La Lettre n°69 de Octobre 2008
Actualités : Les récents développements du gouvernement d'entreprise
S’il est un domaine de la finance actuellement marqué par des évolutions continues c’est bien celui du gouvernement d’entreprise. Il est vrai qu’il y a tant de ruptures ailleurs !
Ces évolutions sont notables dans tous les grands pays occidentaux et nous nous limiterons ici aux relations entre l’administrateur :
• et les actionnaires ;
• et les dirigeants ;
• et le conseil d’administration.
1. Les relations entre l’administrateur et les actionnaires
La tendance est clairement à un renforcement du pouvoir des actionnaires sur les administrateurs qui passe par plusieurs évolutions.
Historiquement, le conseil d’administration proposait à la ratifications des actionnaires réunis en assemblée générale la nomination des nouveaux administrateurs. De plus en plus, des groupes d’actionnaires présentent ou souhaitent présenter leurs propres candidats à l’assemblée : Wendel sur Saint Gobain, Havas sur Aegis, les Etats belges et français sur Dexia, etc … Ce n’est pas nécessairement malsain à condition que les administrateurs ainsi nommés n’oublient jamais qu’un administrateur au sein du conseil d’administration n’est pas le porte parole d’un actionnaire ou d’un groupe d’actionnaires, mais celui de l’ensemble des actionnaires.
Le lien entre les actionnaires et les administrateurs se renforce par l’habitude prise par les grands actionnaires, investisseurs institutionnels ou non, d’appeler régulièrement le président pour s’informer sur la marche de la société, mais aussi, de plus en plus souvent dans le monde anglo-saxon, de rencontrer individuellement les administrateurs. Ils leur font ainsi des recommandations, en particulier au moment du changement des dirigeants.
Ainsi au Royaume-Uni, les fonds d’investissements ont adopté une code de bonne gouvernance qui limite la taille des parachutes dorés et désapprouve nettement que le dirigeant opérationnel de l’entreprise (CEO) devienne ensuite le président du conseil d’administration (Chairman).
Certains sont en effet tentés de continuer à interférer dans la marche quotidienne de l’entreprise, rendant impossible le travail du directeur général (voir par exemple Serge Tchuruk et Patricia Russo chez Alcatel-Lucent).
On pourra regretter cette position un peu dogmatique car un directeur général devenu chairman peut devenir un sage qui aide le nouveau directeur général par ses conseils et rompt la solitude du dirigeant. On pourra ainsi noter que, dans la forte bourrasque financière actuelle, deux des firmes qui résistent le mieux (Axa et BNP Paribas) ont une structure de direction duale avec un directeur général opérationnel et un président non opérationnel qui fut il y a quelques années le patron opérationnel. Dans ce domaine, le pragmatisme nous semble la meilleure réponse.
Enfin, la tendance est nette aux Etats-Unis à la réduction de la durée des mandats des administrateurs (2 à 3 ans au maximum) avec un nombre de mandats limités à 2 ou 3, 4 exceptionnellement. En France, il n’y a pas de limite à la durée de la présence d’un administrateur au sein d’un conseil si ce n’est qu’au-delà de 12 ans il ne peut plus être considéré comme administrateur indépendant au sens du rapport Bouton.
En soumettant plus régulièrement le renouvellement des mandats d’administrateur au vote des actionnaires, ces derniers limitent leur marge de manœuvre, d’autant qu’aux Etats-Unis se développe la pratique des shareholders’ advisory boards. Il s’agit d’une entité constituée de représentants des principaux actionnaires qui a un rôle consultatif auprès du conseil d’administration. Celui-ci sollicite son avis sur les investissements importants, l’orientation stratégique de l’entreprise, la nomination des dirigeants, les opérations de fusion et d’acquisition, etc ... Même si les shareholders’ advisory boards n’ont pas de fondement juridique dans la réglementation et le droit des sociétés et sont créés volontairement par le conseil d’administration, on est bien loin du comité des actionnaires qui, en France, regroupe des petits porteurs pour conseiller l’entreprise sur sa politique de communication financière à l’égard de ses actionnaires privés.
2. Les relations entre l’administrateur et les dirigeants
On ne répètera jamais assez que la tâche principale des administrateurs est de choisir les dirigeants, de contrôler leurs performances et le cas échéant de s’en séparer. De nombreux exemple récents, montrent que ceci n’est pas théorique (Sanofi-Aventis, UBS, etc …).
