“Commentaire, question ou citation du jour”

Chaque jour de la semaine, nous publions sur les pages LinkedIn et Facebook du Vernimmen, un commentaire de l'actualité financière, une question qui nous a été posée et la réponse que nous avons donnée, et nous citons les classiques à travers des phrases que nous avons repérées dans nos lectures.
Parfois, la veille du week-end, nous soumettons à votre sagacité un remue-méninges dont la correction est apportée de lundi.

Vous trouverez tous ces billets ci-dessous et si vous voulez suivre la page LinkedIn du Vernimmen, c'est ici, et pour la page Facebook au contenu identique.
Et si vous le voulez en anglais, c'est ici.

21-12-2024 : “La prochaine introduction en Bourse d'Asmodée, leader européen des jeux de sociétés ”

Bénéficiant d’un secteur faiblement concentré et de son passage entre les mains de plusieurs fonds de LBO successifs (Montefiore, Eurazeo et PAI), Asmodée a été capable par croissance interne et externe de porter son chiffre d’affaires de 110 M€ en 2013 à 1 288 M€ cette année avec un résultat d’exploitation de 188 M€. En 2022, Asmodée a été cédé au groupe coté suédois de jeux vidéos Embracer. Mais depuis cette acquisition, la valeur boursière d’Embracer a été divisée par 4 à 3,4 Md€. Pour essayer de remédier à cette chute de valeur, Embracer va se scinder début 2025 en 3 entités, dont Asmodée.

Comme le niveau d’endettement bancaire et financier net de cette dernière par rapport à son EBE est de plus de 4 fois, Embracer va, avant l’introduction en Bourse, injecter dans Asmodée 400 M€ de capitaux propres supplémentaires pour ramener son niveau d’endettement net par rapport à son EBE à un niveau plus normal pour les groupes cotés de 2,2 fois, et lui donner des moyens financiers pour reprendre une stratégie de croissance externe. En effet, l’aversion au risque des investisseurs en Bourse est bien différente de celle des fonds de LBO qui sont à l’aise avec un endettement de 4 à 7 fois sur la plupart des sociétés de leur portefeuille. Certes, en Bourse on peut trouver des sociétés avec des multiples dettes nettes / EBE de ce niveau, mais c’est en général suite à un accident avec un EBE qui a dévissé propulsant le ratio à des hauteurs dignes d’entreprises sous LBO.

Tant que son endettement ne tombera par en dessous de 2 fois l’EBE, Asmodée n’a pas l’intention de verser de dividendes, ce qui ne peut que ravir ses futurs actionnaires puisque l’entreprise a démontré un vrai savoir-faire pour acquérir des concurrents et les porter à ses normes de profitabilité, réalisant de ce fait des investissements rapportant ainsi largement plus que le coût du capital et créant ainsi de la valeur. Les actionnaires ne sont, en effet, assoiffés de dividendes que lorsque l’entreprise n’arrive plus à trouver et réaliser des investissements qui rapportent plus que leur coût du capital pour utiliser tous les flux de trésorerie disponible qu’elle dégage. Dans ce cas, le dividende permet de réallouer des capitaux propres d’entreprises à maturité vers d’autres ayant de meilleures perspectives de développement et des besoins en capitaux propres pour les financer.

On terminera, en relevant que Embracer étant cotée en Suède, Asmodée sera naturellement cotée sur la même place, au milieu de 1 140 autres entreprises cotées, et seulement 820 à Paris alors que les PIB sont dans un rapport de 1 à 3, illustration d’une vraie culture action en Suède comme nous le développons dans l’avant-propos du Vernimmen 2025.

14-12-2024 : “Décathlon, faire grève pour des dividendes ? ”

La CFDT a appelé les salariés de Décathlon à faire grève le 7 décembre pour protester contre le paiement d’un dividende exceptionnel de 1 Md€ versé à l’Association Familiale Mulliez (43%), GIE réunissant 800 des membres de cette famille. Celle-ci pourrait ainsi les injecter dans d’autres entités qu’elle a créées et qui peuvent en avoir besoin (Auchan a perdu 981 M€ au S1 2024 contre 215 M€ au S1 2023). En bénéficieront aussi le holding du fondateur époux d’une Mulliez (42%) et les salariés (15%).
La lecture des comptes de Décathlon montre que cette opération est loin de mettre en danger sa santé.
Au 31 décembre 2023, le groupe Décathlon disposait de 5,5 Md€ de capitaux propres finançant des immobilisations de 3,3 Md€, du BFR positif de 0,6 Md€ et des disponibilités et équivalents nettes de dettes bancaires et financières pour 1,6 Md€. Ces dernières ne sont donc pas la contrepartie d’un BFR négatif comme souvent dans le secteur de la distribution généraliste. Ici les stocks sont de 3 Md€, soit 4 mois d’achats alors que les fournisseurs, étant payés à 2 mois, n’en financent que 60 % (TVA comprise).
Cette trésorerie est la conséquence de résultats passés mis en réserves et non versés en dividendes. Ainsi sur 2018, 2021, 2022 et 2023 (2020 est indisponible), Décathlon a réalisé des résultats nets de 4 Md€ dont 1,8 Md€ versé en dividendes, soit un taux de distribution de 45%, ce qui ne l’a pas empêché d’accroitre ses ventes à 15,6 Md€, soit + 36% en 5 ans.
Dans ces conditions, verser 1 Md€ en dividende exceptionnel, soit 45 % de la trésorerie brute, ne saute pas aux yeux comme une faute de gestion, nécessitant de sonner le tocsin syndical. D’autant que Décathlon a dégagé 2 Md€ d’EBE en 2023. Dans un groupe normal, les résultats de Décathlon, dès lors qu’ils se traduisent par des liquidités non utilisées dans l’activité, auraient été remontés chaque année au niveau de la maison-mère, à charge pour elle de les utiliser en fonction des besoins de l’ensemble du groupe. Et il n’y aurait pas eu de sujet en versant chaque année une plus grosse proportion des résultats, plutôt que de les laisser s’accumuler, conduisant à un prélèvement apparemment substantiel une année où la conjoncture économique se dégrade. Mais l’AFM n’est pas la tête d’un groupe intégré, c’est un GIE familial qui mutualise partiellement ainsi les résultats des entreprises de certains de ses membres.
En revanche, il existe un cas où les syndicats auraient pu contester le prélèvement d’un dividende de 2 Md€, que projetait l’actionnaire pour lui permettre de boucher une petite partie de ses propres trous. C'est celui de ce groupe endetté en net de 125 Md€, soit 5,1 fois son EBE 2023. Ce groupe a un budget d’investissements devant lui de 67 à 100 Md€, en plus de ses investissements courants, dont on se demande comment il pourra le financer. Non, ce n’est pas un groupe sous LBO. Il s’agit d’EDF, propriété à 100 % de l’État français. Et là, les syndicats ont été étrangement silencieux.

11-12-2024 : “Warren Buffett, Apple et l'efficience des marchés ”

Pourquoi Warren Buffett vend-il ses actions Apple ? Comme le dirait Monsieur de la Palice, pour une raison simple :  il doit penser que leur prix est trop élevé.
Sa participation a culminé à 5,9 % du capital, faisant de lui le second actionnaire derrière le gestionnaire de fonds principalement passifs Vanguard (8,9 % du capital). Avec une valeur de 178 Md$, sa participation dans Apple représentait un peu moins de 20 % de la capitalisation boursière de Berkshire Hathaway.
Warren Buffett a commencé à investir dans Apple en 2016, lorsque le PER de cette action était de 13. Depuis, le bénéfice par action a quasiment triplé et le cours de l’action a été multiplié par 9, donnant aujourd’hui un PER de 37. Comme le cash net est assez négligeable par rapport à la capitalisation boursière d’Apple (1,5 %), raisonner en PER et non en multiple du résultat d’exploitation n’est pas biaisé.
Selon le consensus actuel des analystes, les ventes d’Apple devraient croître de 10 % l’an jusqu’en 2029 passant de 361 Md$ en 2024 à 572 Md$, tandis que le résultat net devrait progresser de 14 % par an, de 92 Md$ en 2024 à 179 Md$ en 2029. 
La réalisation de ces prévisions implique que :
·       la marge d’exploitation passe de 31,7 % des ventes 2024 à 36,7 % en 2029 ; alors qu’Apple a publiquement averti que la marge de ses futurs produits aura du mal à atteindre celle de son produit phare, l’iPhone ;
·       la rentabilité économique avant impôt, passée de 41 % en 2016 à 128 % (sic) en 2024, soit encore capable de progresser pour atteindre 150 % environ.
On peut être pardonné de ne pas y croire. Si les pommes tombent des pommiers, les arbres ne montent pas au ciel.
Certains penseront que sur les grandes valeurs comme Apple le marché est efficient, voulant dire par là que le cours d’Apple correspond à tout moment à sa valeur intrinsèque, pour autant que l’on puisse la mesurer, parce qu’il intègre fidèlement le consensus du marché. Dès lors, son acquisition permettrait de gagner ni plus ni moins que le taux de rentabilité exigé compte tenu de son risque de marché. Ils seront donc étonnés que Warren Buffett ait pu transformer en moins de 8 ans son investissement de 39 Md$ en une somme de 178 Md€, rapportant ainsi à ses actionnaires largement plus (de l’ordre de 25 % l’an) que le taux de rentabilité exigé de l’action Apple (de l’ordre de 10 %). 
Mais ceci un malentendu sur la notion d’efficience, nourri d’abus de langage.
Eugene Fama (Prix Nobel 2013) qui a fait les travaux fondamentaux en ce domaine, distingue 3 formes d’efficience des marchés :
·       la forme faible qui dit que le prix d’aujourd’hui reflète toute l’information contenue dans les prix et les volumes passés. Elle dénie ainsi toute pertinence à l’analyse chartiste, surtout si on prend en compte les frais de transaction. 
La suite de ce texte est disponible dans la Lettre Vernimmen.net de novembre 2024.

