La Lettre n°77 de Juin 2009

Actualités : Quelques erreurs en évaluation à ne pas commetre dans le contexte actuel

Dans l'environnement actuel, nous attirons l'attention de nos lecteurs sur quelques points techniques d'évaluation qu'il faut avoir à l'esprit pour éviter de faire des erreurs qui peuvent être lourdes de conséquences.

La valeur de la dette

Comme nous l'écrivions en septembre 2004 (1), le passage de la valeur de l'actif économique à la valeur des capitaux propres, que ce soit dans des méthodes d'actualisation des flux futurs ou dans des méthodes comparatives, nécessite de prendre la dette bancaire et financière en valeur de marché et non en montant comptable. La plupart du temps, pour des sociétés qui n'ont pas de problème de solvabilité et/ou pour lesquelles les conditions de marché n'ont pas substantiellement été modifiées depuis la levée de cette dette, l'écart entre valeur financière et montant comptable est peu significatif.

Les IFRS permettent à l'analyste de faire proprement ce calcul puisque les entreprises donnent dorénavant en annexe à leurs comptes la valeur estimée de leur endettement.

A titre d'illustration, voici pour quelques groupes la valeur de leurs obligations venant à échéance en 2013 en pourcentage du normal.

Pour d'autres, c'est le grand écart. Ainsi pour Ford la dette financière est inscrite au bilan pour 154 Md$ contre une valeur financière de 122 Md$, soit un écart de 32 Md$ représentant 6 fois la capitalisation boursière de 5,5 Md$, et nous ne parlerons pas de General Motors ou de Thomson !

Le beta de la dette

Dans le même état d'esprit, l'hypothèse selon laquelle le ß de l'endettement peut être considéré comme égal à zéro (ce qui est la caractéristique d'une dette sans risque) ne tient plus la route actuellement. Or c'est une des hypothèses qui sont utilisées pour calculer le ß "déleveragé" ou le ß de l'actif économique  (2) à travers la formule :

En effet, lorsque l'actif économique d'une entreprise est assez volatil, donc risqué et/ou que le montant de l'endettement est important, une partie de cette volatilité est absorbée par l'endettement. Ce qui explique que la valeur de celui-ci puisse alors différer de son montant comptable, donc le ß de la dette cesse alors d'être nul. Dès lors, prendre pour hypothèse que le ß de la dette est nul comme en temps ordinaire est erroné. Cela ne correspond pas à la réalité et aboutit à sous-évaluer la volatilité et le risque de marché de l'actif économique. En effet, le ß déleveragé n'est alors déterminé que par le ß des capitaux propres, la part de la volatilité ayant été absorbée par la dette étant passée à la trappe.

A titre illustratif, nous avons calculé sur la base de données d'avril 2009, le coût de capital de groupes selon que l'on prend un ß de la dette nul ou selon une estimation :

Dans les conditions actuelles de prime de risque de marché (de l'ordre de 8,5 % selon Associés en Finance), une différence de 0,125 sur le ß de l'actif économique se traduit par un coût du capital plus élevé de 100 points de base (1 %), ce qui est loin d'être négligeable !

Le taux de l'argent sans risque dans des pays émergents

Il existe actuellement des pays dans lesquels l'Etat s'endette à des taux plus élevés que les meilleures signatures du pays (l'Ukraine par exemple). D'où un problème de détermination du taux de l'argent sans risque. En général, on estime et on observe que la signature de l'Etat est ce qui se rapproche le plus possible d'un taux de l'argent sans risque car l'Etat a le pouvoir, contrairement aux acteurs privés, de lever l'impôt.

Confrontés récemment à cette difficulté, nous avons alors retenu pour taux de l'argent sans risque celui d'un emprunt bancaire accordé, il y avait peu, à un groupe du pays, peu endetté et au modèle économique solide. A défaut de représenter un taux sans risque, cela représente au moins le taux de l'argent le moins cher dans ce pays.

Le problème des déficits de pensions et assimilés

Raisonner en considérant le solde net entre la valeur des actifs de couverture et la valeur actuarielle des engagements sociaux comme un élément de l'endettement net de l'entreprise est tout à fait pertinent (4). C'est même plutôt recommandé puisque le montant de la provision pour pensions au bilan est déconnecté de la réalité économique et financière du fait des conventions comptables suivies. Toutefois ce n'est pas parce que ce solde est nul ou faible que l'analyste doit passer rapidement au sujet suivant. Il faut toujours en effet se méfier d'un solde faible entre deux grands nombres. En effet, les actifs de couverture des engagements sociaux sont essentiellement investis en actions alors que les engagements ont, eux, une nature d'obligations. Ce petit solde peut donc d'un seul coup se creuser si le marché boursier pique brutalement du nez. Ceci n'est pas sans impact sur le ß déleveragé, comme l'ont démontré Z. Bodie, L. Jim et R. Merton dans les travaux que nous avons résumés dans la Lettre Vernimmen.net n° 59 de septembre 2007.

