La Lettre n°27 de Mars 2004
Actualités : Dix erreurs à ne pas commettre en finance
1. Croire que la croissance du bénéfice par action (BPA) est synonyme de création de valeur
Comme il est difficile de mesurer la création de valeur induite par une opération d'acquisition, de rachat d'actions, de fusion, d'augmentation de capital, etc…, il est bien souvent mis en avant son impact sur le BPA comme témoin d'une création de valeur.
Cependant le lien de causalité entre augmentation du BPA suite à l'opération et création de valeur, ou entre baisse du BPA suite à l'opération et destruction de valeur, n'est juste que si trois conditions sont vérifiées simultanément.
Avant de les exposer, prenons un exemple fictif. Imaginons que la firme de logiciel SAP (PER 2004 de 27) fusionne avec la banque Barclays (PER de 9) sur la base des cours de bourse. Le PER de SAP étant supérieur à celui de Barclays, mécaniquement son BPA augmentera après cette opération ; au cas particulier de 112%. Cela veut-il dire que ce rapprochement peut créer de la valeur à cet aune ? Bien sûr que non ! Si création de valeur il y a, elle sera due aux synergies et au cas particulier on les voit mal…
On remarquera au demeurant que si on avait mesuré l'opération à l'aune de l'évolution du BPA de Barclays, on aurait eu une vision radicalement différente : -29%.
Quand donc peut-on dire que l'évolution du BPA est un indicateur de création de valeur ?
a) quand, après l'opération, le taux de croissance des résultats du nouveau groupe est à peu près le même qu'avant. Il est clair que pour notre hypothétique rapprochement entre SAP et Barclays, ce n'est pas le cas : SAP seul prévoit de faire croître ses résultats de 45% et Barclays seul de 13%. Le taux de croissance du nouveau groupe serait compris entre les deux (compte tenu de l'absence de synergies) et au cas particulier de 19%. Ce n'est pas la même chose que 45% !
b) quand le risque de l'actif économique après l'opération est à peu près le même qu'avant l'opération. Au cas particulier, cela est douteux. Au cas général, cela peut être vrai quand deux sociétés du même secteur et également positionnées se rapprochent : Crédit Lyonnais et Crédit Agricole SA. Cela est nettement moins vrai par exemple pour JP Morgan Chase (banque d'investissement) et Banc One (banque de détail) ;
c) et quand enfin la structure financière du nouveau groupe est à peu près la même après l'opération qu'avant. En effet, cela permet de s'assurer que le risque financier est le même avant et après l'opération. Par ailleurs on sait (1) que le recours à l'endettement permet de faire croître le BPA, mais on sait aussi que cela n'est pas créateur de valeur; sinon il y aurait belle lurette que les entreprises seraient toutes très endettées et que la pauvreté aurait été éradiquée de ce bas monde.
Pour plus de détails, voir le chapitre 36 du Vernimmen.
2. Croire que les synergies créées par ce rapprochement entre les deux entreprises sont valorisées sur la base du PER moyen de ces deux entreprises.
Deux raisons expliquent pourquoi les investisseurs valorisent les synergies annoncées moins que le PER moyen du nouveau groupe :
a) Le montant des synergies annoncées au moment d'un rapprochement n'est qu'une estimation et ceux qui les annoncent ont plutôt intérêt à donner des chiffres élevés pour convaincre les actionnaires d'approuver l'opération. Or l'exécution technique d'une fusion ou de tout rapprochement est complexe à mettre en œuvre : faire travailler des salariés que tout pouvait opposer auparavant, créer une nouvelle culture, éviter de perdre des clients soucieux de conserver une diversité de fournisseurs… L'expérience montre que plus d'une fusion sur deux est un échec de ce point de vue et que les synergies réalisées sont plus faibles que les synergies annoncées et plus lentes à se mettre en place.
b) Tôt ou tard, le groupe qui bénéficie des synergies devra en restituer une partie à ses clients, à son personnel, à ses fournisseurs… En effet, l'entreprise ne sera pas seule à être partie à un rapprochement, les fusions-acquisitions évoluant par vagues, ses concurrents seront poussés dans ce type d'opérations afin de bénéficier eux aussi de synergies leur permettant de rester compétitifs. Dès lors tous pourront baisser leur prix de vente, ou ne pas l'augmenter, pour le plus grand bien du consommateur final.