07-12-2024 : “OPA sur Esker, l'AMF et l'expert indépendant peuvent mieux faire (2/2) ”

Gilles Chaufaud a souligné un 2e point à l’expert indépendant (Finexsi) : il s’est étonné de sa non-prise en compte de la transaction Kyriba dans les comparables. En effet General Atlantic (GA) a annoncé entrer comme minoritaire dans Kyriba, autre spécialiste des logiciels pour les directions financières, contrôlé par… Bridgepoint. Et GA paie un multiple plus élevé pour une participation minoritaire dans Kyriba que celui que se proposent de payer ensemble Bridgepoint et GA pour acquérir le contrôle d'Esker. . . Or il est probable qu’un rapprochement futur entre Esker et Kyriba sera opéré. Sinon pourquoi dans la note d’OPA GA et Bridgepoint se seraient-ils donnés la faculté de renoncer à leur offre s’ils n’atteignaient pas le seuil des 60 %, en plus du seuil légal de caducité à 50% ? En effet, si le seuil de 90% n’était pas atteint à l’issue de l’OPA, Esker resterait coté en Bourse. Avec au minimum 60% des droits de vote et du capital, Bridgepoint et GA peuvent en AG disposer de plus de 67% des droits de vote leur permettant de faire approuver une fusion entre Kyriba et Esker, du fait de l’abstention d’une partie des actionnaires. C’est dire si la référence à cette transaction, omise par l’expert, méritait mieux que d’être tue.
Or la réponse de l’AMF et de l’expert sur ce point sont particulièrement décevantes. L’AMF aurait pu exiger qu’un paragraphe soit consacré à ce projet de rapprochement post OPA, que les dirigeants d’Esker ont évoqué en réunion investisseurs, et qu’il soit repris dans la note d’offre. Or il n’est en rien, contrairement au principe de bonne information des actionnaires qui doivent se prononcer sur l’apport de leurs actions à l’OPA, ou au contraire les conserver.
Quant à l’expert, il indique que sa politique n’est de ne retenir pour le calcul des multiples de transaction que les acquisitions effectuées, et non pas celles seulement annoncées (ce que nous n’avons pas vérifié ; nous avons vu des experts changer de méthodologie selon leurs dossiers). La simultanéité des 2 transactions, Bridgepoint ayant fait venir GA dans Kyriba le 16 octobre, après avoir annoncé leur volonté commune de prendre le contrôle d’Esker le 19 septembre, fait que nous trouvons cette réponse légère. 
Finexsi souligne que le multiple plus élevé payé par GA sur Kyriba s’expliquerait par un taux de croissance plus élevé de ce dernier. Ceci paraît un bon argument, mais ne résiste pas à l’analyse puisque l'expert ne s’est pas penché sur le taux de croissance des comparables retenus par ailleurs, dont il fait la moyenne des multiples sans se préoccuper de leur taux de croissance.
Ces non-réponses ne peuvent que semer le doute, surtout quand d’un côté vous avez une transaction entre 2 fonds qui ne sont pas des enfants de chœur, auxquels s’est rallié le management de l’entreprise, et de l’autre le public. Raison de plus d’être parfaitement transparent et de ne pas considérer l’actionnaire qui interroge comme un chien dans un jeu de quilles.

01-12-2024 : “OPA sur Esker, l'AMF et l'expert indépendant peuvent mieux faire (1/2) ”

L’OPA en cours sur Esker, spécialiste de la digitalisation des processus des directions financières, menée par les 2 fonds d’investissement Bridgepoint et General Atlantic en alliance avec le management, met en lumière des points qui pourraient être nettement améliorés.
L’abaissement en 2020 du seuil d’expropriation des actionnaires minoritaires de 95 % à 90 %, une réforme favorable aux émetteurs souhaitant se retirer de la cote, s’est accompagné de nouveaux droits pour les minoritaires. Ils peuvent désormais interagir avec l’expert indépendant au cours de sa mission, commenter son rapport préliminaire et faire des suggestions, charge à lui de les reprendre dans la version définitive de son travail en donnant son point de vue sur ces remarques et le sort qu’il leur a réservé dans son appréciation finale des conditions de l’offre.
Gilles Chaufaud, un gérant action spécialisé en Small et Mid cap, fréquentant Esker depuis la fin des années 1990 et la connaissant donc très bien, a ainsi écrit à l’expert indépendant (Finexsi) pour souligner 2 points, qui suscitent 3 commentaires de notre part, le troisième étant pour la semaine prochaine.
1. L’anonymisation des remarques affaiblit leur portée
Ses observations ont été anonymisées dans le rapport. Une note visée par l’AMF n’est pas un forum boursier où règne l’anonymat. L’expert devrait donner le nom des investisseurs lui écrivant, car les anonymiser réduit la portée de leurs remarques, un lecteur se disant qu’il s’agit de quidam. Or il ne s’agit pas ici d’un quidam, mais d’un professionnel aussi qualifié en son domaine que l’expert indépendant.
2. Une incohérence dans les hypothèses de croissance et de BFR
Au-delà de l’horizon des projections, l’expert prévoit une variation nulle du BFR alors qu’il anticipe une croissance à l’infini des ventes de 3,5 % l’an et qu’il a supposé un BFR constant à - 4,2 % du chiffre d’affaires pendant la période de ses projections. Cette hypothèse suppose que le BFR deviendrait de moins en moins négatif proportionnellement à l’activité, en contradiction avec la politique d'Esker qui demande à ses nouveaux clients de pré-payer leurs abonnements.La réponse de Finexsi est pour le moins surprenante : " Toute amélioration du BFR ne se traduit pas mécaniquement par un incrément sur la valeur intrinsèque de la Société, la trésorerie générée n’étant pas nécessairement disponible (du moins pas en totalité) pour être remontée aux actionnaires. ». Si nous sommes d’accord avec le début de la phrase, nous ne le sommes pas avec la seconde. Dans un DCF, principale méthodologie retenue par l’expert, on ne suppose pas que le cash soit remonté aux actionnaires, mais qu’il ait été généré. Il est ensuite utilisé par les dirigeants pour faire des acquisitions non modélisées dans les projections ou rembourser les dettes du LBO projeté ou verser des dividendes, ou laissé en caisse. Mais sa remontée aux actionnaires n’est pas une condition requise de la validité d’un DCF. 

Le 3ème point sera traité la semaine prochaine.

23-11-2024 : “Robertet, ou la valeur d'un droit de vote ”

Il arrive que l’on ait besoin de se pencher sur la valeur d’une action sans droit de vote et le sujet n’est pas simple.
La sortie la semaine passée de Firmenich du capital de Robertet, leader mondial des matières premières naturelles pour les parfums et les arômes, est éclairante. Robertet a la particularité d’être la seule société parmi les 818 firmes cotées actuellement à Paris à avoir des titres cotés avec droit de vote et d’autres sans droits de vote.
En 1987, et parce que le contrôle familial sur Robertet était fragile, l’entreprise avait démembré des actions ordinaires en certificats d’investissement (CI) et certificats de droit de vote (CDV) : un CI, c’est une action privée de son droit de vote. 
Les CI ont été créés en 1983 par l’État français pour financer les firmes nationalisées. BNP, Saint-Gobain, etc. avaient ainsi émis des CI dans le public, sans diluer la participation de l’État à leur capital, l’État ayant gardé les CDV associés. Puis des firmes privées ont suivi, comme Bouygues ou L’Oréal. Mais l’innovation, au moins pour les sociétés cotées, n’a pas pris, et assez vite tous ces CI ont disparu par rachat ou transformation en actions ordinaires avec droit de vote. 
Tous, sauf ceux de Robertet qui dispose, de ce fait, de 3 lignes de cotation en Bourse : les actions ordinaires, les CI et les CDV. Ces derniers sont très rarement négociés car détenus pour l’essentiel par la famille. Les CI le sont nettement plus, mais leur liquidité est réduite puisque Firmenich en détenait 85 %. 
Firmenich a cédé l’essentiel de ses actions et de ses CI à FSP et Peugeot Invest. Ces derniers ont négocié avec la famille fondatrice de Robertet de pouvoir transformer leurs CI en actions ordinaires. La parité retenue valorise les CDV à 10 % de la valeur des actions, ce qui correspond à la décote moyenne observée en 2024 entre la valeur du CI et celle de l’action.
Au fur à mesure où la famille fondatrice a consolidé son pouvoir sur Robertet (elle détient aujourd’hui 63 % des droits de vote avec 38 % du capital), la décote des CI s’est logiquement réduite passant de 30 % en 2010 à 20 % en 2019, et 10 % maintenant, les droits de vote ayant ainsi perdu une bonne part de leur enjeu.
Ainsi la valeur d’un droit de vote dépend beaucoup de la configuration de l’actionnariat. D’autres facteurs jouent comme la capacité d’un tiers acheteur du contrôle à améliorer les marges ou une éventuelle compétition entre plusieurs tiers acheteurs. 
On comprend mieux pourquoi il est difficile de voir une décote sur les actions Hermès où la structure de commandite conduit à un contrôle familial solide et où il est difficile de voir comment faire mieux que les actuels dirigeants. Ou pourquoi dans les coopératives agricoles, le principe de un vote par coopérateur, indépendamment des parts détenues, fait perdre toute valeur au droit de vote. Dès lors, tous les titres de capital d'une copérative ont la même valeur, qu’ils aient ou non un droit de vote, puisqu’un droit de vote ne vaut rien. Dans ce cas, l’absence de droit de vote ne justifie aucune décote.

