La Lettre n°71 de Décembre 2008

Actualités : La prime de risque à 10 % ???

La prime de risque telle que calculée par Associés en Finance a atteint ces dernières semaines des sommets historiques (10,3 %) avant de retomber à (seulement !) 9,90 % ces derniers jours. S’agit-il d’un problème de calcul, ou les investisseurs exigent-ils réellement sur leur portefeuille action diversifié une rentabilité de près de 10% plus élevée que sur les emprunts d’Etat. Si c’est le cas, cette situation inédite est-elle durable ?

Nous avions l’habitude de dire (et d’enseigner) que la prime de risque se situait de manière historique entre 3 et 5 %. Nous avons pu qualifier la prime de risque qui prévalait en mai 2007 d’anormalement basse (2,86 %), reflétant ainsi une bulle, c'est-à-dire, n’ayons pas peur des mots, une inefficience de marché. C’était aussi le cas fin 1999/début 2000 et mi 1987.
Penchons nous tout d’abord sur le niveau de la prime de risque. Force est de constater que l’ensemble des sources calculant une prime de risque (Factset, Bloomberg, …) observent une forte hausse de cette dernière (même si le niveau absolu peut varier sensiblement) :

Une première explication pour justifier un niveau apparemment si élevé serait que les anticipations de résultats futurs des investisseurs sont inférieures à celles retenues par les analystes financiers. Le taux d’actualisation utilisé par les investisseurs serait donc inférieur à ceux
calculés.
Techniquement cette explication est pertinente pour les primes de risque calculées par les bureau d’analyse financières en se fondant sur les prévisions de leur propres analystes qui nous paraissent bien optimistes sur les résultats 2009 des entreprises cotées. Cet optimisme est bien connu et résulte pour une part du souhait des analystes financiers de garder de bonnes relations avec les directions financières des groupes qu’ils suivent.
C’est donc sans surprise que les primes publiées par les bureaux d’analyse produisant des recommandations boursières sont parmi les plus basses de celles disponibles. Suivant depuis 25 ans les travaux d’Associés en Finance nous savons que ceux-ci ne sont pas exposés à ce biais. Par ailleurs, et de façon plus déterminante, nous pouvons observer sur les marchés des confirmations du niveau de la prime de risque.
Les spreads de crédit observés sur les nouvelles émissions obligataires sont à des niveaux historiquement hauts. Ainsi EDF qui avait émis avec une marge de 47 points de base en mai 2008 (pour une émission à 5 ans) vient de réaliser une émission avec une marge de 210 points de base (pour une émission à 4 ans), laissant apparaître une multiplication par 4 de la prime payée ! Notons également qu’Air Liquide a émis 600 M€ à 4 ans avec une
marge de 265 pb.
On rappellera utilement que le MEDAF peut parfaitement s’appliquer à d’autres titres que les actions et que dans le cadre d’une application aux obligations le spread obligataire n’est que la prime de risque du marché
multipliée par le coefficient bêta de l’obligation en question(1).
Enfin la volatilité des cours est telle (à plus de 60% en décembre contre une moyenne de l’ordre de 15% en 2007), que nécessairement la prime de risque qui la rémunère est au-delà de ses plus hauts historiques. Ne pas le
voir est faire preuve d’aveuglement (3) :

Par ailleurs, les titres super subordonnés (TSS) (2) peuvent nous donner une bonne estimation du coût des capitaux propres des sociétés qui en ont émis. Ainsi le TSS de Michelin fait apparaître aujourd’hui une rentabilité
actuarielle de plus de 15% :

