La Lettre n°31 de Septembre 2004
Actualités : Faut-il dans la valorisation des capitaux propres évaluer la dette en valeur de marché ?
L'analyste prend quasi systématiquement comme valeur de la dette le montant comptable figurant au bilan. C'est une simplification commode qui jusqu'à présent, à l'exception des entreprises au bord du bilan, n'a aucune espèce d'impact sur le résultat du calcul puisqu'il y avait coïncidence entre le montant comptable et la valeur de l'endettement bancaire et financier.
Le choix de retenir la dette en valeur de marché ou en montant comptable, relativement théorique jusqu'à présent, nous semble prendre aujourd'hui une dimension concrète pour un certain nombre de groupes dont la solvabilité s'améliore (la dette de Vivendi Universal est de nouveau investment grade). Ceci est renforcé par un contexte de baisse du coût de l'endettement par le biais de la baisse des marges (spreads) (2), à qui pourrait succéder sous peu un contexte de hausse des taux. Bref, la période de stabilité du coût de l'endettement pour les entreprises pourrait être derrière nous et donc aussi celle de la stabilité de la valeur de leur endettement.
Aux Etats-Unis, la part des prêts aux entreprises cotant plus que leur nominal est passée de 10% en début d'année à plus du tiers actuellement :
Dans quels cas d'abord peut-on observer un écart entre la valeur de la dette et son montant comptable ? Nous en voyons trois :
- lorsque l'entreprise s'est endettée à taux fixe (directement ou après l'effet d'un swap (3)) et que les taux d'intérêt ont varié depuis ;
- lorsque la solvabilité de l'entreprise a significativement évolué à la hausse ou à la baisse depuis la levée de la dette sans qu'il y ait eu réajustement de la marge d'intérêt payée ;
- lorsque le taux facial de la dette a été artificiellement minoré par l'adjonction de bons de souscription ou d'autres produits détachables après l'émission de la dette.
Imaginez deux entreprises qui se sont endettées de 100 à taux variable OAT 5 ans + 1 % en 2000. La première a swapé sa dette et est passé à taux fixe à 7 %. L'autre est restée à taux variable. Aujourd'hui, alors que la rentabilité de l'OAT est de l'ordre de 4 %, la première a une dette qui lui coûte du 7 %, la seconde du 5 %.
Ce n'est clairement pas la même chose et les actionnaires de la première sont, de ce fait, moins riches que ceux de la seconde. Ceci se reflètera clairement en évaluation à travers les méthodes directes (actualisation des dividendes ou des cash flow to equity, PER) puisque les frais financiers sont intégrés au calcul. En revanche, dans l'approche indirecte (actualisation des flux de trésorerie disponibles, multiple du résultat d'exploitation), la seule façon de tenir compte de cette réalité différente est de prendre la dette en valeur de marché et non pour son montant comptable. La dette de la première entreprise, compte tenu du swap, vaudra plus que son montant nominal puisqu'elle continue de rapporter du 7 % dans un contexte de taux d'intérêt à 5 %.
Aussi conseillons-nous au lecteur, lorsque l'endettement est significatif et que l'écart entre la valeur de la dette et son montant comptable l'est aussi, de raisonner en valeur et non en montant comptable de la dette.
La lecture du rapport annuel 2003 de France Télécom montre comment cette problématique qui n'existait pas vraiment en 2002 (dette à long terme de 60,4 Md€ en montant comptable et de 62,1 Md€ en valeur) se pose en 2003 grâce à l'amélioration de la solvabilité du groupe. Au 31.12. 2003, la dette à long terme était en montant comptable de 47,8 Md€ mais de 52,1 Md€ en valeur de marché, soit un écart de 4,3 Md€ représentant 8 % de la capitalisation boursière de France Télécom. Négliger cet écart, c'est prendre le risque de se tromper de 8 % au cas particulier. De la même façon, Air France estime qu'au 31 mars 2004, sa dette de durée indéterminée inscrite pour 116 M€ à son bilan vaut 155 M€, soit 34 % de plus.
On notera que ne pas retenir cette approche lorsqu'il y a un écart entre valeur de marché et montant comptable, revient à se mettre en défaut de cohérence interne. En effet, au niveau du calcul du coût moyen pondéré du capital, le taux d'intérêt retenu est le taux d'intérêt actuel de l'entreprise (5 % dans notre exemple initial) et non le taux historique (de 7 %).
Le taux de 5 % ne peut pas s'appliquer au montant comptable de la dette (100 par exemple avec un coupon annuel de 7), mais uniquement à sa valeur (140 si la dette est perpétuelle pour simplifier les calculs de tête), puisqu'il s'agit d'un taux actuel et non d'un taux historique.