02-11-2024 : “Boeing : la plus grosse augmentation de capital jamais réalisée aux États-Unis ”

16,1 Md$ ! Sans compter, comme souvent dans ces cas-là pour solliciter une autre poche d’investisseurs, 5 Md$ d’obligations convertibles, et une extension possible (greenshoe) de 3,2 Md$, soit un total de 24,3 Md$.

Mais il y avait péril en la demeure. Si en 2018 Boeing a fait 101 Md$ de ventes en livrant 806 avions et en dégageant 14 Md$ de flux de trésorerie disponible ; sur les 9 premiers mois de 2024, ses ventes sont tombées à 51 Md$, avec 291 avions livrés et un flux de trésorerie disponible négatif de 10 Md$. Depuis 2019, début de ses déboires industriels, Boeing a perdu 24 Md$, dont 8 sur les 9 premiers mois de cette année.

Depuis cette même date, Boeing a des capitaux propres comptables négatifs (sic), - 24 Md$ au 30 septembre car, s’il a beaucoup de dettes nettes (55 Md$ soit 9,3 fois l’EBE 2025 -l’EBE 2024 est négatif-), il a finalement peu d’immobilisations (29 Md$) après des années d’externalisation, et un BFR très faible grâce aux avances des clients (2 Md$). Mais cette source de financement pourrait se réduire, car avec 5 400 avions à livrer, les commandes prises aujourd’hui pourraient n’être livrées qu’à la prochaine décennie. Et comme 2025 est aussi attendu en perte, la dette ne pouvait que continuer de monter.

Pour augmenter son nombre d'actions de 18 %, Boeing n'a eu besoin de concéder qu'une décote de 5 % par rapport au cours de clôture de lundi soir pour le syndicat de banques placeuses. Cela montre toute la profondeur du marché financier américain qui contraste douloureusement avec celle des marchés européens. Rappelons notre billet d’il y a un mois sur l’augmentation de capital d’ID Logistics, une star dans son segment, qui a dû concéder une décote de 10 % sur le cours de clôture pour placer un misérable 6 % de nouvelles actions. Une décote double pour placer 3 fois moins d’actions relativement à la taille des entreprises…

Comme nous l’expliquons dans l’avant-propos du Vernimmen 2025, intitulé "Make equity great again", ceci est dû au système de retraite par capitalisation aux États-Unis qui a créé des fonds de pension acheteurs d’actions sur le long terme ; et en France, pour notre préférence pour les placements en rentes liquides, protégés de l’inflation, défiscalisés pour une large part et dotés d’avantages fiscaux. Il serait grand temps dans ces temps de disette budgétaire que les avantages fiscaux de l’assurance-vie soient réservés aux placements risqués en actions, et non à ceux en rentes (contrat en euros) qui font 74 % des encours. C’est exactement ce qu’ont fait les Suédois depuis 1980 avec aujourd’hui un marché financier 2,6 fois plus profond que ceux des autres pays européens, 16 % des entreprises suédoises de plus de 250 salariés cotées (3 % en France), et un nombre d’introductions en Bourse depuis 2013 (501) qui dépasse les volumes cumulés d’introduction de Paris, Francfort, Amsterdam et Madrid.

29-10-2024 : “Hommage à John McQuown, pionner de la gestion indicielle ”

John McQuown a créé en 1971 le premier fonds d’investissement dupliquant la performance d’un indice, créant ainsi la gestion indicielle (aussi appelée gestion passive) dont les encours dépassent aujourd’hui les 20 000 Md$. Il s’est éteint à 90 ans il y a quelques jours. Ingénieur de formation, il avait été embauché par le centre d’innovation de Wells Fargo, qui n’était à l’époque qu’une banque régionale californienne.
En 1970, un héritier de la famille propriétaire de Samsonite s’est mis à la recherche d’une équipe qui pourrait gérer 6 M$, soit environ 47 M$ de nos jours, selon les principes qu’il avait appris à Chicago étudiant les travaux de Harry Markowitz, William Sharpe, Eugene Fama, Merton Miller, Myron Scholes et Fisher Black, tous de jeunes professeurs de finance qui venaient de mettre au point le CAPM ou Modèle d’Equilibre Des Actifs Financiers (MEDAF), c’est-à-dire la finance moderne. Ils avaient aussi démontré que dans la durée les gestionnaires actifs faisaient moins bien que le marché. Comme le rappelle La Lettre Vernimmen.net de septembre 2024, seuls 17 % des gestionnaires actifs en actions ont battu leur indice de référence sur les 10 dernières années.
Il est ainsi plus efficace de détenir le portefeuille de marché que représente un fonds indiciel (ETF), et puis de doser votre niveau de risque en ajoutant de l’actif sans risque pour courir moins de risque que le marché ; ou en s’endettant pour investir dans le portefeuille de marché si vous voulez augmenter votre risque par rapport à celui du marché. Plus efficace, car les frais de gestion et de transaction sont moindres, et car il n’est fait aucun pari aléatoire sur tel ou tel titre.
En juillet 1971, John McQuown lance le premier fonds indiciel pour le compte du fonds de pension de Samsonite, et une nouvelle étape de la gestion collective est lancée. Comme tout précurseur, John McQuown a dû lutter contre le scepticisme ambiant et surtout les critiques des gestionnaires d’actifs qui voyaient dans la gestion passive une source de revenus bien inférieure à celle de la gestion active. Mais il avait pour lui les recherches des scientifiques mentionnés plus haut qui reçurent tous un prix Nobel d’économie quelques décennies après.

53 ans après, je viens de siéger dans le comité de sélection d’un nouveau gestionnaire de l’épargne salariale d’une institution d’enseignement supérieur. Alors que le cahier des charges demandait explicitement au moins un fonds indiciel actions, seul l’un des six impétrants en a proposé un dans sa réponse à l’appel d’offre, . . . et il a emporté le marché.  

Alors que l’épargne salariale a été pionnière en matière d’investissement ESG, grâce aux salariés et à leurs représentants, il reste beaucoup à faire en matière d’efficacité de gestion, avec une gestion passive action quasiment inexistante dans ce domaine, où les quelques acteurs ne jouent pas l’innovation, si gênante pour leurs marges, sauf à beaucoup insister.
 

21-09-2024 : “Vivendi, ou les prêteurs qui applaudissent des deux mains une scission ”

En règle générale, une scission qui réduit la diversité des métiers d’un groupe est peu appréciée des prêteurs puisque leur niveau de risque s’accroît avec la concentration des activités qui résulte d’une scission. En effet, les flux de trésorerie générés par chaque division d’un groupe sont naturellement mutualisés au sein du groupe qui les réunit pour servir la dette de ce dernier. Une fois scindé en entités indépendantes, les flux de trésorerie ne sont naturellement plus mutualisés, et les prêteurs de chacune de ces divisions devenues indépendantes ne peuvent plus compter que sur les flux de trésorerie générés par chaque division pour faire face à la dette qui lui a été allouée dans la scission.

De ce fait, et de longue date, les prêteurs se sont réservé dans les contrats de prêts/d'obligation en cas de scission (voire en cas de simple annonce), la faculté d’obtenir le remboursement anticipé de leurs prêts/obligations au nominal, voire un peu plus.

Lorsqu’une phase de hausse brutale des taux d'intérêt pousse la valeur des obligations largement en dessous du pair, l’annonce subséquente d’une scission est du pain béni pour les prêteurs qui voient d’un seul coup la valeur de leurs obligations se rapprocher du pair, malgré un taux de rendement de ces prêts inférieur au taux du marché.

C’est exactement ce qui se produit depuis plusieurs mois sur les obligations émises par Vivendi. Ainsi, l’obligation 2016 à échéance 2026, rapportant du 1,875 %, cotait il y a un an, avant toute annonce du projet de scission, 94,3 % du nominal, en raison d'un taux du marché de 4,10 %. Actuellement, la cotation dépasse les 99 % dans l’anticipation d’un remboursement au nominal d’ici la fin de l'année, échéance prévue de cette scission. Pour un investisseur obligataire, une progression du cours de 7 % en un an, coupon compris, est considérable pour un emprunt noté BBB.

Le groupe candidat à la scission doit refinancer ses dettes, c’est-à-dire négocier avec des banques pour contracter des emprunts qui seront utilisés pour rembourser par anticipation les emprunts obligataires. Ces crédits bancaires sont ensuite alloués entre les différentes entités qui seront scindées. Ce n’est que lorsque la scission est effective, que les entités scindées peuvent alors éventuellement émettre des obligations pour rembourser les crédits bancaires mis en place qui ont un caractère de crédit relais. Pour Vivendi, c’est 2 750 M€ qui sont ainsi concernés.

20-08-2024 : “Les rachats d'actions font-ils monter les cours ? ”

A ceux qui seraient tentés de répondre oui à cette question, malgré les innombrables travaux académiques de recherche qui répondent : pas significatif, voici, extrait de La Lettre Vernimmen.net de juillet-août, le graphique de la performance sur 10 ans de l’indice S&P 500 aux Etats-Unis (en rouge) et des 100 composants de cet indice qui ont le plus racheté d’actions (indice S&P buyback, en bleu).

Si le S&P 500 buyback a rapporté, dividendes réinvestis, 9 % en taux actuariel sur 10 ans, le S&P 500 a lui rapporté 13 %, et avec un risque moindre (écart-type des rentabilités quotidiennes inférieur de 12 % à celui des rentabilités du S&P 500 Buyback). Pour quelle raison ?
Car l’objectif des rachats d’actions n’est pas de faire monter les cours, mais plus simplement de rendre aux marchés financiers qui ont financé l’entreprise y procédant, des capitaux propres devenus excédentaires, au moins transitivement, par rapport à ses besoins.
Certes ce graphique n’a pas de vocation scientifique, mais si le rachat des actions poussait leurs cours à la hausse, au bout de 10 ans, cela devrait se voir dans les cours de bourse !
La seule source de création de valeur des rachats est quand l’entreprise est capable de le faire à un moment de sous-évaluation passagère de son cours qui s’éloigne alors de sa valeur intrinsèque.
 

