La Lettre n°41 de Septembre 2005
Actualités : Le placement des obligations
La première technique (competitive bidding) consiste pour une entreprise à lancer un appel d'offres auprès de la communauté bancaire pour une émission obligataire. L'émetteur choisit l'établissement qui dirige l'opération en fonction des conditions qui lui sont présentées (et donc principalement du prix). Ainsi, il prend le risque de confier le mandat de chef de file à une banque trop agressive en terme de prix. Cette situation se traduit alors par une dégradation du cours des obligations sur le marché secondaire après le lancement de l'opération, car les titres ont été émis à un prix trop élevé (soit à un taux actuariel trop faible). Les souscripteurs apprécieront peu et exigeront un taux d'intérêt plus élevé la prochaine fois que l'émetteur viendra sur le marché primaire. Cette technique de placement qui s'apparente à un bought deal est souvent utilisée par les établissements publics soumis au Code des marchés publics (La Poste…), mais également par les entreprises qui ont déjà émis des emprunts obligataires.
Il existe d'autres techniques d'enchères pour les placements obligataires (mais utilisées généralement pour les obligations d'État) : les Dutch Auctions (enchères « à l'envers ») en sont un exemple.
La technique du bookbuilding permet d'éviter la dégradation du prix après le lancement car le prix d'émission (ou le spread) n'est pas préfixé. La banque chef de file propose une fourchette de prix et sonde les investisseurs afin de déterminer à quel prix ils sont prêts à acquérir les titres. Des réunions avec les investisseurs, des entretiens en tête-à-tête et des présentations diffusées par Internet ou par Bloomberg (electronic roadshows) permettent aux dirigeants d'exposer leur stratégie.
Le chef de file constitue alors un carnet d'ordres qui répertorie les montants et les prix (taux ou spread) proposés par chaque investisseur intéressé par l'émission. Le risque d'erreur d'appréciation est réduit dès lors que le prix d'émission est établi par le marché. La période entre la fixation du prix et la livraison effective des titres se nomme le marché gris, les titres s'y échangent même s'ils n'existent techniquement pas encore : les opérations nouées sur le marché gris sont débouclées après le règlement-livraison et la première cotation officielle. Le chef de file se doit pendant la période de marché gris de s'assurer que le spread auquel l'émission a été « pricée » est maintenu; ainsi intervient-il sur le marché à cet effet.
Cette technique sera utilisée en particulier lorsqu'une émission nécessite ou bénéficiera d'un marketing important. Les entreprises qui souhaitent réaliser un effort de communication important vers les investisseurs (notamment pour pouvoir revenir rapidement sur le marché lorsqu'elles le souhaitent), utiliseront donc la technique du bookbuilding.
Les placements d'actions et d'obligations présentent donc des similitudes ; cependant, le processus de placement obligataire est sensiblement plus court. La durée pourra être extrêmement réduite, en particulier si l'entreprise est un émetteur fréquent, et si elle vise son marché local. Le calendrier sera plus long pour une première émission ou si l'entreprise veut cibler une forte proportion d'investisseurs internationaux.
Un calendrier type pour un émetteur ayant déjà émis dans le passé.
Le rôle du chef de file ne se limite pas uniquement au placement du papier. Il conseille son client, le cas échéant, pour l'obtention d'un rating. Il détermine la fourchette de spread possible grâce à des comparaisons effectuées avec des opérations de même nature (type d'émetteur, rating, durée, taille, devise…). Enfin, il choisit les membres du syndicat de placement pour l'aider à placer le papier auprès du plus grand nombre d'investisseurs.
Lorsque l'entreprise prévoit à moyen terme un certain nombre d'émissions, elle pourra faire paraître une documentation (un prospectus) « chapeau » qui couvrira l'ensemble des émissions qu'elle mettra sur le marché. On parlera alors de programme EMTN (Euro Medium Term Notes). Ce type de documentation permet à l'entreprise de venir très rapidement sur le marché, lorsqu'elle en a besoin, ou lorsque le marché est attractif.
Il convient de mentionner que les émissions sont généralement réservées à des investisseurs « qualifiés » (c'est-à-dire institutionnels). En effet, les émissions ouvertes aux particuliers nécessitent de suivre une procédure plus contraignante pour une demande très marginalement accrue. Les particuliers sont (spécialement en France) relativement peu friands d'obligations pures; lorsqu'ils souhaitent placer leurs économies dans de tels produits, ils se dirigent plus volontiers vers des Sicav obligataires.