Donc une prime de risque proche de 10 % ne nous paraît pas surestimée mais reflète la réelle aversion au risque des investisseurs aujourd’hui.
Comme nous l’indiquions dans la dernière lettre Vernimmen.net, une très large partie de la liquidité est investie aujourd’hui sur le marché monétaire et même pour être plus précis aux Etats-Unis où elle rapportait ces derniers jours un taux actuariel négatif de 0,01% pour un placement sur 3 mois ! Autrement dit, il fallait payer 25 $ pour avoir la chance de placer mi décembre 1 M$ et les récupérer sans aucun intérêt dans 3 mois. Bref l’aversion au risque n’a jamais été aussi élevée.
Question plus délicate : peut-on qualifier cela d’anomalie de marché, d’une
inefficience de marché ?
Premier constat, le marché a toujours raison et vous aurez beau être convaincu que cette prime de risque est anormale, les cours ne vont pas
instantanément remonter pour autant.
Mais il faut alors s’interroger sur la pérennité de la situation. S’il s’agit d’un phénomène éphémère, alors on parlera dans quelques mois certainement d’inefficience des marchés. C’est toujours plus facile après que pendant ! En revanche, on pourrait imaginer que la situation perdure et que sur le long terme, les investisseurs considèrent que le risque (moyen) doit être rémunéré à 10 %. Cela nous parait le scénario le moins probable. Espérons-le car il serait très fortement récessif et intenable. En effet les entreprises ne peuvent pas supporter durablement un coût du capital supérieur au taux de croissance économique inflation comprise majoré du taux de l’argent sans risque. On retrouverait alors le mythique taux de rentabilité demandé de 15% contre lequel nous nous sommes toujours élevé (4) et dont on voit aujourd’hui avec quels désordres et dégâts il peut être atteint. Enfin la situation peut être intermédiaire avec une décroissance de la prime de risque à venir, mais à des niveaux qui resteront supérieurs au niveau observé durant les 30 dernières années
(3 à 5%).
Constatons tout d’abord que nous assistons actuellement à une combinaison d’événement conjoncturels et de changements structurels (ou en tout cas ayant des impacts à long terme). La renationalisation d’une part de l’économie (nationalisation des banques, de certains constructeurs automobiles, achat par les banques centrales ou les pouvoirs publics de certains actifs immobiliers ou financiers …) aura des impacts sur l’économie à long terme et reflète certainement un disfonctionnement de la mécanique de l’économie de marché. Et dans ce contexte une prime de risque de marché de l’ordre de 10 % est la réalité du jour qu’on le veuille ou non, même si elle est du jamais vu, mais il y a beaucoup d’autres choses qui
sont du jamais vu aujourd’hui !
A ce niveau là de prime, ceux qui ont les moyens de rester solvables plus longtemps que le marché restera inefficient (pour reprendre J.M.Keynes) n’hésiteront pas à investir. Ne pas le faire avec des primes de risque de 10%, c’est comme garder le sexe pour ses vieux jours ! (cette fois-ci
Warren Buffett).
(1) Pour plus détails, voir le chapitre 41 du Vernimmen  2009 et La Lettre Vernimmen.net n°23
d’octobre 2003.
(2) Pour plus détails sur les TSS, voir le chapitre 31 du Vernimmen 2009.
(3) Un bel exemple est, de façon très étonnante, donné par McKinsey (« Why the crisis hasn’t shaken the cost of capital » The McKinsey Quarterly, décembre 2008
(4) Voir la page 486 du Vernimmen 2009


Tableau : Les sociétés cotées avec un PBR inférieur à 1

Elles avaient presque disparu dans un monde où le coût des capitaux propres était bas du fait d’une prime de risque basse (voir l’article d’actualité). En effet un PBR de 1 au plus s’observe lorsque les investisseurs pensent que l entreprise est capable de dégager sur le moyen terme un taux de rentabilité sur ses capitaux propres au moins égal ou supérieur à celui qu’ils demandent (1).
Avec un PBR inférieur à 1 pour un gros tiers des 600 entreprises cotées de l’Euro STOXX 600, les investisseurs pensent qu’un gros tiers d’entre elles n’arrivera plus à gagner leur coût des capitaux propres. Bref l’optimisme est de mise !

(1) Pour plus de détails sur le PBR, voir le chapitre 34 du Vernimmen 2009


Recherche : les conséquences de l'environnement légal et institutionnel sur le système financier

Depuis une dizaine d’années, de nombreux auteurs se sont intéressés aux conséquences de l’environnement légal et institutionnel sur le système financier. Nous présentons ce mois-ci les résultats obtenus par deux chercheurs américains sur le marché des prêts bancaires[1].
Leur étude porte sur les prêts bancaires aux grandes entreprises dans 43 pays (hors Etats-Unis). Ils montrent sans surprise qu’une forte protection des droits des créanciers entraîne des prêts de plus grande maturité et à des taux faibles. Mais leur analyse porte également sur le nombre des créanciers pour chaque prêt et sur la participation des banques étrangères. D’une manière générale, les pays de common law (système anglais fondé sur la jurisprudence) offrent une meilleure protection que les pays de civil law (système français fondé sur les codes). C’est en comparant les caractéristiques des prêts bancaires dans différents pays que les auteurs obtiennent leurs résultats.
L’amélioration des conditions de crédit (baisse des taux et augmentation des maturités) lorsque les créanciers sont mieux protégés n’est pas une nouveauté. Elle est confirmée par l’article. La première raison est celle de l’équilibre sur le marché du crédit, une meilleure protection entraînant une augmentation de l’offre de crédit. La seconde raison provient de la théorie des contrats incomplets. Proposer des prêts de faible maturité permet de mieux contrôler l’utilisation des fonds lorsque la protection des créanciers est faible. Un prêt bancaire au Mexique (où la protection est très faible) a une maturité 40% inférieure à celle d’un prêt équivalent au Royaume-Uni. Dans les pays où la protection est meilleure, l’utilisation de garanties est un moyen efficace (et très utilisé) de sécuriser les prêts.

