La Lettre n°6 de Décembre 2001

Actualités : Les scissions

British Telecom vient de donner naissance à Mmo2 en scindant ses activités de téléphonie mobile de son réseau historique. Il y a quelques mois, Eridania Beghin Say disparaîssait pour créer Provimi (alimentation animale), Beghin Say (sucre), Cerestar (amidon) et Cereol (huile) ; et peut-être que Schneider se séparera ainsi de Legrand pour satisfaire les autorités de Bruxelles.
Les mérites de la diversification ont depuis le début des années 60 été mis à mal par la théorie financière qui a démontré que la diversification ne créait pas de valeur, car elle ne fait que réduire un risque (le risque spécifique(1)) pour lequel il ne peut y avoir de rémunération. En effet, le modèle de valorisation aujourd'hui universellement accepté, le MEDAF, repose notamment sur le fait que l'investisseur ne valorise pas une diversification qu'il peut lui-même réaliser sans coût dans son portefeuille. 

Au-delà de cette non valorisation de la diversification, on observe souvent que les groupes diversifiés sont valorisés en bourse moins que la somme des divisions qui les composent. C'est la décote de conglomérat. Elle est due :

  • aux coûts centraux de fonctionnement du conglomérat,
  • à la mauvaise allocation ou à la crainte de mauvaises allocations des ressources entre les différentes entités, des divisions durablement insuffisamment rentables étant conservées et financées par de meilleures divisions qui, de ce fait, sont freinées dans leur développement,
  • ou encore à la difficulté pour le marché à comprendre le groupe, difficultés accrues par la spécialisation sectorielle de quasiment tous les analystes et au nombre croissant de sociétés cotées qui augmente les choix d'investissements possibles et conduit les investisseurs à préférer ce qui est simple et lisible.


On comprend donc pourquoi les groupes cherchent de plus en plus à se concentrer sur un métier. Ce recentrage se fait généralement par cession des activités qui ne sont plus centrales. Dans certains cas, la cession n'est pas souhaitée ou n'est pas possible, les groupes ont alors recours à une opération simple dans son principe, mais complexe à mettre en oeuvre : la scission.

Principes et modalités

Une scission consiste à imposer ou à offrir la possibilité aux actionnaires d'une société de devenir actionnaire « en direct » d'une de ses activités, sans avoir à investir de cash. Deux familles d'opérations existent suivant que l'opération une fois décidée s'impose à tous les actionnaires ou reste un choix :
 


Scission
demerger
  • Séparation des activités d'un groupe. Après opération, les actionnaires en direct des différentes activités sont exactement les mêmes que les actionnaires initiaux du groupe.
  • L'opération peut être réalisée sous forme de distribution des actions d'une filiale sous forme de dividende (spin-off en franglais); ou par dissolution de la maison mère et remise aux actionnaires d'actions des filiales regroupant les activités (split-up).

  • Si immédiatement après l'opération, des actionnaires des deux sociétés scindées sont par nature identiques, les actionnariats divergent ensuite très vite.
 

Offre Publique de Rachat d'Actions (OPRA) payée en actions d'une filiale
split off

  • Il est offert aux actionnaires qui le souhaitent d'échanger leurs actions de la maison mère contre des actions d'une filiale. Les actions apportées à l'offre sont, après opération, annulées par la maison mère pour éviter un autocontrôle inutile.
  • Le split-off est donc d'une offre publique de rachat d'actions payée en actions d'une filiale et non en cash.
  • Si tous les actionnaires participent à l'offre, le split-off aboutit exactement à la même situation que le demerger · Si l'offre a peu de succès, la société mère peut se trouver rester actionnaire de la filiale qui devient cotée.


 

Quand scinder ?

Constatant que le regroupement de différentes activités au sein d'un groupe est plus destructeur de valeur que créateur de valeur, l'actionnaire contrôlant qui ne souhaite pas modifier son portefeuille d'activité a pour seule solution la scission. Elle peut également être une réponse lorsque la cession est quasi impossible (pas d'acheteur, …). Enfin, la scission peut être le prélude à une cession « par appartement » à l'instar d'Eridania Béghin Say.
 


Les embûches


La scission est une opération complexe d'un point de vue juridique et fiscal. Elle nécessite notamment d'allouer l'ensemble des actifs et des passifs à l'une ou l'autre des activités. Les actifs et passifs partagés sont généralement affectés selon des clés de répartition (effectifs, capitaux propres, capacité de remboursement pour la dette). Une fois, les actifs et passifs identifiés, il faut les apporter aux sociétés qui vont devenir les réceptacles des activités scindées.