Pour plus de détails, voir le chapitre 51 du Vernimmen.
3. Croire que le ratio Dettes/Capitaux propres est le plus représentatif de la capacité à rembourser la dette.
Le levier financier (ratio comptable rapportant l’endettement net aux capitaux propres) est souvent mis en avant pour apprécier le niveau d’endettement d’un groupe et sa capacité à faire face à ses engagements. Force est de constater que cette approche est devenue totalement archaïque ! Une société ne rembourse pas ses dettes avec ses capitaux propres comptables mais avec les flux de trésorerie qu’elle génère. Même en cas de liquidation, les capitaux propres ne représentent un matelas de sécurité que dans la mesure où l’entreprise peut céder ses actifs à leur valeur comptable, ce qui n’est, en pratique, jamais le cas.
Demandez aujourd’hui à un banquier quel est le niveau d’endettement maximal qu’une cible peut supporter. Il vous répondra à coup sûr en vous indiquant un niveau maximal du ratio Endettement net / Excédent Brut d’Exploitation (EBITDA) ou Endettement net /Capacité d'autofinancement. Ces ratios sont, en effet, de bons indicateurs de la capacité de l’entreprise à générer suffisamment de flux de trésorerie pour rembourser sa dette.
Ainsi Unilever affiche un levier supérieur à 250% (2), ce qui pourrait apparaître pour certains exorbitant, mais en poussant l’analyse un peu plus, on constate que son endettement net ne représente que 2,2 années d’excédent brut d’exploitation !
A l’opposé, Rémy Cointreau (3) présente un levier inférieur à 1 mais son endettement représente 3,8 fois son excédent brut d’exploitation.
Pour plus de détails, voir le chapitre 17 du Vernimmen.
4. Confondre coût apparent et coût réel d'une source de financement et comparer le coût des sources de financement entre elles en oubliant les différences de risque.
Les banquiers d’affaires sont extrêmement ingénieux pour vendre aux entreprises leurs produits. Lorsqu’ils “ vendent ” une émission d’obligations convertibles, ils mettent en avant le coût insignifiant (voire nul !) de cette source de financement. On peut effectivement constater qu’en émettant une obligation convertible, une entreprise peut n’avoir à payer un coupon très faible, son coût de financement (apparent !) devient alors inférieur à celui de l’Etat.
Bien évidemment, ceci n’est qu’illusion et ce coût apparemment faible n’est que la contrepartie du risque de dilution à terme. Les directeurs financiers ne sont d’ailleurs généralement pas dupes. Mais il est parfois difficile de résister aux sirènes d’un faible coût comptable annuel surtout quand la matérialisation du risque (c’est-à-dire l’émission d’actions à un prix inférieur au cours de bourse du moment entraînant une dilution pour l'actionnaire) n’intervient que plusieurs années plus tard.
Il convient donc de distinguer le coût apparent d’une source de financement, c’est-à-dire le coût annuel en cash, de son coût réel qui intègre l’ensemble des rémunérations qui peuvent intervenir à terme (coupon différé, droit à des actions, croissance de la valeur…).
De plus, il convient de bien faire correspondre le coût au risque attaché au produit. Il est évident qu’une émission d’actions aura un coût réel plus élevé qu’une émission d’obligations (la différence peut représenter 4 à 10 %). En souscrivant des actions, l’investisseur espère une rentabilité mais la société n’a pas la contrainte de verser un dividende ou de rembourser les capitaux propres. Cette flexibilité se paie. En émettant des obligations, l’entreprise s’astreint à payer un coupon et à assurer le remboursement de la dette.
Attention, nous ne soutenons pas ici que toutes les sources de financement sont équivalentes et que le choix du financement est totalement indifférent. Ainsi l’obligation convertible peut présenter des avantages pour une société dont les flux de trésorerie sont aujourd’hui réduits mais qui devraient fortement croître à l’avenir.
Pour plus de détails, voir le chapitre 46 du Vernimmen.
