Donc, il faut bien comprendre cette espèce de jeu de stress qui est un jeu à plusieurs strates et qui donne un éclairage assez particulier au management des LBO. C’est en découvrant la pression qu’avaient mes actionnaires les fonds de LBO auprès de leurs banques et de leurs propres investisseurs que j’ai commencé à comprendre un certain nombre de règles de gestion des LBO.
Pour moi, le premier principe en matière de gestion d’une entreprise sous LBO, c’est l’espace temps. L’espace temps dans lequel vous être confronté est quelque chose qui, d’une façon ou d’une autre, impacte la façon dont vous appréhendez les problèmes auxquels est soumis n’importe quelle entreprise. Quand vous dirigez un business, il est rare qu’on vous explique que dans cinq ans il sera vendu. La plupart du temps vous partez pour l’éternité. Moi quand j’étais patron du groupe Havas, je n’imaginais pas un jour d’abord qu’Havas finirait comme il a fini, cela est un autre débat, mais si vous voulez je ne pensais pas qu’il serait vendu cinq ans après mon arrivée. Donc, vous rentrez dans un business et on vous dit, et vous le comprenez, que globalement dans cinq ans vous ne serez plus là.
Donc, cet espace temps, qui est limité, sous entend qu’il faut donner un rythme très rapide à l’entreprise et que ce rythme il faut absolument le maintenir. J’avais déjà compris dans d’autres sociétés que si le management en haut dort, il y a peu de chance qu’au troisième étage on soit éveillé, mais alors d’un LBO c’est encore plus crucial. Donc, il faut maintenir une pression en permanence sur tous les paramètres de l’entreprise avec une stratégie très claire que tout le monde comprenne, parce que l’espace temps c’est une donnée absolument incontournable et que si vous n’avez pas compris très vite le business, je dirais en quatre mois, si vous n’avez pas compris qui étaient les bons actifs et qui étaient les moins bons, il y a peu de chance que votre LBO soit un succès.
Vous voyez tout de suite lorsque qu’un manager comprend les règles d’un LBO. C’est instantané, vous voyez sa façon dont se comportent ses frais généraux, le type de voiture qu’il achète, à quelle heure il arrive au bureau, à quelle heure il part, etc …. Si vous voulez, le diable se cache dans les détails et dans le LBO c’est particulièrement frappant. Vous jouez contre du cash.
Et la deuxième notion fondamentale d’un LBO, c’est que vous passez de la notion du cash virtuel au cash réel. Quand vous dirigez des grands groupes, vous avez un directeur financier qui vient et qui vous dit « je vous mets tant comme provisions, tant machins, etc … ». La notion même de provisions sur un LBO est quelque chose qui n’existe pas. C’est un jeu, vous avez un EBITDA, il faut transformer cet EBITDA en cash flows et vous allez chercher tous les dollars possibles et inimaginables dans tous les recoins de l’entreprise puisque vous avez une dette à payer et qu’il n’est pas question que quelqu’un vienne vous dire « moi, cette année je vais gagner 110, on va mettre 10 de coté pour l’année prochaine, on va les matelasser quelque part en provisions où que ce soit, parce que cela va améliorer globalement la tenue du compte d’exploitation ». Là, il s’agit absolument d’optimiser la remontée de cash à tous les niveaux. Donc le besoin en fonds de roulement est un élément clef. On apprend véritablement le sens de l’économie, le sens de la remonté du cash et cette notion que le cash devient le problème clef, puisque c’est le cash qui paye la dette et la dette qui crée le TRI, c’est quelque chose au départ avec lesquels les gens ne sont pas tellement familiarisés. D’où l’intérêt d’avoir avec soi un très bon directeur financier.
La troisième notion qui est importante dans un LBO, c’est d’être capable pour toutes ces raisons de stress qui pèsent sur les investisseurs que sont les fonds, c’est d’être capable de créer un climat de confiance absolument immédiatement.