Ces apports sont réalisés sur la base des valeurs réelles, ce qui pose potentiellement un problème d'impôt sur les plus-values. En France, le paiement de cet impôt par les sociétés peut être évité si les actionnaires principaux (détenant au moins chacun 5% des droits de vote et collectivement au moins 20% du capital) s'engagent à conserver leurs actions pendant 3 ans (2). L'opération nécessite naturellement d'être votée en assemblée générale extraordinaire.

Notons que l'actionnaire individuel n'est pas contraint de payer l'impôt sur les plus-values immédiatement car comme dans le cas d'une OPE, le report de la plus-value fiscale est de droit.

Du fait de leur complexité et du long travail préparatoire pour les mettre en oeuvre, les opérations de scission sont peu fréquentes. Citons les scissions de Chargeurs en Chargeurs International (textile) et Pathé (cinéma), Hillsdown Holdings Plc et Terranova Plc ; Burton Group Plc et Debenhams ; Novartis AG et Ciba Specialty Chemicals Inc ; Volvo AB/Swedish Match BV ou les split-off d'Ixo/ Infosources, General Motors/Delphi ; Dupont/Conoco ; Ford/Associated First Capital ; AT&T/Lucent,…

La scission n'est pas le remède à tous les maux : si l'une des activités scindée est de taille trop faible, elle souffrira alors en bourse d'une forte décote de liquidité. Et tous les conglomérats ne sont pas des échecs financiers : General Electric, Bouygues,…. D'une certaine façon, la scission représente le triomphe de la paresse (de l'investisseur ou de l'analyste qui ne veulent pas faire l'effort de comprendre un groupe complexe) et de l'égoïsme (des dirigeants qui ne veulent plus contribuer au financement d'activités moins bien portantes ). Mais c'est aussi celui de la théorie financière moderne qui dénie une existence durable à ceux qui lient des actifs ensemble sans en augmenter de ce fait la valeur totale.

(1) Voir chapitre 25 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen Dalloz 2000
(2) Projet de loi de finance pour 2002



Tableau : Imposition des plus-values et des dividendes

 



Recherche : La performance des introductions en bourse

Edith Ginglinger et Pascal Grandin ont eu la bonne idée de réunir des travaux de chercheurs sur la thématique de l'introduction en bourse dans le dernier numéro de la revue Banque et Marchés (1).

François Degeorge et François Derrien montrent que l'idée répandue d'une surévaluation des sociétés introduites, suivie logiquement d'une sous performance ultérieure de leur cours, est fausse dès lors qu'elles sont comparées à des sociétés similaires par la taille (capitalisation boursière) et le potentiel de création de valeur (ratio valeur des capitaux propres/montant des capitaux propres). Partant d'un échantillon de 243 introductions réalisées sur le Second marché ou le Nouveau marché de la bourse de Paris de 1991 à mi 1998, les auteurs montrent par ailleurs qu'aucune caractéristique des entreprises introduites (comme leur âge, leur structure financière, leur actionnariat, etc…) n'explique les performances boursières ultérieures.

La seule anomalie repérée est la sous performance des introductions en bourse des entreprises financées par les sociétés de capital risque. En effet, l'évolution des cours de ces sociétés après introduction est inférieure à celle requise pour offrir à leurs nouveaux actionnaires une rentabilité en rapport avec le risque. Ceci dénote une surévaluation de ces entreprises au moment de leur introduction, que l'on peut probablement attribuer aux souhaits des capital risqueurs de tirer le meilleur prix de leurs actions au détriment de la carrière boursière d'une entreprise dont ils se désintéressent puisqu'ils cessent d'en être actionnaires. Investisseurs qui nous lisez : à bon entendeur, salut !

Alain Schatt et Thierry Roy se sont intéressés à l'impact des modifications de la structure de l'actionnariat des entreprises qui s'introduisent en bourse sur leur niveau de valorisation. Ils ont raisonné à partir d'un échantillon de 220 introductions  réalisées entre 1996 et 2000 sur les Second et Nouveau marchés de Paris.

Conformément à la théorie du signal et de l'agence (2), les auteurs montrent que la cession d'actions par les actionnaires de contrôle influence négativement la valorisation des entreprises. Possédant a priori plus d'informations que la communauté des investisseurs, ceux-ci signalent de faibles opportunités de création de valeur future en cédant à l'occasion de l'introduction une fraction élevée d'actions. En revanche, la cession d'actions à cette occasion par des actionnaires minoritaires qui ne disposent pas de ces informations précises n'a pas d'influence sur la valorisation de l'entreprise, car leurs ventes ne peuvent pas être interprétées comme un signal.