17-08-2024 : “3 enseignements du retrait de cote d'Adevinta ”

Si le retrait de Bourse d’Adevinta (le Bon Coin en France) intervenu il y a quelques semaines constitue le 4eme plus gros LBO européen de tous les temps (14 Md€ en valeur d’actif économique), cette opération comporte 3 leçons qui font l’objet de l’article d’actualité de La Lettre Vernimmen.net dans son numéro de juillet-août.
L’une d’entre elles est la faculté qui a été donnée aux actionnaires minoritaires d’Adevinta, non convaincus par le prix du retrait de cote (comme les administrateurs indépendants) de pouvoir réinvestir dans les mêmes conditions aux cotés des fonds de LBO initiateurs. Est ainsi mis fin aux débats sur le prix, au moins pour les actionnaires qui peuvent détenir des titres non cotés et avec un fort endettement, ce que tous ne peuvent pas faire. Les initiateurs accroissent leurs chances de franchir le seuil permettant la sortie de cote (le plus souvent 90 %).
Cette technique, mise en place au cas particulier sur la Bourse d’Oslo, avait déjà été expérimentée il y a quelques années à Paris, mais sur une affaire beaucoup plus petite (Nextstage) ; a été utilisée dans la foulée par L’Occitane en Provence pour sa propre sortie de la Bourse de Hong Kong ; et l’est en ce moment sur la Bourse de Londres par le consortium de fonds de LBO qui veulent sortir le groupe financier Hargreaves Lansdown de la cote pour 5,4 Md£. Il est vrai que lorsque certains gros actionnaires minoritaires se voient proposer cette possibilité avant le lancement de l’offre, ne pas en offrir la possibilité à tous les actionnaires qui le souhaitent dans le cadre de l’offre peut choquer.

14-08-2024 : “Devinette pour votre 15 août ”

BlackRock est le plus grand gestionnaire
d’actifs au monde avec environ 10 500 Md$ d’actifs
en gestion. Son cours de Bourse a progressé de
9 097 % depuis son introduction en Bourse en 1999.
 
Blackstone est le plus grand gestionnaire d'actifs
alternatifs au monde, avec 1 100 Md$ d'actifs sous
gestion. Depuis son introduction en Bourse en
juin 2007, son cours a progressé de 317 %.
 
Lequel des deux a la capitalisation boursière la plus
élevée ?
 
Réponse dans La Lettre Vernimmen.net de juillet-août.

13-07-2024 : “Le PDG d'un groupe du CAC 40 peut-il publiquement affirmer des choses fausses inexactes ? ”

À un journaliste d’Investir qui lui demandait si l’indemnisation (d’une éventuelle nationalisation des autoroutes) pourrait être nulle, puisque les dividendes obtenus des concessions autoroutières couvrent depuis 2022, l'investissement de départ et sa rémunération normale, le PDG de Vinci répond le 29 juin dernier : "C’est inexact. Il y a toujours inscrit dans nos bilans une dette portée par ces réseaux autoroutiers et celle-ci se chiffre à plus de 16 Md€ ! ».
 
Le fait qu’il y ait toujours une dette inscrite au bilan des concessions autoroutières ne veut pas dire que l’actionnaire Vinci n’a pas retrouvé, et bien au-delà, son investissement, contrairement à ce que son PDG affirme. 
 
Prenons l’exemple des Autoroutes du Sud de la France, ASF, cotées en Bourse jusqu’en 2006 et privatisées en 2006. C’est la principale concession autoroutière de Vinci qui avait acquis 23 % de son capital avant la privatisation de 2006. Lors de cette dernière, Vinci a acquis les 77 % du capital restant en contrepartie d’un investissement de 8,8 Md€. L’endettement net fin 2005 d’ASF était de 7,6 Md€, soit à peu près celui de fin 2023 : 7,2 Md€.
 
Dans l’intervalle, les dividendes touchés par Vinci sur les 77 % d’ASF ainsi acquis ont été de 15,8 Md€, donnant un TRI de plus de 8 % à son investissement de 2006, et ceci en supposant nuls les flux jusqu’à la fin de la concession en 2036, alors qu’ils ont été de 2,2 Md€ en 2023. Les flux de trésorerie disponible après frais financiers générés par ASF sur les 12 années à courir serviront à rembourser l’endettement net (7,2 Md€), et pour le solde seront versés en dividendes. Le TRI réalisé par Vinci sera donc bien largement supérieur à 8 % et, partant, au coût du capital de cette activité, qui est de l’ordre de 5 % sur la période.
 
Et si l’endettement net d'ASF, malgré la génération de flux de trésorerie disponible des autoroutes, n’a quasiment pas été réduit depuis 2005, c’est qu’en bonne gestion financière, Vinci a préféré retirer des capitaux propres de ce métier peu risqué pour les investir dans des métiers plus risqués les requérant. Ainsi dès 2007, un dividende de 3,8 Md€ largement supérieur au résultat net a été payé par ASF à Vinci, financé par une hausse de l’endettement net de 3,2 Md€ et induisant une chute des capitaux propres comptables de 3,8 Md€ à 0,5 Md€.
 
Le fait que le PDG de Vinci utilise un argument dont il sait qu’il est faux, euh . . . pardon, inexact, pour répondre à un journaliste, montre bien qu’il est à court d’arguments financiers pour réfuter la réalité des surprofits réalisés. Nos calculs réalisés sur la base des rapports annuels d’ASF depuis 2006 ne doivent donc pas être trop . . . inexacts.     

16-06-2024 : “Privatiser France Télévisions ? ”

Le groupe France Télévisions a réalisé en 2023 3 Md€ de chiffre d’affaires, dont 2,4 Md€ de subventions publiques (la redevance a été supprimée en 2022), et 432 M€ de recettes publicitaires prises sur un marché de la publicité télévisuelle en déclin de 1,4 % par an et qui totalise 3,5 Md€. France Télévisions a 429 M€ de capitaux propres, et un flux de trésorerie disponible négatif de 67 M€ en 2023, autant qu'en 2022. Son résultat net 2023 était de 14 M€ contre - 48 M€ en 2022.
Comme le projet du Rassemblement national prévoit de rendre aux Français les 2,4 Md€ de subventions annuelles versées, c’est donc 2,4 Md€ de recettes publicitaires supplémentaires qu’il faut aller chercher pour rester à l'équilibre, soit 69 % du volume de ce marché, donnant alors à France Télévisions une part du marché de la publicité télévisuelle de 80 % avec seulement 29 % de l’audience.
Même si cet exploit était réalisé, ce qui reviendrait à priver Groupe TF1 et M6 de 90 % de leurs recettes publicitaires, france.tv ne serait toujours qu’à l’équilibre. Pour justifier la valeur de 3 Md€ donnée par Sébastien Chenu (vice-président du Rassemblement national) comme produit de la privatisation de France Télévisions, et compte d’un PER de M6 et TF1 de l’ordre de 8, il faudrait que france.tv fasse 375 M€ de résultat net, soit de l’ordre de grandeur du cumul des résultats de Groupe TF1 et M6 (429 M€). Ce qui est assez cohérent, puisque 3 Md€, le produit de la privatisation de france.tv selon Sébastien Chenu, c’est environ la somme de la capitalisation boursière de M6 et de TF1.
Pour arriver à ces 375 M€, il suffirait de faire 500 M€ de recettes publicitaires supplémentaires, conduisant à prendre 96 % du marché publicitaire télévisuel avec 29 % de l'audience. Alternativement, licencier la moitié des 8.950 salariés de france.tv (salaires de 1030 M€ en 2023).
Quant à un rachat de france.tv par M6 ou TF1 mentionné par Philippe Ballard, porte-parole du Rassemblement National, outre qu’il ne pourrait être que partiel et induisant un démantèlement pour respecter les règles anti-trust (pas plus de 7 programmes nationaux de télévision pour une même personne), il ne règle en rien le problème de trouver 2,4 Md€ par an pour compenser la perte des actuelles subventions publiques, soit l’équivalent du chiffre d’affaires de TF1, ou de 185 % de celui de M6.
Si vous avez du mal à croire à la faisabilité de ces plans d’affaires, peut-être vous demandez-vous comment en 1987, TF1 a-t-il pu être privatisé, et survivre à l’absence de redevances audiovisuelles ? C’est que le marché de la publicité télévisuelle était alors en plein boom, avec des taux de croissance annuelle de 10 à 15 %, contre l’actuel - 1,4 %. Cela change tout.