Dans ce domaine, la France, longtemps caractérisée par une conception monarchique et solitaire du pouvoir, est encore éloignée de l’approche décomplexée et pragmatique américaine. Dans la plupart des sociétés américaines, le comité des nominations du conseil d’administration se réunit régulièrement pour constituer, puis mettre à jour, le succession planning, c’est-à-dire la liste des cadres dirigeants capables, le moment venu, de prendre la tête de la société. En France, sauf en période de crise, c’est plutôt le président qui choisit son successeur et fait ratifier son choix par les administrateurs dont certains auront pu être mis dans la confidence auparavant.
Une fois le dirigeant choisi, sa rémunération doit être arrêtée. Dans ce domaine, les mutations ont été fortes et on ne cache plus dorénavant grand-chose dans les rapports annuels.
Ce qui n’empêche pas les actionnaires de vouloir avoir leur mot à dire sur la rémunération des dirigeants et de plus en plus souvent le dernier mot. Aux Etats-Unis, le shareholders’ advisory board, quand il existe, exige d’être consulté sur ce sujet. Il n’est pas exclu qu’un jour l’assemblée des actionnaires obtienne de pouvoir approuver ou rejeter la rémunération des dirigeants.
Le suivi de la performance du dirigeant par son conseil d’administration s’est beaucoup développé parallèlement avec les executive sessions. Il s’agit de sessions des administrateurs, hors de la présence des dirigeants, fussent-ils aussi administrateurs. Elles sont naturellement un forum idéal pour parler des absents : les dirigeants, de leur rémunération, de leur succession, de leurs performances qui sont souvent appréciée à l’aide d’une véritable grille d’évaluation.
Enfin, le suivi des risques a pris une ampleur nouvelle pour d’évidentes raisons. Le temps est passé où l’administrateur, même en Europe Continentale, pouvait dire : « Désolé, je ne savais pas, on ne m’avait pas dit ». Aujourd’hui, l’administrateur a l’obligation d’être proactif, de demander des éléments aux dirigeants, voire d’être inquisitorial à leur égard. A défaut, sa responsabilité pourra être engagée en cas de survenance d’un risque important.
A cet effet, l’administrateur peut être amené à couvrir sa responsabilité en souscrivant des contrats d’assurance D&O (Director & Officer) qui ne lui éviteront pas la prison (!) mais couvriront ses frais de défense s’il est mis, le cas échéant, personnellement en cause.
Mais sa meilleure protection reste probablement l’action dissidente. L’administrateur opposé à une décision demandent à ce que son désaccord et les raisons qui le motivent soient consignés dans le procès verbal de la réunion.
3. Les relations entre l’administrateur et le conseil d’administration
Dans la mesure où l’on demande aux administrateurs de travailler plus qu’auparavant, que la taille des groupes s’est accrue ainsi que la complexité des problématiques en entreprise, les comités du conseil d’administration (de nomination et de rémunération, de contrôle des risques, stratégiques, de financement, etc …) se sont beaucoup développés. Mais ceci n’est pas nouveau, même si leurs présidents sont amenés à intervenir plus souvent en assemblée es-qualité. Ce qui est plus nouveau, c’est le développement outre atlantique de leur autoévaluation, alors qu’en France il n’y a que le conseil d’administration qui évalue pour l’instant son mode de fonctionnement.
L’affaiblissement relatif du rôle de président du conseil d’administration est parachevé avec l’émergence du système du lead independant director. Le plus souvent, il s’agit de l’administrateur le plus âgé ou le plus expérimenté ou du président du comité des rémunérations et des nominations. Il a un double rôle : celui de remplacer le président empêché, et celui de mener l’évaluation du président et de lui restituer des conseils pour améliorer le fonctionnement du conseil. En cas de crise au sein de la société (par exemple, s’il y a un conflit entre le directeur général et le président), il pourra être amené à servir d’arbitre et d’aller voir l’un ou l’autre (ou les deux !) pour lui (leur) demander, dans l’intérêt de la société, de s’effacer.
Bref, tout ceci montre clairement une tendance à l’accroissement du rôle des administrateurs, à leur responsabilisation et il est peu probable qu’elle s’inverse dans le contexte actuel !
Pour plus d’éléments sur le gouvernement d’entreprise, voir le chapitre 47 du Vernimmen 2005.
Tableau : Les 250 premières capitalisations boursières mondiales
Au 1er octobre 2008, elles étaient encore largement dominés par les pays développés, Etats-Unis en tête :
Recherche : L'achat des droits de vote
Quatre chercheurs américains ont publié une étude empirique (1) apportant de réelles avancées sur notre connaissance de la valeur des droits de vote attachés aux actions. La grande majorité des articles portant sur ce thème s’intéressait jusqu’à présent aux structures de capital présentant différentes classes d’actions. La supériorité du modèle « 1 action = 1 voix » en constitue le résultat classique (2). L’article auquel nous nous intéressons ce mois-ci montre que le marché des prêts de titres abrite en fait un marché des droits de vote. L’intérêt est de permettre une distinction entre droit de vote et exposition financière pour des entreprises qui ne proposent pas différentes classes d’actions.