Patrick Sentis s'est, quant à lui, intéressé au devenir boursier des entreprises qui se sont introduites sur la bourse de Paris entre 1991 et 1998. Il montre ainsi qu'à peine 15% des entreprises introduites sur cette période sont sorties du marché au 31/12/1999, alors qu'aux Etats-Unis, E. Fama et K. French (3) chiffrent cette proportion à 64% sur la décennie 1980-1990 dont 24% par fusion et 40% pour cause de mauvaise performance (4). Certes si le recul de l'étude de P.Sentis est inférieur à celui de ses confrères américains, il n'en demeure pas moins que la qualité des nouvelles recrues sur le marché français est bien meilleure que celle des nouvelles recrues américaines qui viennent en bourse beaucoup plus tôt dans leur développement que leurs consœurs françaises.

Par ailleurs, P.Sentis montre que seule une entreprise nouvellement introduite sur six procède à une augmentation de capital dans les 4 ans de son introduction. Sur ce même thème, mais sur une période différente, E.Ginglinger et A-M.Faugeron-Crouzet (5) estiment plutôt cette proportion à une sur quatre, soit à peu près le même taux qu'Etats-Unis. Ainsi, bien que venant en bourse à un stade de leur développement plus avancé que celui de leurs consœurs américaines, les entreprises françaises y lèvent des capitaux propres presque aussi souvent. 
 

(1)  N°55 Novembre - Décembre 2001. 
(2) Pour plus de précisions sur ces théories, voir le chapitre 32 de  Finance d'Entreprise de Pierre Vernimmen - Dalloz 2000. 
(3) Dans Newly listed firms : fundamentals, survival rates and returns - Working Paper – Juillet 2001. 
(4) Aux Etats-Unis lorsque le cours de l'action tombe en deçà de 1$ pendant 90 jours, la bourse ne cote plus les actions de l'entreprise. 
(5) Finance déc. 2001  Introduction en bourse, signal et émissions d'actions nouvelles sur le Second marché français.



Q&R : De quelle manière la subvention reçue pour un investissement doit-elle être traitée dans le calcul du TRI : en diminution du montant de l'investissement, ou en diminution du coût moyen des financements du projet ? Par ailleurs, le TRI doit il être comparé au coût moyen des financements de la société ou au coût moyen du financement mis en place pour ce projet ?

La subvention doit venir en déduction du montant de l'investissement, réduisant, ainsi le débours initial, plutôt qu'en minoration du coût du capital et ce pour trois raisons : 

1/ Le TRI est un taux qui mesure la rentabilité des capitaux engagés par les pourvoyeurs de fonds, actionnaires et créanciers. Si une partie des ressources est apportée par les Pouvoirs Publics sous forme de subventions, le capital engagé par les partenaires privés diminue d'autant. Il est donc légitime de diminuer le montant de
l'investissement avant de calculer le TRI.

2/ Minorer pour tenir compte de la subvention le taux de rentabilité exigé sur un actif peut laisser croire que le risque de l'investissement a été réduit par la subvention alors qu'elle n'abaisse que le débours initial sans modifier le risque des flux futurs. Or le taux de rentabilité à exiger d'un actif ne dépend que du risque de celui-ci;

3/ C'est plus simple à calculer !  pour une même conclusion: faire ou ne pas faire l'investissement.

Par ailleurs, le taux de rentabilité interne de l'investissement, subvention déduite, doit être comparé avec le coût moyen pondéré du capital de l'entreprise (en supposant que ce projet a le même niveau de risque que le risque actuel de l'entreprise). C'est en effet une erreur de rapprocher le TRI de cet investissement du coût des financements mis en place pour ce projet : il faut  sur ce point raisonner en coût global et non pas en coût marginal. 

Si l'entreprise s'endette marginalement à 5% après impôt par exemple pour financer un nouvel investissement, celui-ci ne doit pas simplement rapporter plus 5% pour être acceptable. En effet, l'entreprise n'a pu s'endetter à 5% que parce qu'elle avait un volume de capitaux propres (qui sert conceptuellement de garantie aux banquiers qui, sinon, auraient demandé un taux d'intérêt plus élevé) et qui nécessitent d'être rémunérés pour cela. La rentabilité de l'investissement doit donc couvrir le coût de l'endettement mais aussi le coût des capitaux propres, c'est-à-dire en fait le coût moyen pondéré du capital (1). Et c'est donc à lui que doit être comparé le TRI de l'investissement.

Si maintenant le projet présente un niveau de risque différent de celui de l'entreprise, par exemple plus élevé, le taux de rentabilité qu'il faut en exiger sera plus élevé que le coût du capital de l'entreprise. On tiendra ainsi compte d'un risque plus fort qui, si l'investissement se réalise, conduira à une augmentation du taux de rentabilité exigé par les pourvoyeurs de fonds de l'entreprise compte tenu de son risque dorénavant plus élevé.
 

(1) pour plus de détails, voir le chapitre 37 de Finance d'entreprise de Pierre Vernimmen Dalloz 2000



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