29-05-2024 : “Believe, un expert qui surclasse les banques conseils ”

Voici le second élément nous a laissé songeur à la lecture des notes d’offre, après le concept d’un prix équitable, mais pas suffisamment équitable toutefois pour permettre une expropriation comme vu ce samedi.
Si le consortium a fait une offre à 15€ pour racheter le flottant, l’évaluation des 2 banques conseils est nettement inférieure, alors qu'habituellement il y a peu de différences entre cette évaluation et le prix d’offre. Ici, c’est tout l’inverse. Les banques conseils arrivent à un DCF de 10€, là où l’expert indépendant est à 17€ ; avec les multiples c’est à une fourchette de 5 à 10€, là où l’expert indépendant est entre 10 et 20€ . . . Avec des conseils qui valorisent la cible à 10€ avec un DCF et entre 5€ à 10€ par les multiples, on se demande comment le consortium, qui n’est pas constitué d’enfants de chœur de la finance, a pu mettre sur la table 15€, et Warner Music articuler un prix de 17€ . . . 
Quand on regarde le détail de l’évaluation des banques, on est frappé des erreurs commises : 
1/ Le taux de rentabilité requis estimé à partir du modèle du MEDAF est : taux sans risque + beta x (espérance de rentabilité du marché - taux sans risque). Ce qui est entre parenthèses est la prime de risque. Mais si on en prend une en bloc, on s’assure qu’elle a été calculée avec le même taux sans risque que l’on retient par ailleurs dans la formule, de sorte à ne pas avoir 2 taux sans risque différents. Or ici, la prime de risque prise n’a aucune chance d’avoir été calculée avec le taux de l’argent sans risque retenu (OAT 20 ans), comme pourtant requis. 
2/ Prendre comme taux sans risque justement le taux des OAT à 20 ans, alors que la pratique est de prendre, à défaut d’un taux à court terme qui est vraiment sans risque de fluctuation de valeur, le taux des OAT à 10 ans. Ainsi est gonflé le taux d’actualisation et réduite la valeur. 
3/ Ajouter des coûts de consultants non prévus au plan d’affaires préparé par le management, ce qui réduit la valeur. 
4/ Se contenter de prendre les multiples de deux sociétés comparables, Warner Music et Universal Music (UMG), pour les appliquer paresseusement à Believe, en faisant mine d’oublier que le niveau d’un multiple dépend avant tout du taux de croissance, et qu’à cette aune, Believe laisse sur place ces deux groupes : + 22% par an depuis 2019 contre + 12% par UMG et 6% pour Warner. Rien qu’à comparer le multiple calculé par les banques pour Warner (14) et celui d’UMG (22), dont la substantielle différence s’explique par la non moins substantielle différence entre les taux de croissance de ces deux groupes (6% et 12%), on voit instantanément que l’on ne peut pas appliquer ces multiples à Believe qui croît 2 ou 4 fois plus rapidement. C’est ce qu’a bien compris l’expert indépendant qui a fait un vrai travail de réflexion et parvient à intégrer, comme il se doit, l’impact du taux de croissance dans le niveau du multiple retenu pour valoriser Believe.
Étrange.
   

25-05-2024 : “Believe, alors, équitable ou pas ? ”

La lecture du projet de note d’OPA et de note en réponse laisse songeur sur deux points. Believe avait été introduit en Bourse en juin 2021 à un prix au bas de la fourchette annoncée à 19,5 €. Le premier jour, le cours chute à 16,1 € et poursuit sa glissade ensuite.  En février 2024, le management, avec l’un des fonds actuellement actionnaire et un nouveau fonds d’investissement, forme un consortium et propose de sortir Believe de la cote à 15 € en rachetant le flottant de 28 %, alors que la société a 2 ans d’avance sur son plan d’affaires et que l’indice boursier utilisé par Believe (dans le cadre de sa politique de rémunération par actions, l’Eurostoxx 600) a progressé de 14 % depuis l’introduction en Bourse. Certes un indice cache une dispersion, et la hausse des taux a frappé plus lourdement les entreprises dont les flux de trésorerie disponible sont loin dans le temps, comme Believe dont le flux de trésorerie disponible est encore négatif. La tâche de l’expert indépendant s’annonçait ardue car attester dans ces conditions de l'équité d’une offre, pouvant entraîner l’expropriation des actionnaires, et qui causait quelques remous, ne tombait pas sous le sens. Mais un deus ex machina, prenant les traits de Warner Music, survient qui annonce pendant un temps réfléchir à faire une offre à un prix d’au moins 17 € ; puis, à la réflexion, se retire. Dès lors, l’expert indépendant a beau jeu de dire au consortium : Relevez votre prix à 17 € si vous voulez que j’atteste de l’équité d’une offre pouvant conduire à une expropriation. Réponse du consortium : Nous l’avons déjà relevé de 14 à 15 € à la demande des administrateurs indépendants, et notre prix est final. Réponse de l’expert : Je ne peux pas attester de son équité, à moins que vous ne fassiez tomber la possibilité d’une sortie de cote par expropriation des minoritaires restants si votre offre dépasse les 90 %. Réponse du consortium : Nous modifions notre offre et abandonnons la sortie de cote. Réponse de l’expert : Je peux alors attester de l’équité d’une offre qui n’entraînera en aucun cas une expropriation à 15 €.  Ce n’est pas la première fois que l’on observe ce ballet (cf. SMTPC), et que l’on aboutit au concept d’un prix qui est équitable (15 €), mais toutefois pas suffisamment équitable pour permettre une expropriation (à 17 ou 18 € ?). C’est à chacun de se faire son avis, car être investisseur est une activité qui, comme tout métier, nécessite de travailler et où le dilettantisme a peu de place. Le rapport de l’expert indépendant donne beaucoup d’informations et d’arguments pour qui veut vendre à 15 €, ou qui veut poursuivre l’aventure. Cela dit, on ne va pas se plaindre d’un expert indépendant qui ne s’est pas laissé marcher sur les pieds, et qui a obtenu l’essentiel, éviter l’expropriation obligatoire à 15 €, même s’il peut dire, comme les minoritaires : Merci Warner Music. A samedi pour le second élément qui laisse songeur dans cette opération.  

08-05-2024 : “Peugeot Invest ou le réinvestissement destructeur de valeur ”

Peugeot Invest, contrôlée à 80 % par la famille éponyme, et cotée en Bourse, détient un intérêt de 5,4 % dans Stellantis pesant 54 % de son actif net réévalué. Le solde de ses actifs est constitué de participations minoritaires dans des entreprises cotées (SPIE, LISI, etc.) ou non, et dans des fonds d’investissement.
Depuis des décennies, Peugeot Invest souffre d’une décote par rapport à la valeur de ses actifs de l’ordre de 50 % (actuellement de 55 %). C’est le prix que les investisseurs font payer pour accepter d’être actionnaires d’une structure utile pour la famille Peugeot, mais dont la pertinence pour les investisseurs et l’utilité pour le marché ne sautent pas aux yeux.
Aux Pays-Bas, il est possible pour une pure société holding d’être cotée en Bourse. Ainsi Heineken Holding qui détient 54 % du groupe Heineken et aucun autre actif. Sa décote sur l’actif net réévalué (ANR) est de 17 % seulement, car celui qui acquiert des actions Heineken Holding ne se voit pas imposer une diversification forcée. En France, on n’accepte pas qu’une société holding cotée, détenant ce qui est devenu au fil du temps une minorité dans un grand groupe, ait pour seul actif cette participation. Aussi, la famille Peugeot, pour garder cette structure, a-t-elle dû investir dans des actifs autres. Parfois de façon brillante, comme les investissements dans SEB, Zodiac-Safran ; parfois de façon désastreuse (Orpéa, Signa dans l’immobilier outre-Rhin). Ne devient pas Warren Buffett qui veut. Sur les 5 dernières années, alors que le cours de Stellantis a doublé, les autres actifs nets de dettes ont baissé en valeur de 17 %, alors que les indices parisiens ont monté de 30 % environ.
Des actionnaires minoritaires de long terme ont déposé des résolutions à la prochaine assemblée pour obtenir un relèvement du dividende. Non pas qu’ils soient assoiffés de liquidités comme des sangsues, mais tout simplement car un euro versé en dividende vaut un euro en trésorerie pour tous les actionnaires ; alors qu’un euro de résultat non versé en dividende chez Peugeot Invest n’accroît la valeur que de 50 centimes, compte tenu de la décote sur l’ANR. Le calcul est vite fait !
Tant que la structure et la gouvernance seront celles-ci, la décote a peu de chances de se réduire. Pour ce faire, il faudrait donner un vrai métier à Peugeot Invest en vendant les actifs financiers, y compris la participation dans Stellantis, à l’instar d'Eurazeo devenant un gestionnaire d’actifs pour le compte de tiers tel un petit Amundi. On peut comprendre que les Peugeot restent attachés à leur participation dans Stellantis. Mais dans ce cas-là, la nouvelle génération devrait considérer qu’avoir en Bourse son nom devenu synonyme de 50 % de décote structurelle n’est pas la meilleure façon d’honorer le patronyme des entrepreneurs fondateurs, et en tirer la conclusion qui s’impose en retirant de la cote ce véhicule qui n’a plus rien à y faire.

27-04-2024 : “New-York deviendra-t-elle la principale place de cotation de TotalEnergies ? ”

Il s’agit à ce stade d’une réflexion, annoncée hier, comme les dirigeants des entreprises se doivent d’en avoir, sans que forcément qu'elles se concrétisent.
Au cas particulier, l’écart de multiples entre les majors américaines et européennes est impressionnant et peut tenter des dirigeants qui se diront qu’une cotation principale à New-York pourrait permettre d’aligner le multiple de TotalEnergie sur celui de ses pairs américains : Exxon est valorisé à 6,4x l’EBE 2024, Chevron 6,1x, contre 4,3x pour Total (Shell est à 4,1 et BP  3,2). Cet écart est d’autant plus saisissant que TotalEnergies fait partie des majors les mieux gérées, si ce n’est la mieux gérée. On peut donc comprendre que des actionnaires américains qui détiennent plus de 40 % de son capital poussent à la roue, d’autant que leur pourcentage s'accroît du fait du dégagement d’actionnaires européens plus sensibles aux enjeux de la transition énergétique. Ce n'est pas le moindre des paradoxes alors que TotalEnergies est la plus avancée des majors dans ce domaine, et qu’elle n’a pas réduit ses ambitions, contrairement à Shell et BP. 
Mais le niveau des multiples ne dépend pas que de la place de cotation, il dépend aussi des caractéristiques de risque et de croissance. A cette aune, une entreprise cotée aux États-Unis, mais avec une part américaine de ses actifs moindre que celle de ses concurrents, pourrait être décotée par rapport à eux. Le transfert de la principale cotation ne se décrète pas, il s’observe en fonction des volumes de transactions. Pour que New-York devienne sa place principale de cotation, TotalEnergies devrait probablement faire un placement de titres important aux États-Unis, où il n'est pour l’instant coté que sous la forme d’ADR. Une cotation directe (full listing) serait sans doute requise. Si un tel mouvement devait advenir, et si TotalEnergies était ainsi mieux valorisée, son coût du capital se réduirait, puisqu’à flux de trésorerie disponible constants, le taux d’actualisation requis pour faire égaler ces flux à la valeur serait plus faible ; et les salariés verraient leurs participation et intéressement investis en actions de leur employeur se revaloriser. Les habituels contempteurs de TotalEnergie ne manqueront pas de parler de trahison, d’autres regretteront cette évolution si cette réflexion se concrétisait. Mais on ne peut pas à la fois : - Refuser de créer des fonds de pension, dont la création avait été votée en première lecture en 1997 avant que la dissolution n'envoie aux oubliettes ce texte qui n’en est pas ressorti malgré l’alternance politique ; - Accorder des avantages fiscaux sans limite de montant aux fonds en euros de l’assurance-vie, c’est-à-dire des titres de dettes ; et les limiter pour les PEA investis en actions ; - Et se lamenter de la moindre profondeur de notre marché action, se traduisant dans un certain nombre de cas par des moindres valorisations.   