Le placement auprès du public nécessite la rédaction d'une documentation en français qui doit être visée par l'AMF. Lorsque l'émission ne vise pas les particuliers, la documentation est rédigée directement en anglais et n'est pas soumise au contrôle des autorités de marché.
Une émission obligataire peut également être réservée à un ou quelques investisseurs. Ce placement privé est alors organisé par une banque qui met en relation l'investisseur et l'entreprise. On parlera alors de reverse enquiry.
Tous les développements précédents s'appliquaient à un émetteur classé ou présumé classé investment grade, c'est-à-dire bénéficiant d'une notation supérieure ou égale à BBB - (1). Dans le cas inverse, il faut compter 9 semaines contre 3 pour aboutir à la fixation des conditions d'émission (2).
(2) Pour plus de détails sur le placement des emprunts à haut rendement voir le chapitre 31 du Vernimmen 2005.
Tableau : Les taux d'impôts dans le monde
Recherche : L'impact de Bâle II sur les PME
Les nouveaux accords de Bâle, Bâle II, vont distinguer petites et grandes entreprises dans la mesure où les risques ne sont pas identiques dans les deux cas pour la banque émettrice (1). Deux auteurs français (2) tentent d'analyser les conséquences prévisibles de ces modifications réglementaires sur les PME françaises. Les PME françaises vont-elles être pénalisées par Bâle II ? Vont-elles être désavantagées par rapport aux grandes entreprises dans l'octroi de prêts ?
Afin de répondre à ces questions, les deux auteurs effectuent une comparaison entre le capital réglementaire exigé des banques, dans le cas de prêts à des grandes entreprises et à des PME de différentes tailles et secteurs économiques. Ils utilisent le mode de calcul préconisé par le comité de Bâle qui tient compte de la probabilité de défaut des entreprises considérées et du niveau de corrélation entre les probabilités de défaut et les conditions macroéconomiques générales. Les données françaises sont issues de la base de données score@rating de la Coface pour les années 1996-2003. Les résultats obtenus par les auteurs sont les suivants :
- conformément à l'intuition, les entreprises de taille plus importante ont une probabilité de défaut moindre. Par contre, leur probabilité de défaut est davantage corrélée aux conditions macroéconomiques que les entreprises de petite taille. Les PME sont davantage sensibles au risque spécifique à leur entreprise (par exemple le secteur économique, la qualité des dirigeants) plus qu'au risque économique général. Or le risque spécifique a l'avantage, pour les banques prêteuses, d'être diversifiable par la détention d'un portefeuille d'engagements variés ;
- si l'on compare la situation actuelle à celle qui prévaudra lors de l'application des nouvelles règles prudentielles, les PME devraient bénéficier de la réforme réglementaire. Le niveau de fonds propres requis pour un prêt à une PME sera dans 93% des cas inférieur aux 8% exigés dans le cadre de la réglementation actuelle. La valeur moyenne du ratio de solvabilité exigé étant même ramené à 5,3% : contrairement à ce que l'on pourrait penser, les banques ne devront pas réduire leurs engagements envers les PME du fait des nouvelles règles prudentielles ;
- toutefois, les PME bénéficieront moins que les grandes entreprises des nouvelles règles de calcul du capital économique. En effet, les correlations entre les prêts retenues dans Bâle II sont fixées à un niveau supérieur à celui observé dans la pratique. Ceci pénalise les prêts aux PME qui réduisent naturellement plus le risque d'un portefeuille bancaire (compte tenu de leur faible taille) que les prêts aux groupes. Si l'on calcule le niveau de corrélation de la probabilité de défaut au niveau du portefeuille bancaire d'engagements envers les PME, la corrélation n'est que de 1,6% alors que le mode de calcul réglementaire impose un niveau égal à 16% selon le calcul des auteurs.
Le nouvel accord de Bâle va donc réduire les charges réglementaires en capital des banques qui prêtent aux entreprises. Toutefois, cette réduction va être moins importante pour les PME que pour les grandes entreprises. Cela est dû au fait que les modes de calcul réglementaires ne permettent pas de considérer les effets de diversification au niveau du portefeuille d'engagements.