A l’issue d’un prêt de titre, les revenus (en dividendes et en capital) du titre sont reversés au propriétaire d’origine ; seul le droit de vote attaché est effectivement transféré (3). Le premier résultat de l’article montre que les prêts de titres sont plus nombreux lorsqu’un vote a lieu dans l’entreprise concernée. Leur poids moyen dans la capitalisation des sociétés peut sembler faible (0,26% au moment du vote contre 0,21% en moyenne), mais la différence est statistiquement significative. Ce résultat est surprenant car il va à l’encontre du principe « 1 action = 1 voix », qui voudrait au contraire que les prêts soient plus faibles au moment d’un vote, les actionnaires souhaitant exercer leurs droits de vote en assemblées.
Ensuite, les auteurs étudient le prix payé pour ce droit de vote. Ils montrent pour cela que les prêts de titres sont négociés aux mêmes intérêts, qu’ils contiennent ou non l’exercice d’un droit de vote. Autrement dit, non seulement des droits de vote sont transférés via le prêt de titres, mais en plus ils le sont gratuitement. Selon les auteurs, cela pourrait signifier que les détenteurs des actions sont prêts à céder leurs droits de vote à des investisseurs qu’ils supposent mieux informés qu’eux-mêmes. Cette idée selon laquelle il existe un marché gratuit des droits de vote en raison d’asymétries d’information constitue l’hypothèse centrale de l’article.
La suite de l’article permet aux auteurs de vérifier un certain nombre de prédictions de leur hypothèse. Ils montrent ainsi que les transferts de droits de vote sont plus nombreux lorsque les asymétries d’information (mesurées par le bid/ask spread) sont plus grandes, et lorsque l’issue du scrutin est plus incertaine. Par ailleurs, les transferts de votes semblent exercer une influence sur le résultat du vote. Ainsi, une augmentation des prêts de titres renforce la probabilité de voir accepter une proposition des actionnaires (ce qui n’arrive, sur l’ensemble de l’échantillon, que dans 2% des cas) ou rejeter une proposition du management (17% des cas sur l’échantillon).
Une certaine prudence reste nécessaire face aux conclusions de cette étude, qui porte exclusivement sur le marché américain et sur une période assez courte (1998/1999). Elle a toutefois le mérite d’aborder la question du transfert et de l’exercice des droits de vote sous un angle nouveau et de proposer une hypothèse qui devra être confirmée par des travaux ultérieurs.
Elle rappelle utilement que les prises de contrôle rampantes par achats de droits de vote, via les prêts de titres, seraient nettement plus difficile à mettre en œuvre si certains actionnaires n’étaient pas complices en prêtant leurs titres. Que chacun balaie devant sa porte !
(1) S.E.K. Christoffersen, C.G. Geczy, D.K. Musto et A.V. Reed (2007), Vote Trading and Information Aggregation, Journal of Finance, vol. 62, pages 2 897 à 2 929.
(2) Voir par exemple S.J.Grossman et O.D.Hart (1988), One Share-One Vote and the Market for Corporate Control, Journal of Financial Economics, vol. 20, pages 175 à 202.
(3) Pour une description des prêts de titre, voir le Vernimmen 2009 page 1091.
Q&R : Qu'est-ce que les monolines
Par Estelle Ruiz,BNP Paribas - Group Risk Management
Les Monolines ou Monoliners sont des compagnies d’assurances qui apportent un rehaussement de crédit aux intervenants des marchés financiers.
Les opérations de garantie financière par rehaussement de crédit ont commencé aux Etats-Unis en 1971 sur une obligation de l’Alaska de 0,650 M$. La première garantie a été mise en jeu en 1983 quand Washington Public Power Supply System n’a pas pu assurer le remboursement de sa dette : les obligataires garantis ont récupéré en temps et en heures intérêts et capital, les non assurés perdirent une partie de leur investissement.
Les assureurs monoline ne peuvent assurer d’autres risques que celui du non paiement des intérêts et du remboursement du capital de titres de dettes. Ils ne sont pas impliqués dans d’autres activités d’assurance afin de ne pas mettre en péril leur solvabilité. Les monolines plafonnent naturellement leurs engagements sur un tel ou un tel émetteur afin de se protéger de sa faillite possible. De la même façon, en n’accordant leurs garanties qu’aux obligations notées investment grade (1),les monolines limitent leurs risques. Historiquement, ces pratiques prudentes leur ont valu d’être notés le plus souvent AAA.