5. Oublier le risque dans la rentabilité (4)
Celle-ci semblera (nous l’espérons) une évidence pour nos lecteurs. Mais l’actualité financière montre qu’il est toujours utile de le rappeler. Tout en finance n’est que risque, rentabilité et valeur. On ne peut déterminer la valeur d’un produit qu’en en connaissant la rentabilité espérée et le risque attaché.
Lorsque les marchés financiers affichent des performances soutenues, comme cela a été le cas en 1999 et 2000, les investisseurs ont une fâcheuse tendance à oublier le risque. Les pertes importantes des investisseurs sur les marchés actions en 2001 et 2002 ne sont que la matérialisation du risque. Le risque était d’autant plus élevé qu’une part importante en valeur des portefeuilles était investie dans des sociétés TMT. Les pertes réalisées ne sont donc pas une injustice mais un rappel au bon sens.
Ce qui est vrai pour les investisseurs l’est également pour les entreprises. Certains trésoriers pensant bien faire ont investi une partie des liquidités de leur entreprise en billets de trésorerie de Parmalat qui offraient une rémunération beaucoup plus attractive que celles proposées par d'autres industriels italiens...et pour cause!
Suite et fin de cet article dans la Lettre Vernimmen.net d'avril 2004
(2) Chiffres au 31/03/03 voir fiche société sur le site Vernimmen.net
(3) A titre d’exemple, les obligations convertibles d’une durée de 5 ans d’Accor ne versent qu’un coupon de 1,75% ; l’émission de Valéo réalisée mi-2003, d’une durée de 7 ans, donne droit à un coupon de 2,375%.
(4) Ceux de nos lecteur qui auront vu le film L’emploi du temps se souviendront peut-être que le héros, dans le cadre, de son escroquerie, présente les performances extraordinaires du marché russe, jusquà ce qu’un investisseur potentiel lui fasse remarquer que c’est le marché où l’on a vu également les baisses les plus importantes !
Tableau : Rachats d'actions et versements de dividendes en 2003
En montant, la palme revient à Total qui a dépassé les 4 Md€ de rachat net. En pourcentage du capital, Total est aussi le premier avec 4,6% du capital racheté.
En matière de dividendes, les montants sont plus importants (14,1 Md€) et surtout moins concentrés : les quatres premiers groupes (Total, BNP Paribas, Société Générale et Suez) versant 38 % des dividendes.
Nous sommes donc encore, loin en France, d’une substitution des dividendes par le rachat d’actions, alors qu’aux Etats-Unis les seconds sont devenus supérieurs aux premiers en 1999 (1).
Source : compilation de données AMF et rapports annuels.
Recherche : L'impact des rachats d'actions, des scissions et des acquisitions sur le patrimoine des créanciers
W. Maxwel & R. Rao (2) examinent l’évolution de la situation relative des actionnaires et des obligataires avant et après l’annonce d’une opération de scission. Sur la base d’un large échantillon comprenant 80 opérations entre 1976 et 1997, ils montrent que les obligataires subissent une perte moyenne de 90 points de base dans le mois qui suit l’annonce. Dans le même temps, les actionnaires réalisent un gain de 3,6%, et la valeur de la firme augmente de 1,6%.
Ces résultats suggèrent que les opérations de scission se traduisent par un transfert de richesse des obligataires vers les actionnaires, et que ce transfert ne suffit pas à expliquer l’ensemble du gain réalisé par les actionnaires. Les auteurs mettent par ailleurs en exergue un certain nombre de facteurs qui jouent un rôle déterminant dans la dégradation de la situation des obligataires. Ainsi sans surprise, les pertes sont plus sévères pour les entreprises fortement endettées et non investment grade.
W. Maxwel & C. Stephens (3) étudient l’impact des programmes de rachat d’actions sur la situation des obligataires. Intuitivement, on s’attend à une détérioration de la position des obligataires : en effet, les rachats d’actions se traduisent par une distribution de cash aux actionnaires, et partant une augmentation de l'endettement net alors que les cashflows disponibles restent constants. Toutes choses égales par ailleurs, le risque de défaut est donc accru, le transfert de richesse des obligataires vers les actionnaires semble donc patent.
