La Lettre n°5 de Novembre 2001

Actualités : Les nouvelles dispositions des droits boursiers français et allemand en matière d'offres publiques(1)

1 En France

La loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) et divers aménagements du Règlement Général du CMF (Conseil des Marchés Financiers) ont conduit à des modifications du droit boursier français. Pour l'essentiel, il s'agit d'aménagements de fond ou de forme suscités par l'expérience ou la jurisprudence des grandes offres de 1999 (BNP-Paribas-Société Générale, TotalFina-Elf Aquitaine).

  • Modifications des conditions de seuil

    L'initiateur d'une offre non obligatoire (c'est-à-dire non motivée par le franchissement d'un seuil comme celui de 33,3%) peut assortir son offre d'une condition d'obtention d'un nombre minimum de titres. Le succès de l'offre est désormais obligatoirement conditionné à l'atteinte du seuil visé alors qu'auparavant l'initiateur pouvait prendre les titres si le seuil n'était pas atteint.

  • Consultation du comité d'entreprise

    Le comité d'entreprise de la société cible peut décider d'auditionner l'auteur de l'offre et peut se prononcer sur son caractère amical ou hostile. Si le dirigeant de la société initiatrice refuse de se rendre à l'invitation du comité d'entreprise de la cible, les actions de la cible que l'initiateur viendrait à acquérir lors de l'offre sont privées de droits de vote. C'est donc une invitation qui peut difficilement se refuser !

  • "L'offre voiture balai"

    L'initiateur d'une offre qui détient à l'issue de celle-ci plus des deux tiers des actions et des droits de vote de la cible, ou plus de la moitié si plusieurs offres étaient en compétition, peut rouvrir l'offre aux mêmes conditions dans les 10 jours suivant la publication de l'avis de résultat de l'offre initiale. Il s'agit d'une mesure de simplification qui permet d'éviter de relancer une nouvelle offre en reprenant à zéro la procédure réglementaire.

  • La technique de la dernière enchère

    Le CMF pourra désormais fixer une date limite à chacun des compétiteurs en lice pour le dépôt d'une ultime surenchère lorsque plus de 10 semaines se sont écoulées depuis le début de l'offre initiale du fait des offres successives. Nous ne devrions plus voir de bataille durant 6 mois !

  • Les offres liées

    Il est désormais possible de lancer une double offre visant deux sociétés en assortissant chacune des offres d'un seuil minimum de titres apportés et en précisant qu'il ne sera donné de suite favorable à chaque offre que si le seuil requis est atteint dans l'autre.

  • Modification du calendrier

    Désormais l'initiateur de l'offre et un éventuel concurrent ont le même délai, soit 20 jours de bourse après l'ouverture de l'offre pour soit surenchérir, soit effectuer une autre offre. Auparavant l'initiateur de l'offre avait 25 jours pour faire une surenchère, soit 5 jours de plus qu'un concurrent n'en avait pour déposer une contre-offre.

  • Droit de retrait de l'offre par l'initiateur

    Le principe général qui veut qu'une offre soit irrévocable sauf si la condition minimale de détention n'est pas atteinte, ou sauf si l'AGE de l'initiateur refuse l'émission d'actions en cas d'OPE, ou sauf si l'initiateur abandonne son offre 5 jours de bourse suivant une contre-offre ou une surenchère, ou si la société visée prend des mesures certaines modifiant sa consistance, admet une nouvelle exception. En effet, si l'offre devient sans objet, l'initiateur peut être délié de son offre après accord du CMF : c'est par exemple le cas lorsqu'une offre « pacman » (la cible riposte à une offre en lancant une offre sur l'initiateur) a échoué.

  • Interventions sur le marché pendant une offre

    En période d'offre publique, toutes les transactions portant sur des titres concernés par cette offre doivent être effectuées sur un marché réglementé de l'Espace Economique Européen.

    Dans le cas d'une OPA sans condition de seuil minimum, l'initiateur a le droit d'acheter des actions de la cible à un prix inférieur ou égal à celui de l'OPA jusqu'à 20 jours après l'ouverture de l'offre (date limite pour les dépôts de surenchères et des contre-offres). S'il effectue ses achats à un prix supérieur, le prix d' offre est automatiquement relevé pour être porté au plus haut du prix d'offre majoré de 2% et du plus haut des prix d'achat dépassant le prix d'offre initial. En revanche et c'est la nouveauté, après le vingtième jour suivant l'ouverture de l'offre et jusqu'à la publication des résultats de l'offre, les achats à un prix supérieur au prix d'offre sont interdits.