Les résultats présentés par les auteurs ne permettent pas de comprendre de manière certaine l'effet global qu'aura cette réforme sur les PME françaises. En effet, les banques vont-elles réduire leurs engagements envers les PME françaises pour augmenter ceux envers les grandes entreprises ?
Compte tenu de l'appétence forte des banques à prêter, on peut estimer que le plus probable est qu'il n'en sera rien. D'autant qu'au-delà des exigences en capitaux propres dont les banques regorgent aujourd'hui, le grand enseignement de cette étude est de souligner la faible corrélation entre eux des prêts aux PME et donc l'intérêt de ce type d'actifs pour diversifier les portefeuilles bancaires.
Pour poursuivre cette analyse et comprendre les progrès faits par les banques pour analyser le risque des crédits, nous ne saurions trop conseiller à notre lecteur de consulter, dans le numéro d'octobre de la Revue Echange(1), l'article de Thomas d'Archimbaud et plus généralement l'ensemble de ce numéro consacré à Banques et risques d'entreprise.
[Publiée par l'Association des Directeurs Financiers et des Contrôleurs de Gestion (DFCG)]
(2) Michel Dietsch et Arnaud Tisseyre, « Bâle II et les PME : Prospective sur les conditions d'accès au crédit des PME », Revue Banque, n ° 669, mai 2005, pages 50-52.
Q&R : Choix DPS versus BSA lors d'une augmentation du capital : l'exemple de France Télécom et de Suez
Dans les deux cas, les actionnaires actuels ont bénéficié d'une priorité de souscription, mais qui a pris deux formes différentes :
- l'attribution par France Télécom de bons de souscription d'actions (BSA(1)) exerçables pendant une durée de 13 jours civils. A défaut d'exercice, les BSA sont automatiquement rachetés par France Télécom pour le compte du syndicat de garantie de cette opération, immédiatement exercés par celui-ci, qui replace alors dans le marché les actions nouvelles ainsi obtenues. L'écart entre le prix de vente de ces actions nouvelles et leur prix de souscription, ajusté de la parité de souscription, est versé aux détenteurs des BSA non exercés.
- l'attribution plus classique de Droits Préférentiels de Souscription (DPS)(2) par Suez.
Quels sont donc les facteurs qui conduisent à choisir telle ou telle technique ?
Traditionnellement l'argument de la vitesse de réalisation de l'opération, et donc la minimisation des risques du marché pris par le garant de l'émission, favorisait la technique du BSA. Depuis la réforme du droit des valeurs mobilières de juillet 2004, cet argument est en grande partie tombé car la période minimum de souscription par DPS a été réduite de 10 jours de bourse à 5 jours. Compte tenu du reclassement des actions nouvelles correspondantes aux BSA non-exercés, les opérations France Télécom et Suez ont été ou seront bouclées dans un delai similaire de moins d'un mois
Dès lors, le principal critère de choix entre ces deux techniques est la volonté ou non des principaux actionnaires actuels de suivre ou non l'augmentation de capital.
Pour Suez, les grand actionnaires (Crédit Agricole, CDC, Areva, Caixa, CNP) voulaient suivre l'opération à hauteur de leurs droits, certains même au-delà (GBL, Sofina). Dès lors, la technique du DPS semble mieux indiquée car elle autorise les souscriptions à titre réductible sans qu'il y ait besoin de se porter acheteur de BSA sur un marché peu liquide comme cela aurait dû être le cas si la technique des BSA avait été utilisée.
Pour France Télécom, l'Etat ayant indiqué qu'il ne souhaitait pas suivre l'augmentation de capital, la technique de BSA évitait le reclassement des DPS, opération plus lourde que le simple exercice des BSA puis le reclassement des actions obtenues. Il lui a suffi de ne rien faire pour être automatiquement indemnisé de l'abandon de ses BSA sans avoir besoin de les vendre. Les esprits facétieux y verront une prime à la paresse car dans l'opération avec DPS, il faut vendre ses DPS pour toucher leur contrevaleur. Ils auront tort, ce n'est qu'un meilleur service apporté par les banques à leurs clients !
(2) Pour plus de détails sur les BSA, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2005.