Si vous n’avez pas de système de confiance avec les fonds, il est absolument impossible de fonctionner et donc c’est un espèce de jeu psychologique où selon l’expression que l’on a pas une deuxième chance de faire une première impression, le premier conseil d’administration est clef. Tout d’un coup vous découvrez, c’est comme une première, vous êtes devant des gars, vous les avez vus, c’était sympa, on monte l’escalier et on discute les packages etc ….. Ensuite on se retrouve dans un conseil et le monde change, à partir de là on rentre véritablement dans la dramaturgie propre du LBO et là il faut tout de suite créer la confiance. Il faut montrer que vous allez vite, que vous avez compris, que vous allez être transparent et quand vous avez trois actionnaires, être transparent c’est absolument fondamental.
Surtout que vous avez en face de vous des gens qui sont extrêmement talentueux. Moi j’ai été très surpris par la qualité, et cela sans flagornerie, des interlocuteurs que j’ai en face de moi avec les fonds. J’ai vu des conseils d’administration «prestigieux» où objectivement les administrateurs ne faisaient pas la différence entre une publicité et un trou dans le mur, on leur racontait absolument n’importe quoi.
Par contre, les gérants des fonds de LBO savent ce quoi ils parlent : les fonds ce sont des actionnaires engagés. Chacun a mis son argent autour de la table puisque le système du carried interest fait que chacun gérant d’un fonds de LBO met fondamentalement une partie de son salaire dans chacun des deals
La qualité des conseils d’administration est fondamentale. La qualité des gens et la notion du risque réparti fait que on parle de sujets réels. Il y a de grands conseils d’administration avec d’immenses débats politico-psychiatrique sur l’avenir du monde. Je dirais que là c’est comment vous faites à la fin du mois, comment on remonte le cash, c’est quoi le cash flow, c’est quoi la bonne stratégie, qui on peut recruter, etc …
Donc de ce point de vue là, c’est une autre façon de travailler et objectivement elle est plutôt enrichissante. Moi je ne pourrais pas changer, à ce point là de ma vie aujourd’hui, pour un autre style de rapport avec mes actionnaires.
Il y a un dernier point fondamental en termes de management, c’est qu’il faut surtout faire comme si votre entreprise n’était pas sous LBO. Ca c’est un problème absolument clef. C’est quelque chose que j’avais eu de la chance de comprendre tout de suite, en expliquant à mes actionnaires, que si l’on ne crée pas de la valeur industrielle, on n’aura pas de valeur financière. Et donc il faut absolument une stratégie et une politique d’investissement qui soient fortes, qui permettent de développer du business, permettent de passer un discours, et qui soient motivantes pour l’entreprise.
Si vous rentrez dans une entreprise pour dire : regardez c’est très simple, moi j’ai pris 100 % du capital, j’ai sept fois l’EBITDA en dette, donc il y a 100 dollars qui rentrent et 100 dollars qui partent pour rembourser la dette et pas pour investir, vous n’allez pas motiver grand monde.
C’est vrai qu’il y a un coté un peu curieux dans le LBO pour quelqu’un qui n’en vient pas, c’est ce coté gare de triage de cash. Si vous voulez, lorsque vous avez une dette de 300 millions, il y a du cash qui rentre, vous n’avez pas le temps de le voir arriver qu’il est déjà chez les banques. Vous direz c’est la Gare de Lyon, ça repart comme ça direct, donc vous essayez de garder un peu de cash, oui mais je voudrais investir. Pas du tout, il fallait le dire avant.
Dès le départ, dans un discours stratégique clair avec les fonds de LBO, on a fixé les règles et on a dit « écoutez, en aucun cas, 100 % de l’EBITDA partira en remboursement de la dette ; on va essayer de garder au moins 20 à 25 % comme un support d’investissement, Il est très important que votre société ne soit pas perçue comme exclusivement une entreprise sous LBO avec uniquement cet exercice de remontée du cash et de la dette. Cela ne fonctionne pas.
Donc, si vous voulez ces quatre règles, à mon avis, sont assez fortes et je pense que tout manager de LBO est à peu près confronté à ce type d’équation. Donc, un espace temps différent, clair, managé comme si ce n’était pas en LBO, une transparence absolue et la notion du cash.