La réalité est plus complexe : en pratique, un effet de signal peut venir contrarier voire annuler l’effet de transfert de richesse. Suivant que la réduction de capital est perçue positivement ou négativement par les investisseurs, la situation des porteurs d’obligations se trouvera détériorée. Les auteurs aboutissent finalement aux mêmes conclusions que W. Maxwel & R. Rao : les pertes pour les obligataires et les gains pour les actionnaires sont d’autant plus importants que l’entreprise qui procède à la réduction de capital par rachat d’actions est non investment grade. Ceci se comprend aisément : si la situation financière de l'entreprise est bonne, une dégradation pourra ne pas compromettre sa solvabilité. Il en va tout à fait différemment si sa situation financière est médiocre.
M. Billett, T. King & D. Mauer (4) s’intéressent au cas des fusions-acquisitions. Plus précisément, ils analysent l’évolution de la situation des obligataires dans l’entreprise acquéreuse et dans l’entreprise cible. Sur la base d’un échantillon de plus de 3 900 obligations impliquées dans 940 opérations de fusion-acquisition entre 1979 et 1997, les auteurs dégagent trois résultats : tout d’abord, ils montrent que les obligataires de l’entreprise cible réalisent un gain systématique, et que les obligataires de l’entreprise acquéreuse subissent une perte. Les auteurs mettent ensuite en exergue le fait que le gain réalisé par les obligataires de l’entreprise cible est d’autant plus important que cette dernière a un mauvais rating et que l’entreprise acquéreuse en a un bon. Ceci est conforme au bon sens car le rating du nouveau groupe a tendance à s'établir à mi-chemin du niveau de rating des deux sociétés qui le composent. Enfin, les auteurs montrent que la modification de la situation des obligataires dans chaque entreprise ne s’explique pas par un transfert de richesse vis-à-vis des actionnaires respectifs. On a donc à faire à un transfert inter firme et non plus intra firme comme dans les opérations de scission ou dans les programmes de réduction de capital.
(2) W. Maxwell, R. Rao, "Do Spin-offs Expropriate Wealth from Bondholders?", The Journal of Finance, octobre 2003.
(3) W. Maxwell, C. Stephens, "The Wealth Effects of Repurchases on Bondholders", The Journal of Finance, avril 2003.
(4) M. Billett, T. King, D. Mauer, "Bondholder Wealth Effects in Mergers and Acquisitions: New Evidence from the 1980s and 1990s”, The Journal of Finance, 2004.
Q&R : Qu'est ce que les dérivés de crédit ?
Développés et utilisés d’abord par les institutions financières, les dérivés de crédit commencent à être utilisés par les grands groupes industriels ou commerciaux principalement pour réduire le risque de crédit sur certains de leurs clients qui représentent une part trop importante de leur portefeuille de créances ou pour se protéger contre une évolution négative de la marge (1) d’un futur emprunt.
Le mode de fonctionnement des dérivés de crédit est très similaire à celui des dérivés de taux ou de change. Simplement la nature du risque qu’ils gèrent est différente : celui de la défaillance d’une partie ou de la modification de son rating au lieu d’être le risque de taux d’intérêt ou de change.
La forme la plus classique des dérivés de crédit est le credit default swap par lequel l’acheteur de la protection contre une défaillance d’une contrepartie, paie à un tiers un flux régulier et reçoit de ce tiers un paiement défini à l’origine en cas de survenance de la défaillance. Le risque de crédit est donc transféré de l’acheteur de la protection (une entreprise, un investisseur, une banque) à un tiers qui peut être un investisseur, une compagnie d’assurance… moyennant rémunération.
Les dérivés de crédit sont négociés de gré-à-gré et ont le même rôle économique qu’un contrat d’assurances
Par ailleurs, une seconde catégorie de produits dérivés se développe qui n’est plus un produit de type “assurance” mais un produit de type “terme” par lequel l’entreprise peut fixer d’ores et déjà la marge actuarielle (le spread) d’un emprunt obligataire à émettre dans le futur. On achète et on vend ainsi le spread d’une émission à un niveau préfixé. Et bien sûr si des achats et des ventes à terme existent, alors l’imagination des intermédiaires financiers crée des options sur ces achats et ces ventes et on retrouve un produit d’assurance : l’option sur spread futur !