Nous avons ainsi récemment été confrontés au cas d'une entreprise dont les résultats passés et le plan d'affaires montraient une faible sensibilité à la conjoncture économique, ce qui nous conduisait à attendre un ß de l'actif économique faible. Or le calcul, qui tenait compte d'une valeur des engagements sociaux nets faible, donnait un chiffre proche de l'unité. Une fois pris en compte la nature des actifs de couverture (essentiellement des actions), le ß de l'actif économique est tombé à 0,6. En effet, une partie de la volatilité dont témoignait le ß des capitaux propres de cette entreprise ne s'expliquait pas par la volatilité de l'actif économique mais par celle de ce portefeuille, financé structurellement par endettement, comme dans un bon hedge fund.

L'évolution des ß des capitaux propres

Si la crise financière et économique avait affecté de la même manière toutes les entreprises, les ß seraient restés stables. Mais, comme on peut l'observer tous les jours, certains secteurs sont beaucoup plus affectés que d'autres : banque, construction automobile et aéronautique… Dès lors le ß de leurs actions a beaucoup monté. Mais comme le ß de marché est resté égal, par définition et par construction, à 1 (5), le ß des entreprises les moins touchées a lui, au contraire, chuté :

Dès lors, si vous utilisez une prime de risque de marché actuelle pour estimer la valeur aujourd'hui d'une action comme nous le recommandons (6), il convient de mettre à jour vos betas ! A défaut, votre estimation du taux de rentabilité sera trop faible pour les titres les plus risqués et trop forte pour les moins risqués.

En effet avec une prime de risque du marché action passée entre juin 2007 et juin 2009 de 3% à 7,8%, le supplément de rentabilité attendu par rapport au taux de l’argent sans risque par les actionnaires de Danone a quasi doublé de 2,5% à 4,7%, mais a plus que triplé pour Peugeot en passant de 2,9% à 9,8%.

(1) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 31.
(2) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 23 d'octobre 2003 et le chapitre 41 du Vernimmen 2009.
(3) Voir la page 846 du Vernimmen 2009.
(4) Voir le chapitre 9 du Vernimmen 2009.
(5) Voir le chapitre 23 du Vernimmen 2009.
(6) Voir La Lettre Vernimmen.net n° 56 de mars 2007.



Tableau : 206 ans de rentabilité

Saluons le travail de jeunes chercheurs français qui ont reconstitué 206 ans de rentabilité sur la bourse de Paris.

Sources :

Avant 1854 : Arbulu P., "Le marché parisien des actions au XIXème siècle", in Gallais-Hamonno G., Le marché financier français au XIXème siècle, volume 2 aspects quantitatifs des acteurs et des instruments à la Bourse de Paris, Publications de la Sorbonne, 2007.

1854-1987: Le Bris D. & Hautcoeur P-C, "A challenge to triumphant optimists? A new index for the Paris stock-exchange (1854-2007)", Working Paper, Paris School of Economics, 2008-21.

1988-2008: NYSE-Euronext.



Recherche : Couverture et financement

Nous présentons ce mois-ci un article sur l’utilisation d’instruments dérivés par les entreprises françaises cotées. Deux chercheurs de l’Université Paris Ouest Nanterre ont montré par une étude empirique (1) que le choix d’utiliser ou non des instruments dérivés (pour se couvrir de différents risques) est lié au taux d’endettement (ou levier) de l’entreprise concernée. La causalité fonctionne dans les deux sens : les entreprises endettées utilisent plus souvent des instruments de couverture, et la présence de ces instruments incite les entreprises à s’endetter davantage.

Les hypothèses testées par les auteurs concernant le taux d’endettement prennent leur source principalement dans deux grandes théories :

• le modèle statique de structure du capital considère qu’il existe un taux d’endettement optimal : les avantages de l’endettement (des arguments fiscaux et de gouvernance) doivent compenser ses inconvénients (les coûts liés aux risques de faillite et aux asymétries d’information) ;

• la théorie du pecking order explique que les entreprises utilisent autant que possible le financement interne, avant d’avoir recours à l’endettement et finalement à l’augmentation de capital (2).

La décision de se couvrir à l’aide d’instruments dérivés répond quand à elle à deux motivations principales. D’une part, la couverture réduit le risque de faillite. D’autre part, le fait de se couvrir permet d’éviter le problème du sous-investissement (les entreprises renoncent à de bons projets faute de pouvoir les financer). Lorsque l’obtention d’un financement externe est coûteuse, il est utile de réduire le risque de manquer de capacités de financement interne.

L’analyse économétrique montre que les entreprises utilisent davantage d’instruments dérivés lorsque :

1. Leur taux d’endettement est élevé. La couverture permet de limiter les risques de faillite, et donc les coûts liés à la faillite.