25-04-2024 : “Voyageurs du monde rachète 20 % de ses actions ”

Non, les rachats d’actions ne sont pas « le symbole d’un capitalisme qui ne tourne pas rond, version libéralisme échevelé », comme l’écrit une journaliste du Monde, à propos du projet de Voyageur du Monde annoncé hier de racheter 20 % de ses actions pour les annuler. C’est au contraire la preuve d’un capitalisme qui tourne correctement en réallouant, via les investisseurs, une ressource cruciale, les capitaux propres, d’entreprises qui en ont trop du fait de leurs résultats et de leurs perspectives de croissance, vers d’autres qui en ont besoin pour financer leur développement.
Laissons la parole à son PDG, Jean-François Rial en reproduisant in-extenso les phrases de son interview au Monde, car on ne peut pas dire mieux les choses : 
« Quand une entreprise traite bien ses salariés et qu’elle conserve des capacités d’investissement, le rachat d’actions n’a rien de scandaleux. Cela permet de réallouer le capital. La vitesse de circulation du capital est d’ailleurs la grande force de l’économie américaine. 
En 2021, pendant la crise du Covid, nous avons levé 130 millions d’euros afin de constituer des réserves financières, alors que notre chiffre d’affaires avait plongé de 85 % en 2020Cet argent a alimenté notre trésorerie. Mais le redressement de l’activité s’est opéré beaucoup plus vite que prévu, nous permettant de financer notre développement grâce à nos résultats. Par ailleurs, nous avons procédé à quelques acquisitions, mais nous n’avons pas trouvé de cible de taille importante. Autrement dit, cet argent levé en 2021 est placé en sicav monétaires et non pas dans l’appareil productif : il ne sert à rien et il est normal qu’on le rende à nos actionnaires qui pourront l’utiliser pour investir dans des entreprises qui ont besoin de capital. 
 Et nous avons distribué à nos salariés 18 millions d’euros en 2023, sous forme de participations, intéressement et autres primes, à comparer à un résultat net de 44 millions d’euros.
Si vous respectez ces critères, c’est absurde de taxer les rachats d’actions. Ce serait même contre-productif. Les financiers ne sont pas des philanthropes : si les rachats d’actions sont pénalisés, ils hésiteront à apporter du capital en premier lieu. Dans un tel environnement punitif, en 2021, nous n’aurions pas réussi à réunir des fonds. »
Précisons qu’après ce rachat d’actions de 130 M€, Voyageurs du Monde disposera d’une trésorerie nette de toutes dettes bancaires et financières de plus de 100 M€ pour un groupe qui fait 694 M€ de chiffre d’affaires et 44 M€ de résultat net, et que Jean-François Rial est présenté par Le Monde comme « enfant de la deuxième gauche ».
Si après cela, on continue de lire que les rachats d’actions sont « le symbole d’un capitalisme qui ne tourne pas rond, version libéralisme échevelé », c’est que le dogmatisme empêche de réfléchir posément aux faits, mais la pédagogie finira par éclairer ceux qui cherchent à comprendre !
 

13-04-2024 : “L'étrange comptabilité des plus-values sur cession partielle des filiales consolidées. ”

La semaine passée, Wendel a cédé en Bourse pour 1,1 Md€ 9 % du capital de Bureau Veritas, réduisant sa participation de contrôle de 51 % à 42 % des droits de vote. La plus-value dégagée a été de 800 M€, sans qu'elle n'apparaisse au compte de résultat consolidé, ce qui heurte un peu le sens commun. Ce faisant, Wendel ne fait que suivre les principes comptables IFRS, et qui prévoient que tant que l’actionnaire de contrôle le reste, les plus-values dégagées par des cessions de blocs n’apparaissent pas au compte de résultat consolidé. En effet, dans cette logique d’une poursuite de la consolidation par intégration globale, tous les actifs et les passifs de Bureau Veritas restent consolidés dans le groupe Wendel, seules la part des intérêts minoritaires et celle du groupe Wendel dans le résultat et dans les capitaux propres sont affectées. Le seul changement dans le bilan consolidé de Wendel est l’apparition de 1.100 M€ de cash dont la contrepartie pour respecter l’équilibre bilantiel est un ajustement (accroissement) de 1.100 M€ des capitaux propres, sans que la plus-value de 800 M€ ne passe en résultat ou en résultat global (OCI). Si les règles comptables considéraient que la plus-value de 800 M€ devrait apparaître, il suffirait alors de la faire passer en tant que telle au compte de résultat et de n’ajuster les capitaux hors résultat que de 300 M€. Lorsque Wendel, en cédant un nouveau bloc, tombera en dessous d’un seuil de droit de vote ne lui assurant plus le contrôle de Bureau Veritas, la plus-value sur ce bloc apparaîtra alors au compte de résultat, ainsi que la totalité de la plus-value latente sur sa participation résiduelle. Cette dernière sera inscrite dans les comptes consolidés de Wendel sur la base de sa valeur de marché du moment avec le passage d’une consolidation par intégration globale à une consolidation par mise en équivalence. Et les fluctuations de la valeur de cette participation pourront alors apparaître chaque année au compte de résultat (c'est une option). On a donc cette situation qui échappe au sens commun d’une plus-value concrétisée la semaine passée qui n’apparaît pas au compte de résultat, et d’une autre à venir qui apparaîtra au compte de résultat en raison du changement de méthode de consolidation, alors même que la participation n’aura été que partiellement cédée. Certes, les normes comptables IFRS et américaines se sont détachées du carcan du droit et de la fiscalité pour avoir une lecture plus économique des situations, mais au cas particulier, il ne nous semble pas que ceci corresponde à la vie économique ou financière réelle. Comprenne qui pourra ! Heureusement, cette situation est rare car les groupes industriels ou financiers, quand ils cèdent une filiale, cèdent la plupart du temps 100 % de leur participation. Par ailleurs, dans le cas de Wendel, société d’investissement, le compte de résultat a moins d’importance pour apprécier sa performance qu’une évaluation extra comptable de son patrimoine.  

06-04-2024 : “Kering et les prix de l'immobilier milanais ”

Kering aurait-il dû s’abstenir d’acquérir pour 1,3 Md€ un magnifique immeuble à Milan, Via Montenapoleone, l’avenue Montaigne ou le New Bond Street milanais ? Certes le prix de ces 11 800 m2 est de 110 000 € le m2 (sic), mais le rendement correspond apparemment à un rendement de marché à 3,85 % dans la seconde ville la plus chère du monde, au moins pour le commerce de luxe. C’est la thèse du Financial Times qui estime que la rentabilité de cet investissement sera loin d’égaler la rentabilité économique du groupe, de 11,7 % en 2023 (goodwill inclus).

Malgré toute la sympathie que j'ai pour le quotidien d’origine britannique, le raisonnement qu’il expose ne tient pas la route d’un point de vue financier. En effet, considérer qu’un investissement est mauvais à chaque fois qu’il rapporte moins que la rentabilité dégagée par l’entreprise est un sophisme, c’est-à-dire un raisonnement erroné qui a l’air juste. Il ne convient pas de rapporter la rentabilité prospective d’un investissement à la rentabilité comptable dégagée actuellement par l’entreprise, mais au coût du capital de cet investissement. En effet, si vous avez une rentabilité économique de 20 % et un coût du capital de 8 %, tout investissement rapportant du 12 % réduira la rentabilité comptable dégagée qui s’établira alors entre 12 et 20 % ; mais sera néanmoins créateur de valeur si les prévisions effectuées s'avèrent justes, car rapportant plus (12 %) que son coût du capital (8 %). 

Le second piège à éviter serait de comparer la rentabilité de cet investissement immobilier (un peu moins de 4 %) au coût du capital de Kering (environ 8,5 %). Ce ne serait pertinent que si le risque de cet immeuble était identique à celui du reste des activités de Kering. Or on sait tous que le coût du capital d’une société foncière est bien inférieur à 8,5 % en raison d’un risque bien moindre que celui d’une activité industrielle, fût-elle du secteur du luxe. Avec un taux de rendement en ligne avec celui du marché pour cette acquisition milanaise, il ne saute pas aux yeux que cet immeuble ait été surpayé.

Ensuite, il est vrai que les prix de l’immobilier à Milan sont particulièrement élevés, ce qui explique pourquoi depuis des années mes étudiants italiens à HEC me disent qu’ils ne veulent pas aller travailler dans la capitale économique de la Botte, car les salaires des jeunes diplômés y sont nettement plus bas qu’à Paris. Et comme ceci dure depuis longtemps, vous avez ainsi l’un des raisons qui font qu’aujourd’hui les 20 premières capitalisations italiennes ne totalisent que 431 Md€ contre 5 fois plus pour les 20 premières capitalisations boursières françaises (2 148 Md€) pour une population à peu près similaire. Quand un pays perd ses jeunes les mieux formés et les plus agiles, l’économie ne peut qu’en souffrir. Félicitons-nous que sur les Champs-Élysées, les prix ne dépassent pas les 50 000 € du mètre carré !