Pendant longtemps, le champ préféré d’intervention des monolines a été les obligations émises par les municipalités américaines et les véhicules de titrisation. Le monoline noté AAA fait bénéficier une obligation de son propre rating en garantissant irrévocablement et sans condition le paiement des intérêts et le remboursement du capital. Ainsi, les émetteurs clients des monolines bénéficient d’un coût de financement plus bas et d’une meilleure capacité de placement puisque certains investisseurs s’interdisent d’acheter des titres en deçà d’un certain niveau de notation.
Mais les monolines sont également devenus des rehausseurs fréquents de produits financiers structurés, en particulier en apportant leur garantie sur des obligations hypothécaires, sur des CDOs de créances de titrisation à travers des credit default swap (CDS).
L’arrivée des monolines du marché des obligations municipales, traditionnellement assez sûres, sur celui des produits structurés s’explique par des marges déclinantes du marché du rehaussement des obligations municipales de plus en plus compétitif dans les années 1990. En 1999, pour la première fois, le volume d’émission de créances de titrisation assurée a dépassé celui des obligations municipales assurées.
Les monolines sont fortement exposés au marché américain puisque les obligations américaines représentent 86 % des obligations qu’ils couvrent et 50 % des obligations municipales américaines sont garanties par les monolines.Par ailleurs, leur exposition aux subprimes est forte puisqu’ils ont assurés environ 250 Md$ d’obligations hypothécaires et de CDS de titrisations immobilières.
Les monolines n’étaient pas amenés à effectuer des dépôts de garantie au titres de leur engagement car on estimait que les tranches qu’ils garantissaient, les moins subordonnées et les plus sures, n’avaient que très peu de chance d’être affectées en cas de problème. Néanmoins, l’effondrement de la valeur des subprimes a fortement altéré la valeur de ces tranches aussi senior soient elles, faisant exploser le postulat que les monoliners garantissait les dettes les moins risquées du marché. Comme leurs capitaux propres étaient faibles comparés aux engagements qu’ils avaient donnés puisque ceux-ci étaient perçus comme peu risqués, il n’a pas tardé à apparaître qu’ils étaient devenus insuffisamment capitalisés pour faire face aux demandes d’indemnisation. Ils n’avaient donc pas d’autre solution pour garder leur notation AAA, nécessaire à leurs activités, que de procéder à des augmentations de capital.
La dégradation de la qualité du risque de crédit des monoliners a eu les conséquences suivantes sur les banques :
• des pertes de valeurs réalisées sur des actifs assurés qui auraient dû théoriquement ne pas varier de valeur ;
• des pertes de valeurs sur des CDS passés avec des monoliners ;
• la dégradation de la solvabilité du monoliner ne lui permet plus de payer ses pertes à la banque. Ceci étant naturellement d’autant plus vrai que l’actif sous jacent au CDS a perdu de la valeur.
En conséquence, les banques ont été de plus en plus réticentes à assurer des lignes de crédit avec les monoliners, voire tout simplement de traiter avec eux ou avec des banques dont il est connu qu’elles ont de gros risques sur des monoliners.
ANNEXE : Composition des portefeuilles assurés
- obligations municipales : selon Fitch, 50 à 60 % des engagements des monoliners portent sur des obligations municipales, soit 1 200 Md$ ;
- obligations hypothécaires (RMBS), CDS de créances de titrisation. Sur les 1 200 Md$ résiduels, Barclays Capital estime que les banques détiennent 802 Md$ de produits structurés garantis par des monoliners dont 127 Md$ liés à des subprimes ;
- CDS à 62 % sur des risques de crédit entreprises pour 287 Md$. Les CDS sur les obligations hypothécaires représentent 14 % du total, soit 65 Md$.
Quel est votre style d’investissement était la question du dernier sondage en ligne sur le site www.vernimmen.net
Sans grande surprise, les utilisateurs du Vernimmen, ouvrage qui prone depuis 1974 que l’on ne peut pas prendre de décision d’investissement si l’on a pas déjà mené une analyse financière, mettent l’analyse fondamentale en tête de leur préférence :
Le nouveau sondage en ligne est le suivant :
Le CAC 40 avait atteint son plus haut depuis 2001 en 2007 à environ 6 100 points. Il est actuellement proche de 3 400 points. Vous le voyez revenir à plus de 6 000 points dans :
- moins d’un an ;
- d’ici un à deux ans ;
- d’ici deux à trois ans ;
- d’ici trois à cinq ans ;
- dans plus de cinq ans ;
- jamais.
A vos boules de cristal !
(1) Voir le glossaire du site www.vernimmen.net.