 et 1999 à l'annonce par une entreprise d'une émission d'actions (avec ou sans bon de souscription) ou d'obligations convertibles.

Ses résultats montrent, sur un intervalle de plus ou moins 10 jours autour de l'annonce, donc à court terme, que la réaction du marché financier est rarement favorable :

  • l'action perd en moyenne 4 %, indépendamment des variations du marché, pour une augmentation de capital et à peu près autant pour une émission d'ABSA. Pour une obligation convertible ou une Océane, le recul est de l'ordre de 3 %. Comme les investisseurs ont en tête qu'une entreprise a intérêt à choisir un moment où son cours est élevé pour procéder à une augmentation de capital, ils assimilent l'annonce de cette opération à un signal négatif : les dirigeants qui ont plus d'informations sur les perspectives de l'entreprise pensent que le cours est surévalué et ils en profitent pour procéder à une augmentation de capital ;
     
  • la baisse est un peu moins forte (3 %) pour une augmentation de capital si le but de l'émission est le financement d'un investissement. En revanche, elle atteint 6 % s'il s'agit de réduire la part de la dette dans la structure financière. Cette évolution matérialise un transfert de valeur des actionnaires vers les créanciers dont la valeur des créances ne peut que se revaloriser suite à l'augmentation de capital affectée au désendettement. Comme la valeur de l'actif économique n'a pas de raison d'être modifiée par une augmentation de capital, la valeur des capitaux propres ne peut que baisser (2)  ;
     
  • enfin, l'existence d'opportunités de croissance amortit la réaction négative du marché.

Cela dit, malgré le faible enthousiasme structurel des marché pour les augmentations de capital, les entreprises européennes cotées ont quand même réussi à lever 47 Md€ de capitaux propres en 2003 dans un contexte boursier peu propice.

(1) Déterminants de la réaction du marché français aux émissions de titres à caractère action. Banque & Marchés Mai-Juin 2003.
(2) Pour plus de détails, voir le chapitre 39 du Vernimmen.


Q&R : Qu'est-ce que la VAR ?

La VAR (Value at Risk en franglais) est une mesure du risque de marché. Elle représente la perte potentielle maximale d'un investisseur sur la valeur d'un actif ou d'un portefeuille d'actifs et de passifs financiers compte tenu d'un horizon de détention et d'un intervalle de confiance. Elle se calcule à partir d'un échantillon de données historiques ou se déduit des lois statistiques habituelles.

Ainsi un portefeuille d'une valeur de 100 M€ qui présente une VAR de –2,5 M€ à 95 % (calculée sur une base mensuelle) a seulement 5 % de chances de se déprécier de plus de 2,5 M€ en un mois.

Très utilisée par les établissements financiers comme outil de contrôle de gestion, la VAR est proche de la duration (1).

La VAR commence à être utilisée par les grands groupes industriels qui, à l'instar de TeleDanmark, la publie dans leurs rapports annuels. Elle présente néanmoins deux défauts :

  • elle repose sur l'hypothèse que les marchés suivent des lois de distribution normales, une approximation qui sous-évalue la fréquence des valeurs extrêmes ;
     
  • elle ne renseigne absolument pas sur la perte potentielle qui intervient au-delà de l'intervalle de confiance. En reprenant l'exemple précédent, combien peut-on perdre dans moins de 5 % des cas : 2,6 M€, 10 M€, 100 M€ ? Ce n'est pas la même chose ! La VAR ne nous renseigne pas sur ce point.
(1) Voir chapitre 31 du Vernimmen.


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