En effet, 5 % de 140 donne bien les 7 (100 x 7 %) effectivement versés alors que 5 % de 100 ne donnerait que 5, soit un chiffre différent de la réalité.
Cette approche va-t-elle contre l'intérêt des actionnaires comme on l'entend dire parfois ? Non, car la progression de la valeur de la dette qui est induite par une amélioration de la solvabilité de l'entreprise, ne réduit la valeur des capitaux propres que dans les modèles simplistes et faux.
(2) Voir la Lettre Vernimmen.net n° 30 de juillet - août 2004.
(3) Pour plus de détails, voir le chapitre 57 du Vernimmen.
Tableau : La prime de risque en Europe
Cette estimation est à mi-chemin entre les moyennes historiques de l'ordre de 3,8 % avant 2001 et le niveau actuel estimé par Associés en Finance à 5,5%.
Il n'est pas exclu que le monde après septembre 2001 soit devenu durablement plus risqué et qu'en conséquence les investisseurs demandent une prime supérieure à ce qu'ils demandaient avant 2001 pour investir dans des actifs risqués.
Recherche : Les performances du private equity
Ces financements ont été principalement réalisés par les capital-risqueurs, qui sont spécialisés dans le financement d'entreprises nouvellement créées (capital-risque ou venture capital) que l'on distingue généralement des capital-investisseurs rachetant des entreprises industrielles plus mûres (capital-investissement ou leverage buy-out). Cette segmentation entre capital risque et capital investissement distingue par ailleurs largement l'Europe des Etats-Unis du fait de la prédominance en Europe du capital-investissement et de la faiblesse relative du capital risque.
Cette classe d'actifs, dont on connaît relativement mal les caractéristiques financières, semble présenter des retours sur investissement particulièrement importants. Cette méconnaissance tient au fait que la plupart des fonds sont privés et ne sont pas soumis à des contraintes réglementaires de publications de résultats. Steve Kaplan et Antoinette Schoar (2), de l'université de Chicago et du MIT, ont étudié la performance des fonds de capital investissement aux Etats-Unis sur la période 1981-2001.
S. Kaplan et A. Schoar étudient la perfomance absolue de l'ensemble des fonds de capital risque et de capital investissement et la comparent, faute de mesure précise du risque associé à cette classe d'actif, au taux de rentabilité de l'indice S&P500 sur une même période. La rentabilité annuelle moyenne des fonds de private equity (3) est égale à 18% avec, à première vue, peu de différences entre les fonds de capital risque et de capital investissement (respectivement 17% et 18%).
La rentabilité moyenne des fonds dédiés aux entreprises non côtées est supérieure de 5% à la rentabilité moyenne de l'indice S&P500. Compte tenu de la rémunération des équipes de gestion, de l'ordre de 20% des profits réalisés et de 1,5% à 2,5% des fonds gérés, la performance financière brute est en réalité bien supérieure à la performance de l'indice et donc du marché de référence des entreprises côtées. Cela dit, une prime annuelle de 5 % ne paraît excessive pour rémunérer un risque plus élevé et une liquidité plus réduite que celle d'un placement dans des valeurs cotées. Toutefois, ces résultats masquent d'importantes variations entre équipes de gestion, mais aussi au cours du temps et en fonction du type de fonds.
Ainsi, les fonds de capital risque ont connu des rentabilités relativement faibles dans les années 1980 avec des taux de rentabilité fortement inférieurs au S&P500, alors que dans les années 1990, la tendance s'est inversée avec une forte augmentation de la rentabilité et des performances moyennes très supérieures au S&P500.
Quels peuvent être les facteurs explicatifs de la performance financière des fonds de private equity ? Les auteurs montrent que la taille des fonds influence positivement la performance financière relativement à l'indice S&P500 et ce, jusqu'à un certain point : au delà, c'est à dire pour de très gros fonds, la performance décline. Il semble donc que des déséconomies d'échelle soient à l'œuvre dans cette activité. De la même façon, le fait d'avoir déjà levé plusieurs fois de l'argent auprès d'investisseurs pour un même fonds est positivement corrélé à la performance financière ultérieure du fonds géré : intuitivement l'expérience semble être un facteur important de la performance financière du fonds.
Cet effet se retrouve de manière encore plus explicite à travers l'observation d'un effet de persistance de la performance, aussi bien au niveau des fonds que des équipes de gestion. Les fonds ayant eu une rentabilité élevée dans le passé ont une rentabilité plus élevée que la moyenne les années suivantes. Les équipes de gestion ont un rôle prépondérant dans cette observation : il existe une très forte corrélation concernant la performance de l'ensemble des fonds gérés par une même équipe de private equity. Cet effet de persistance est plus important pour le capital risque que pour le capital investissement. Cet effet de persistance qui semble aller de soi intuitivement va à l'encontre des résultats obtenus pour l'ensemble des fonds de titres côtés et des hedge funds : il n'a jamais été possible, dans leur cas, de montrer un effet persistant d'une année sur l'autre de leur performance.