04-03-2024 : “Pourriez-vous rejoindre l'IASB et devenir régulateur comptable ? ”

Vous auriez toutes vos chances si vous répondez correctement à ces 3 questions par VRAI ou FAUX sur la distinction dettes/capitaux propres traitée par la norme IAS 32 sur laquelle l’IASB a publié un exposé sondage :
1/ Une dette perpétuelle, ou hybride en franglais, doit être comptabilisée en capitaux propres même si, dans l’immense majorité des cas, l’émetteur procède à son remboursement anticipé au bout de quelques années pour éviter de devoir supporter une forte hausse du taux d’intérêt, contractuellement prévue pour le conduire à rembourser par anticipation l’obligation perpétuelle (ce qui ne manquera pas de vous faire sourire). 
2/ Une obligation remboursable en actions (ORA) se comptabilise en IFRS en capitaux propres, à l’exception de la valeur actualisée des intérêts versés avant d’être remboursée en actions qui est comptabilisée en dettes financières. Cependant, si la parité de remboursement de l’ORA (3 actions contre une ORA par exemple) est variable (contre 3 actions, ou 4 ou 2 selon un critère donné), alors l’ORA doit être comptabilisée comme une dette.
3/ Plus difficile maintenant. Vous avez accordé à des minoritaires dans une filiale que vous contrôlez une option de vente leur permettant de vous céder leurs actions. Le montant que vous pourriez devoir débourser si les actionnaires minoritaires exercent leur option de vente est une dette financière dont la constitution se compense (pour que le bilan reste équilibré) par un prélèvement sur les capitaux propres part du groupe de même montant, et non par un prélèvement sur les capitaux propres part des minoritaires.
Eh bien, si vous avez répondu 3 fois VRAI, vous avez toutes vos chances de réussir à l’IASB qui tient ces positions dans l'exposé sondage mentionné plus haut. Mais vous n’avez guère de chances d’être un bon financier.
Les capitaux propres ont une telle importance dans une entreprise, dont ils sont la pierre angulaire de l’existence et du développement, qu’en ce domaine il faut appeler un chat un chat et être particulièrement rigoureux. Une dette qui se rembourse, fût-elle abusivement appelée perpétuelle, est une dette, pas des capitaux propres. Une ORA, à parité fixe ou variable, et qui n’entraîne par définition aucun débours de trésorerie, puisqu’elle est remboursée en actions de l’émetteur, est un titre de capitaux propres, justement parce qu’elle ne se rembourse pas en cash ou en titres de dettes. Quant au put sur les minoritaires, c’est la double peine que propose l’IASB. Pourquoi pas créer une dette au bilan à l’égard des minoritaires ; mais où est la cohérence de prélever son montant sur les capitaux propres part du groupe, et non ceux des minoritaires dont on vient de supposer qu’ils exerçaient leur put en inscrivant son montant en dettes ?
Quand l’IASB se rendra-t-il enfin compte, qu’à force de proposer des dispositions tellement éloignées du sens commun, il discrédite les normes comptables dont il devrait être le gardien intelligent et scrupuleux ?
 
 

27-02-2024 : “La lettre 2024 de Warren Buffett à ses actionnaires ”

Warren Buffett rappelle dans cette lettre que ce qui crée de la valeur est la capacité d’une entreprise à réinvestir ses profits à un taux de rentabilité supérieur au coût du capital. A contrario, une entreprise qui réinvestit ses profits à un taux de rentabilité inférieur à son coût du capital détruit de la valeur. C’est qui explique que le cours de ces entreprises bondisse quand leurs dirigeants promettent des retours significativement plus élevés. 
Ainsi Barclays qui vient de promettre de rendre à ses actionnaires 10 Md£ sur les 3 prochaines années (pour une capitalisation boursière de 23 Md£). Le cours a bondi de 10 %. Non pas que les actionnaires soient des sangsues assoiffées de dividendes. Mais simplement, ils savent compter. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les capitaux propres de Barclays de 71 Md£ ne valent que 23 Md£ en Bourse, sanction d'une rentabilité des capitaux propres de Barclays (7,3 % en 2023) inférieure à son coût du capital depuis des années. D'où une décote de 68 %, et une destruction de valeur de 48 Md£. 
10 Md£ de dividendes versés, c’est 10 Md£ de cash qui arrivent sur les comptes des actionnaires et qui valent 10 Md£. C’est aussi des capitaux propres comptables qui baissent de 10 Md£ ; soit à décote constante à 68 %, une valeur des capitaux propres qui baisse de seulement 3,2 Md£. En net, + 10 - 3,2 = + 6,8.
De l’autre côté, 10 Md£ de résultats réinvestis, c’est une progression du montant comptable des capitaux propres de 10 Md£, et une hausse de leur valeur, à décote constante à 68 %, de 3,2 Md£. 
+ 6,8 Md£ si Barclays restitue 10 Md£ aux actionnaires, versus + 3,2 Md£ si Barclays réinvestit les 10 Md£ dans son activité dont la rentabilité marginale est inférieure au coût du capital conduisant à des destructions de valeur ; la comparaison est vite faite. Pas étonnant que les actionnaires applaudissent à deux mains. D’autant qu’un effet de second tour pourrait se produire, car au moins 60 % des retours prendront la forme de rachats d’actions, conduisant ipso facto à accroître les capitaux propres par action, et à décote constante, à accroître le cours d’autant.
De l’autre côté de l’Atlantique, cette année encore, les actionnaires de Berkshire Hathaway voteront à une écrasante majorité l’absence de dividende, préférant le réinvestissement, confiants dans la capacité de son dirigeant à dégager des rentabilités supérieures au coût du capital.
Cela dit, Warren Buffett prévient que du fait de la taille atteinte par Berkshire Hathaway (900 Md$), ses performances futures ne pourront plus être aussi exceptionnelles que celles du passé. 
Le jour où Berkshire Hathaway versera des dividendes n’est plus très loin ; sans doute après le décès de son fondateur, comme Apple a attendu le décès de Steve Jobs pour s’y livrer, tant est forte l’empreinte de ces hommes d’exception.

17-02-2024 : “Uber et les rachats d'actions ”

À l’occasion de la publication de ses résultats 2023, les premiers à montrer un résultat net positif (1,9 Md$), Uber a annoncé le lancement d’un plan de rachat d’actions de 7 Md$.

Pourquoi initier des rachats d’actions alors que le groupe a encore un endettement net de 5,8 Md$, soit 3 fois l’EBE (ou 1,5 fois si l’on considère les rémunérations payées en actions et passées au compte de résultat comme des charges non cash) ? Certes, Uber annonce des taux de croissance pour les 3 ans qui viennent entre 15/20% et une croissance des flux de trésorerie deux fois plus forte, ce qui rend non pertinent le doute sur sa capacité à faire face à ses dettes.

Ce n’est donc pas pour rendre des capitaux oisifs et excédentaires comme chez Apple ou Google. Ce n’est pas non plus que l'action soit nettement sous-évaluée, cela ne saute pas spontanément aux yeux à 50 fois les flux opérationnels moins les investissements corporels. Ce sont là les deux motifs les plus fréquents du rachat d’actions. Le sujet est plutôt celui de la croissance du nombre d’actions.

En effet, comme quasiment tous les groupes de technologie, Uber rémunère ses salariés par l’octroi d’actions gratuites, en moyenne pour 58 k$ en 2022, mais probablement beaucoup, beaucoup plus pour les salariés du département clé de R&D et technologie, qui concentre 1 215 M$ de rémunération en actions sur les 1 935 M$ comptabilisés en 2023. Puisque les rémunérations en actions de ces salariés font 38 % des coûts de ce département, la part dans la rémunération de ces salariés doit probablement dépasser la moitié de leur rémunération totale, et donc dépasser le montant de leurs salaires versés en cash.

Un cours qui a doublé depuis l’IPO de 2019 est une bénédiction pour tout le monde (pardon pour les vendeurs à découvert), mais le jour où s’enclencherait une phase baissière, certains feront triste mine dans le département R&D et technologie, et risquent de regarder dehors si l'herbe est plus verte, dès que le mouvement de baisse du cours ne serait pas général, mais propre à Uber.

Le nombre d’actions chez Uber a crû en moyenne depuis l’IPO de 5% l’an sous cet effet et celui du paiement d’opérations de croissance externe en actions. Racheter ses actions permet alors de limiter la croissance du nombre d’actions qui viendrait, sinon, réduire les taux de croissance des paramètres opérationnels et menacer une bonne valorisation. Cela montre une discipline qui plaît aux investisseurs, c’est la force de l’usage de place auquel Uber vient d’adhérer (dans son intérêt bien compris).

PS : pour ceux qui croient que les rachats d’actions font monter les cours. Les 7 Md$ annoncés par Uber, à supposer qu’ils soient intégralement réalisés en 2024, ne feraient que 2,4% du volume quotidien moyen des transactions sur l’action. Pas de quoi, en soi, faire monter mécaniquement et significativement le cours. Et la recherche académique montre que l’idée selon laquelle les rachats d’actions feraient monter les cours est fausse, c'est dans La Lettre Vernimmen.net n°197 d'avril 2022.