    Dans le cas d'une OPE, et pendant toute la durée de l'offre, ni l'initiateur, la cible ou les personnes agissants de concert avec l'un ou l'autre, ni leurs conseils n'ont le droit d'intervenir sur les titres de l'initiateur ou de la cible.

2 En Allemagne

La loi allemande sur les offres publiques vient d'être adoptée, ses principaux points sont les suivants :

  • Offres concernées : Le texte vise les offres de prise de contrôle et les offres d'acquisition de titres complémentaires en cas de détention préalable du contrôle. Dans ce dernier cas, les offres partielles sont permises.
  • Offres obligatoires : Obligation de déposer une offre sur 100% du capital en cas de franchissement direct ou indirect du seuil de 30% des droits de vote. Le texte prévoit certains cas dans lesquels la COB allemande (BAWE) peut accorder une dérogation (transmission à l'intérieur d'une famille et d'un groupe de sociétés notamment).
  • Prix d'offre : Le prix de toute offre visant le contrôle (obligatoire ou volontaire) doit être égal au minimum au plus élevé de la moyenne pondérée des cours des trois derniers mois précédant l'offre et, le cas échéant, du prix le plus élevé payé par l'initiateur dans les trois derniers mois pour l'acquisition de titres de la cible. Le prix peut être payé en cash ou en titres, mais si des acquisitions précédentes portant sur plus de 5% du capital ont eu lieu en cash, l'offre doit être payée en cash. Si l'acquéreur acquiert des titres supplémentaires dans le délai d'un an, il doit verser le complément éventuel aux personnes ayant apporté leurs titres à l'offre (sauf fusion ou squeeze-out). Le prix des autres offres est libre.
  • Conditionnalité : L'offre peut être soumise à des conditions, comme l'obtention de certaines autorisations, notamment des autorités anti-trust de Bruxelles, ou le franchissement de seuils, mais qui doivent être réalisées à la clôture de l'offre dans le délai légal. L'initiateur peut y renoncer. Il ne peut pas conditionner son offre si celle-ci est obligatoire.
  • Note d'information : L'initiateur doit rédiger une note d'information exhaustive qui engage sa responsabilité.
  • Agissements de l'initiateur : L'initiateur et les personnes qui agissent de concert avec lui ne peuvent intervenir sur les titres des sociétés concernées en cours d'offre. Il ne peut pas non plus promettre des avantages aux dirigeants de la cible pour que ceux-ci acceptent son offre.
  • Moyens de défense : La société cible ne peut se défendre en période d'offre que si l'assemblée générale a approuvé les moyens de défense (en-dehors de la recherche d'un chevalier blanc). Toutefois, la cible peut faire voter à l'avance des moyens de défense pour une durée de 18 mois à la majorité des trois quarts des votes présents ou représentés.
  • Durée de l'offre : La durée des offres est d'au moins 4 et d'au plus 10 semaines (sauf modification de l'offre ou offre concurrente) avec possibilité d'une offre « voiture balai » de deux semaines.
  • Contrôle des offres : La BAWE veille au respect de ces règles. Ses décisions ne peuvent être contestées que par l'initiateur, selon une procédure accélérée avec possibilité d'appel. Le recours n'est pas suspensif sauf si la décision concerne le refus d'une dérogation à l'obligation de déposer une offre publique.
  • Squeeze-out : La loi prévoit la possibilité de réaliser un squeeze-out si l'initiateur détient plus de 95% du capital. Il nécessite la production d'une évaluation approfondie de la part de l'initiateur et d'une évaluation d'un expert indépendant. C'est l'assemblée de la cible qui décide du squeeze-out. Les minoritaires n'ont pas de moyen de recours si le squeeze-out fait suite à une offre ayant eu lieu il y a moins de 6 mois, payée en cash, et si plus de 90% des actionnaires de la cible l'avaient acceptée.
1 Merci à Christophe Jalinot et Marc Demuth pour cet article.



Tableau : 10 ans de structure financière

    Calculés pour les 3.000 premières entreprises européennes cotées en bourse, hors secteurs de la banque et de l'assurance, les graphiques suivants, élaborés avec l'aide d'Eurofinancials, témoignent d'une remontée de l'endettement bancaire et financier net depuis 1998. L'accélération en 2000 s'explique par des taux d'intérêt nominaux à leur plus bas historique depuis 30 ans et un climat assez euphorique de croissance en volume et d'inflation très faible (vite évanoui en 2001), propice à des opérations de croissance externe financées par endettement.