2. Elles versent beaucoup de dividendes. Ceci réduit leurs fonds disponibles pour l’investissement, elles ont donc intérêt à limiter les risques de sous-investissement.

3. Ce sont de grandes entreprises. Il existe des coûts fixes à la mise en place d’une couverture par des produits dérivés, ce qui rend cette stratégie moins avantageuse pour les entreprises moyennes.

4. Elles réalisent des ventes en monnaie étrangère (il faut alors couvrir le risque de change).

Elle montre également que l’utilisation de dérivés et le choix du taux d’endettement sont déterminés conjointement : le fait de se couvrir incite en retour à s’endetter davantage, puisque le risque de faillite est réduit.

En plus de vérifier des prédictions théoriques, l’étude apporte quelques statistiques descriptives intéressantes sur les grandes entreprises françaises (non financières) cotées. Près de 60% d’entre elles se couvrent à l’aide de produits dérivés. Leur levier moyen (ratio de leur dette à long terme sur la valeur de marché de la société) est de 11,4%. Leur rendement moyen (dividend yield) est de 1,45%.

(1) K.BEN KHEDIRI et D.FOLUS (2009), Hedging and Financing Decisions, Bankers, Markets and Investors, n°98.
(2) Pour une description plus complète de cette théorie, voir page 762  du Vernimmen 2009.



Q&R : Les independent business review par Arnaud Lambert – Accuracy


Dans l’environnement économique actuel, même les sociétés disposant d’un business model robuste voient leur capacité à générer des cash flows largement obérée. Dans le cas d’une structure financière fortement « leveragée », le service de la dette peut rapidement s’avérer impossible et la restructuration devenir inévitable.

Investisseurs en capital, mezzaneurs, banquiers seniors, managers, tous partie prenante à cette restructuration, ont besoin d’analyser dans le détail la capacité de redressement de la société opérationnelle à moyen terme et le coût financier associé à cette opération.

Un diagnostic financier et économique indépendant ou « Independent Business Review » fournira les éléments nécessaires à leur réflexion en période de crise.

Quels sont les éléments du diagnostic ?

Au-delà des baisses conjoncturelles de chiffre d’affaires, il convient de s’assurer que les difficultés ne sont pas également liées à des problèmes opérationnels plus structurels (défaillance de l’outil de production, défaut de partenaires clefs…). Le diagnostic initial comporte donc généralement :

• une analyse de la performance historique et des raisons de non réalisation du business plan prévu ;
• une revue des prévisions de cash flows à court terme peut confirmer l’urgence de la situation ;
• une évaluation de la robustesse du contrôle financier et la qualité de l’information financière produite par la société afin de palier à d’éventuelles faiblesses ;
• la recherche de solutions opérationnelles permettant l’amélioration immédiate de la situation de trésorerie à court terme (optimisation du BFR, mise en place d’affacturage…).

Vient ensuite l’analyse des perspectives de moyen et long terme de l’activité de la société qui s’appuie sur :

• une analyse des perspectives de marché et de l’évolution de l’environnement concurrentiel ;
• une analyse de la nécessité d’adapter l’outil de production ou de revoir le périmètre d’activité : cession d’activité non stratégique, redéploiement géographique…
• une modélisation des différents scénarios du retournement et chiffrage du besoin de financement associé ;
• une évaluation indicative de l’actif sous-jacent sur la base d’une approche liquidative ou après redressement. Cette évaluation doit permettre également de mesurer à quel point l’investissement ou les lignes de crédits sont risqués et d’orienter les débats.

A qui sert ce diagnostic et pourquoi doit-il être indépendant ?

Souvent les difficultés financières s’accompagnent d’une crise de confiance entre les différentes parties prenantes. L’intervention du conseil indépendant permet une analyse dépassionnée des données financières et opérationnelles nécessaires à la formation d’un point de vue objectif.

En situation de crise les managers sont assaillis de demandes d’information tout en devant assurer la conduite quotidienne des opérations de la société. L’accompagnement d’une équipe financière spécialisée qui les aide à conduire des analyses et produire des documents de synthèse fiables, à destination de toutes les parties prenantes, se révèle alors un soutien précieux.

Même s’ils n’ont pas vocation à gérer au quotidien des sociétés opérationnelles, les actionnaires ont besoin d’informations détaillées pour envisager des options de restructuration ou de réorientation stratégique et éventuellement financer un besoin de trésorerie complémentaire pour préserver leur investissement …

Pour les partenaires financiers, la situation est encore plus complexe. Avec la multiplication des opérations ayant donné lieu à une syndication élargie de la dette, le pool des banquiers seniors et des mezzaneurs peut être très hétérogène. Le diagnostic va leur permettre de disposer d’une information équivalente à celle des autres parties en présence et de mesurer à quel point leur ligne est à risque.


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