Le nombre de créanciers par prêt est plus faible lorsque leur protection est meilleure (14 en moyenne en Allemagne, 8 en France et 6 au Royaume-Uni). Augmenter le nombre de créanciers est en fait une manière de réduire le risque dans les pays à faible protection[2]. De manière plus notable encore, la part des prêts détenue par des banques étrangères augmente avec la protection des créanciers (6% de plus par écart-type de protection). Les banques étrangères, moins bien informées que les banques domestiques, ont davantage besoin de protection légale. Il faut tout de même noter que la participation des banques étrangères aux prêts dépend énormément de la structure du financement des économies (100% domestique au Japon, 100% étranger dans les pays en voie de développement).
Finalement, l’étude confirme que l’environnement légal et institutionnel modifie les caractéristiques des prêts bancaires qui y sont accordés. Elle se limite aux grandes entreprises, mais les conséquences de l’environnement sont plus importantes pour les moins grandes entreprises de l’échantillon ; il est vraisemblable que les effets soient similaires sur les prêts aux plus petites entreprises.
[1] J.QIAN et P.E.STRAHAN (2007), How Laws and Institutions Shape Financial Contracts : The Case of Bank Loans, Journal of Finance, vol.62 n°6
[2] Voir à ce sujet P.BOLTON et D.SCHARFSTEIN (1996), Optimal debt contracts and the number of creditors, Journal of Political Economy, n°104


Q&R : Qu'est-ce que les dark pools ?


Les Dark Pools sont des marchés ou s’échangent des volumes importants dans une grande discrétion.
Traditionnellement, les marchés actions étaient organisés autour d’un opérateur (Euronext en France) qui souvent disposait d’un monopole pour traiter les échanges. Le principe était alors une transparence assez large à chaque instant sur les ordres de vente et d’achat passés par les opérateurs (constituant ainsi le livre d’ordre).
Certaines dérogations existaient à cette transparence, en particulier pour le traitement de volumes importants (blocs) dont l’affichage sur le carnet d’ordre était susceptible d’influer fortement sur le cours. Mais il fallait à l’acheteur (grâce au broker) trouver directement la contrepartie et négocier le prix.
L’ouverture à la concurrence des marchés actions (voir Lettre Vernimmen.net n°63), combinée avec la sophistication croissante des algorithmes de trading a permis le développement de place de marché alternatives aux opérateurs historiques.
Les institutions financières ont vu dans le développement de systèmes internes de confrontation de l’offre et de la demande le moyen de valoriser les volumes importants de leurs clients et ainsi de capturer la marge faite jusqu’alors par les monopoles de bourse.
Ces lieux d’échange alternatifs peuvent avoir plusieurs angles d’attaque pour convaincre les investisseurs d’échanger leurs titres sur leur système :
• la liquidité, sur ce point, il est en temps normal très compliqué de rivaliser avec les marchés installés depuis des décennies et qui drainent naturellement des volumes importants ;
• la flexibilité, les nouveaux entrants proposent des horaires étendus ;
• le prix ;
• la discrétion : les plateformes garantissant une confidentialité des ordres sont celles que l’on appelle Dark Pools.
Les Dark Pools peuvent être indépendants (Instinet, ITG-Posit, Liquidnet, Pipeline, …) filiales de groupes bancaires (BNP Paribas, Citi - Citi Match, Credit Suisse, Fidelity Capital Markets Services, Goldman Sachs Execution and Clearing, Merrill Lynch, Morgan Stanley, UBS), ou d’opérateurs traditionnels de marché (International Securities Exchange, NASDAQ, NYSE Euronext, BATS Trading, Direct Edge).
Les Dark Pools représentent aujourd’hui une part importante des échanges (15% aux Etats-Unis)
Certains reprochent à l’opacité (recherchée) des Dark Pools d’offrir la possibilité à certains opérateurs y ayant accès de pouvoir manipuler les cours sur les marchés classiques. Ils ne sont pas sans poser de problèmes réglementaires. Les régulateurs sont très attentifs au développement de ces Dark Pools et à leur compatibilité avec les règles de transparence de la MIF.
Si les Dark Pools sont devenus des acteurs incontournables du marché, il est fort probable que leur fonctionnement soit plus strictement encadré.


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