Les auteurs montrent que la bonne performance passée d'une firme de private equity influence de manière positive la levée ultérieure de fonds nouveaux et que les fonds les plus performants choisissent volontairement de limiter leur croissance afin d'éviter de se retrouver dans des zones de rentabilités décroissantes des investissements. Là encore, il semble que des déséconomies d'échelle jouent dans cette industrie : soit que les investisseurs sont contraints par le marché du travail (il est difficile et /ou coûteux de recruter un nouveau gestionnaire de fonds d'entreprise non côtées), soit qu'ils sont limités par la qualité des bons projets d'investissements. Notre expérience nous laisse penser que la seconde explication est plus pertinente.
Ainsi, en période d'afflux de fonds à investir dans des entreprises non côtées, les auteurs observent un grand nombre de créations de nouveaux fonds par des nouveaux entrants. Ces créations de nouveaux partnerships font suite à une rentabilité élevée des placements de private equity sur l'ensemble du marché. Il semble que ces nouveaux entrants obtiennent des performances médiocres avec leurs fonds : ils ont une probabilité faible de pouvoir lever un nouveau fonds après l'extinction programmée de celui-ci. Il semble donc qu'en période de surchauffe de l'économie et du financement des entreprises non côtées, les nouveaux fonds sont alloués à des acteurs moins performants du marché qui investiront moins efficacement l'argent. L'entrée de ces nouveaux acteurs n'a au total pas un effet négatif sur la performance ultérieure globale de l'industrie du private equity. Toutefois, il semble que la performance des fonds de capital investissement est davantage touchée par l'arrivée de ces nouveaux entrants que le capital risque ne l'est.
Inévitables cycles...
(2) Kaplan, S. et A. Schoar “Private equity performance: returns, persistence and capital flows”, Working Paper MIT Sloan School of Management, Novembre 2003.
(3) Cette mesure de la rentabilité moyenne est calculée nette des commissions, et est pondérée par la taille des fonds.
Q&R : Qu'est-ce qu'un PIPE ?
Cette société trouve ainsi des fonds sous forme de capitaux propres ou quasi capitaux propres qui lui permettent de financer sa croissance. Aussi est-ce sans surprise que ce type d'investissement, apparu dans les années 1990 aux Etats-Unis, s'est fortement développé depuis le marasme boursier entraîné par l'éclatement de la bulle Internet. D'une certaine façon, les investisseurs privés ont pris le relais du marché boursier (temporairement ?) défaillant pour assurer le financement des entreprises. Celles-ci sont principalement de petite taille puisqu'aux Etats-Unis, les PIPE étaient en 2001-2002 concentrés à 65% sur des entreprises d'une capitalisation boursière inférieure à 50 M$ et à 87% inférieure à 250 M$.
Deux PIPE viennent d'être réalisés / annoncés en France :
- l'un par Bull dans le cadre de sa recapitalisation de juin dernier qui a vu Artemis et un fonds d'Axa souscrire à une partie de l'augmentation de capital de 44 M€, se substituant à des actionnaires qui ne voulaient pas la suivre (l'Etat français et Motorola);
- l'autre annoncé par Thomson qui a convoqué une assemblée générale d'actionnaires pour le 15 septembre, qui devra statuer sur une émission d'obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles ou existantes subordonnées juniors d'un montant de 500 M$ réservée au fond américain Silver Lake.
Même si un PIPE s'accompagne du formalisme propre aux société cotées, sa dimension privée (réservé à un investisseur ou à un petit groupe d'investisseurs) permet de prévoir des dispositions en faveur de l'entreprise ou des investisseurs que l'on ne trouve naturellement pas pour des titres émis largement dans le public.
Ainsi dans le cas de Thomson, il est prévu que les obligations convertibles ne sont pas cessibles sans l'accord du conseil d'administration de Thomson, qu'elles ne peuvent pas être couvertes (1) pendant 5 ans, que les actions résultant de la conversion sont sujettes à certaines restrictions de vente ou de couverture, que les intérêts contractuels sont payés nets de toute fiscalité (ce qui signifie que Thomson prend à sa charge l'éventuelle fiscalité de l'investisseur sur les coupons).
Le PIPE est une nouvelle preuve que pour un certain nombre d'entreprises, de petite ou de moyenne taille, la bourse n'est plus, pour l'instant, la structure d'actionnariat la plus satisfaisante. Il s'inscrit dans la même tendance que les retraits de cote, les LBO secondaires ou tertiaires.