Les dettes ne se remboursent pas avec les capitaux propres sauf en cas de faillite. Dès lors, le ratio dettes/excédent brut d'exploitation ( EBE, soit l'EBITDA des anglo-saxons) mesure la capacité de l'entreprise à faire face à son endettement avec ses flux approximés par l'EBE. La tendance est confirmée d'une hausse de la dette qui n'atteint cependant pas globalement des niveaux alarmants.

Le ratio d'endettement net calculé par rapport aux capitaux propres exprimés en valeur de marché montre la même tendance bien qu'atténuée par de très bonnes valorisations boursières qui le tirent à la baisse.



Recherche : Crédit-bail versus crédit bancaire

Trois professeurs lillois (2) se sont penchés sur les conséquences pour les créanciers existants d'une décision de financement par crédit-bail. On sait qu'une telle décision génère au moins trois effets :

  • une pénalisation des créanciers actuels liée à la rétrogradation des dettes existantes et non sécurisées : le bien en crédit-bail ne fait, en effet, pas partie de la masse des actifs appréhendables par les créanciers en cas de liquidation alors que si le bien avait été financé par endettement bancaire, il en ferait partie ;
  • à l'opposé, les créanciers exercent un meilleur contrôle sur le risque de l'actif économique d'une entreprise puisque celle ci ne peut plus céder ces actifs maintenant en crédit-bail pour leur substituer des actifs plus risqués, ce qui aurait pour conséquence de réduire la valeur des dettes et d'augmenter celle des capitaux propres (3) ;
  • enfin, l'entreprise subit une perte de flexibilité opérationnelle : elle n'est plus maîtresse de ses actifs. Mais ceci est la contrepartie des avantages du crédit-bail : financement intégral qui ne requiert pas un apport en capitaux propres supplémentaire, souplesse et rapidité de mise en place...

A partir d'un échantillon de 721 entreprises belges, les auteurs montrent clairement que :

  • les entreprises semblent privilégier des politiques de financement assez marquées : le financement en crédit-bail est soit faible (la moitié d'entre elles l'utilisent pour moins de 10% de leur financement bancaire) ou fort (pour 20% d'entre elles, la part du crédit-bail dans les crédits bancaires est supérieure à 90%). Peu d'entreprises optent pour un financement intermédiaire. Les auteurs avancent que lorsque la part du crédit-bail dans le total du financement bancaire s'élève, le banquier rationne l'entreprise en crédits classiques puisque son risque se détériore. Elle est alors poussée encore plus vers le crédit-bail qui devient son mode de financement quasi exclusif ;
  • le banquier non crédit bailleur demande des garanties croissantes avec la part du crédit-bail dans le financement de l'entreprise afin de faire face à la baisse induite de la qualité de ses créances.

Au total, cette étude nous rappelle que c'est une grande erreur en finance de raisonner en ne considérant que le coût de la source de financement marginale sans s'inquiéter des répercutions que sa mise en place induit sur le coût des ressources existantes. C'est une limite au développement des financements adossés sur des actifs spécifiques analysés dans la dernière Lettre Vernimmen.Net.

2 Eric de Bodt, Marie Christine Filareto et Frédéric Lobez, Banques & Marchés n° 54, septembre-octobre 2001.
3 Pour plus de détails sur ce point, voir le chapitre 35 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen - Dalloz 2000



Q&R : Impact des rachats d'actions sur le BPA

Le rachat d'actions par l'entreprise entraîne une augmentation (relution) du bénéfice par action (BPA) lorsque l'inverse du PER est supérieur au taux d'intérêt de l'endettement (ou des placements) après impôt. Dans le cas contraire, il y a dilution du BPA.

En effet, l'inverse du PER correspond au bénéfice net divisé par la valeur des actions, c'est-à-dire au taux de rentabilité comptable immédiat sur les actions de la société.Si les actions d'une société valent 100 et que celle-ci réalise un bénéfice net de 5, son PER est de 20. L'inverse de 20 est 5 %, c'est le taux de rentabilité immédiat que l'on obtient en achetant les actions de cette société puisque pour l'achat d'une action valant 100, le résultat net qui revient à l'actionnaire est de 5.

Si la société rachète ses propres actions pour 100, elle réalise sur ce placement un taux de rentabilité comptable immédiat de 5 % et si elle peut s'endetter à 3 % après impôt pour ce faire, on voit qu'elle réalise une marge positive (5% - 3%) et donc un profit comptable, ce qui explique que dans ce cas de figure il y ait croissance du BPA.

Mais ceci est purement arithmétique et ne dépend que du PER et des taux d'intérêt après impôt auxquels l'entreprise peut financer sa réduction de capital ; ce n'est pas preuve de création de valeur (4).

4 Pour plus de détails voir le chapitre 43 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen Dalloz 2000



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