16-02-2024 : “Le retrait de cote de Believe, cherchez l'erreur ”

Believe, une major en puissance de la musique indépendante (Jul, Naps…), cotée en Bourse depuis juin 2021, a annoncé hier son projet de retrait de Bourse. Il est vrai que sa vie boursière avait mal commencé avec la fixation d’un prix d’introduction au bas de la fourchette annoncée (19,5€ - 22,5 €), et une cotation au soir de l’introduction en recul de 15 %. Mais Believe avait pu lever à cette occasion 300 M€ dans une opération purement primaire pour financer son développement et capitalisait 1,5 Md€ sur cette base.
Le cours avait progressivement chu à 8 €, puis s’était stabilisé aux environs de 10 €. Hier le management, le principal fonds de private equity actionnaire de Believe (TCV) et un autre fonds de private equity (EQT) ont annoncé une offre à 15 € et un retrait de cote si l’offre réunit plus de 90 % du capital (elle en fédère déjà 75 %). Le fondateur et dirigeant déclare à cette occasion :"Depuis son introduction en Bourse, Believe poursuit une excellente dynamique de croissance, lui ayant permis d’atteindre, deux ans en avance, les objectifs fixés lors de la cotation.»
Et là, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a soit un problème avec le cours d’introduction en 2021, soit avec le prix de sortie proposé en 2024, soit avec la déclaration du président. Éliminons cette dernière option car un tel communiqué est relu par les avocats qui savent faire des comparaisons. Restent les prix. En effet si Believe est en avance de 2 ans  sur son plan d’affaires moins de 3 ans après son introduction, la logique voudrait que le prix de 2024 (15 €) soit plus élevé que celui de 2021 (19,5 €), d'autant que dans l’intervalle la Bourse a été bonne : + 20 % pour le SBF 120 (dividendes réinvestis). D’ailleurs l’investisseur qui a investi dans le SBF120 en juin 2021 dispose d'un équivalent action Believe à 23,4 €, contre un cours à vendredi soir de 12 € et une offre à 15 €.   Donc soit le prix de l’introduction était bon et dans ce cas le prix de sortie est sous-évalué, et on lira avec intérêt le rapport de l’expert indépendant. Soit il n’était pas bon, et le prix de sortie est correct. Ce qui ne serait pas une surprise quand on sait qu’à fin 2022, sur les 139 entreprises qui se sont introduites sur la Bourse de Paris depuis 2014, et encore existantes, 77 % avaient un cours inférieur à leur prix d’introduction.    Quand on parle d’attractivité de la place boursière, et le sujet est loin de se limiter à Paris, on peut se demander si les banquiers introducteurs ne devraient pas se poser des questions sur leur pratiques en matière de conseil sur le prix d’introduction, où la bataille pour obtenir le mandat peut les conduire à surenchérir sur les évaluations et à sur-promettre. Et il est très difficile pour une entreprise de remonter un premier effet très négatif quand, au soir de l’introduction, les investisseurs qui ont souscrit réalisent qu’ils ont perdu en un jour 15 % de leur investissement.  
 

31-01-2024 : “La pensée magique en Chine : interdire les ventes à découvert ”

Alors que depuis son plus haut de février 2021, l’indice chinois phare CSI 300 a reculé de 44 % contre une hausse de 51 % pour le DAX, de 53 % pour le CAC40 et de 82 % pour le S&P 500, les autorités boursières chinoises ont recouru ce week-end aux vieilles recettes éculées : l’interdiction de la vente à découvert dans l’espoir magique de soutenir les cours.
Rappelons que la recherche académique a régulièrement démontré que l’impact sur les cours d’une interdiction des ventes à découvert est non perceptible, accroit la fourchette bid-ask et réduit la liquidité des marchés. Autrement dit, elle n’atteint pas son objectif et réduit l’efficacité du marché. Comme nous l’illustrions dans notre précédent billet consacré au 15ème anniversaire de la mort d’Adolf Merckle, vendre à découvert est hautement risqué et ceux qui s’y livrent sont soit des incompétents qui disparaissent rapidement tant le risque est élevé, soit des escrocs qui essaient de manipuler les cours et qui vont vite se heurter aux autorités de contrôle des marchés, ou des investisseurs qui ont fait un travail approfondi et transmettent au marché une information que d’autres n’ont pas perçue (cf. Muddy Waters qui, dès la fin 2015, vend à découvert Casino avec prescience). Vouloir se priver de ce type d’informations, c’est comme interdire les porteurs de mauvaises nouvelles. Ce n’est pas avec cela que vous développez la confiance dans votre marché financier, bien au contraire comme en témoigne le recul de 2,8 % hier et avant-hier de l’indice CSI 300. Si les marchés financiers chinois se portent si mal en comparaison des nôtres, c’est que la primauté n’est plus donnée au développement économique, mais au renforcement du rôle dirigeant du Parti communiste et à des rêves impérialistes, de nature à convaincre les investisseurs d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Même pour un dictateur, il n’est pas possible d’avoir le beurre et l’argent du beurre.

10-01-2024 : “15ème anniversaire du décès d'Adolf Merckle ”

Sauf à nos certains de nos lecteurs germanophones, ce nom ne dira pas grand-chose. C’était celui d’un industriel allemand de 74 ans (HeidelbergCement, Ratiopharm, Phœnix Pharmahandel, etc.) devenu la 5ème fortune de son pays et qui, au petit matin du 5 janvier 2009, a quitté son domicile familial de Blaubeuren pour aller s’allonger sur une voie de chemin de fer proche.
Comment peut-on en venir à cette extrémité ? 
En vendant à découvert des actions Volkswagen dont l’analyse économique et financière démontrait qu’elles étaient fortement surévaluées, mais en ignorant qu’une lutte occulte en cours au sein de la famille fondatrice conduisait certains de ses membres à acheter des titres Volkswagen quel que soit le prix, le faisant ainsi bondir de 211 € à plus de 900 € en deux jours. . . 
Si les occasions théoriques de vente à découvert ont été nombreuses en 2023 (Orpéa, Casino, Atos, etc.), ce triste exemple doit rappeler qu’il s’agit d’une technique d’investissement particulièrement risquée puisque l’on peut perdre largement plus que le montant de l’investissement. Ce n’est pas sans raison que les spécialistes de la vente à découvert la pratiquent rarement sur de longues durées, même s’ils sont convaincus de la surévaluation d’un titre. On se rappelle à ce sujet l'aphorisme de l’économiste J.M. Keynes, dont la fortune devait au moins autant aux fruits de ses habiles spéculations qu’à ses droits d'auteur et à ses cours : « Les marchés peuvent rester irrationnels plus longtemps que vous ne pouvez rester solvable ».

08-01-2024 : “Dividendes et rachats d'actions en 2023 au sein du CAC 40 ”

Pour la 21ème année, nous publions dans La Lettre Vernimmen.net les résultats de notre enquête sur les rachats d’actions et les dividendes versés au sein du CAC 40 en 2023. 
Témoin de l’excellente santé des groupes du CAC 40, la génération de capitaux propres supplémentaires reversée en 2023 aux actionnaires atteint son plus haut niveau historique à 97,1 Md€, dont 30,1 Md€ sous forme de rachats d’actions. Certains fulmineront par incompétence ou idéologie, en regrettant que cet argent n’ait pas servi à investir. Nous en avons l’habitude. À leur intention, précisons que les investissements du CAC 40 ont atteint en 2022 le record de 94,2 Md€, en progression de 21 % sur 2019 (et de 20 % sur 2021), et que cette progression atteint même 44 % pour les 3 plus grands redistributeurs (TotalEnergies, BNP Paribas et LVMH, 35,6 Md€ à eux trois). À ce niveau de performance, investissements et redistributions de capitaux propres excédentaires ne sont pas antinomiques, d’autant qu’à l’exception de Unibail Rodamco Westfield, ces groupes sont peu endettés.
Ces sommes, qui ne représentent que 4,1 % de la capitalisation boursière du CAC 40 (2 361 Md€), n’ont pas empêché celle-ci de dépasser une nouvelle fois la capitalisation des 40 plus grands groupes cotés à Londres (1 780 Md€) et à Francfort (1 560 Md€).

03-01-2024 : “British American Tobacco déprécie ses marques, ce qui n'est pas sans conséquence sur sa valeur ”

Habituellement la dépréciation de goodwill n’a pas de conséquences significatives sur les cours de Bourse, car tout simplement la dépréciation des goodwills vient sanctionner une situation de perte de rentabilité qui a déjà été intégrée par le marché, la comptabilité étant naturellement en retard par rapport à la réalité économique et financière.
Quand BAT a annoncé déprécier de 25 Md£ ses marques de cigarettes (Pall Mall, Newport, Camel, etc.) le 6 décembre, pour 31 % de leur montant comptable, sa valeur boursière s’est réduite de 8 % en une séance, baisse qui n’a pas été compensée depuis, même partiellement, et c’est pour cela que nous avons attendu avant de vous en parler. La raison est que cette annonce s’est accompagnée de la décision d’amortir à l’avenir ces marques sur 30 ans considérant que, vu l’évolution des habitudes de consommation de ses clients, ces marques dans 30 ans n’auraient plus de valeur et que cette activité, sous cette forme, aurait disparu. Et c’est cette perte de valeur dans 30 ans n’avait pas été anticipée par les investisseurs, qui ont dès lors réduit leurs anticipations des flux de trésorerie disponible, provoquant la chute du cours de Bourse de BAT. En effet, les marques des nouveaux modes de consommation du tabac, sont des marques nouvelles pour BAT (Vuse, Velo, Glo) et non les historiques.
Coïncidence ou pas, la dépréciation de 25 Md£ a réduit le montant des capitaux propres comptables à peu ou prou celui de la capitalisation boursière, ce qui fait dire au dirigeant qu’il s’agissait d’un rattrapage comptable par rapport à la réalité, surestimant la capacité des investisseurs à appréhender au mieux celle-ci. Ce qui laisse présager d’autres décrochages de ce type dans des secteurs où des évolutions fortes pourraient être difficiles à chiffrer correctement, et l’on pense naturellement aux effets de la transition énergétique.